Le Temps des Rêves

J'ai tendance à croire que la poésie participe à la marginalisation de l'écriture. Et elle s'étouffe elle même.

Sur internet (et même dans les livres), le premier auteur qui aligne quatre rimes se dit "poète". J'en ai assez de lire ce mot. J'ai du réfléchir, il n'y a pas longtemps, pour un sujet de dissertation sur le rôle du poète justement. Avec une citation qui met en parallèle l'opinion de Malherbe selon laquelle le poète n'a pas plus de rôle à jouer dans l'Etat qu'un joueur de quilles et celle de Victor Hugo qui définit le poète comme "l'écho sonore", le porte-parole du peuple.

J'en ai conclu que poète n'est qu'une figure idéologique, un peu comme le Père Noël. Je peux monter sur mon traîneau pour aller distribuer des cadeaux, ça ne fait pas de moi un Père Noël. On peut écrire des poèmes, on peut écrire des vers mais ce n'est pas pour autant qu'on est poète à mon avis. Le poète n'est ni prophète, ni écrivain, ni rien du tout. S'il en existe ne serait-ce qu'un, il n'écrirait pas. Il serait fou, errant ou mort de la vérité. Et puis, le poète, c'est celui qui met en oeuvre la poétique. Et la poétique ce n'est pas seulement les poèmes.

Je pense que le statut de "poète", on ne peut pas se le donner à soi même. Le poète n'existe que dans la lecture des autres. Quelqu'un lit un poème et voit le poète à travers les mots, mais le poète n'est pas l'auteur.
Le poète est, je pense, une figure universelle qui habite les mots ou toute forme de création, par le regard d'autrui. Celui qui écrit, celui qui créé n'est jamais que lui même malheureusement. On a tous lu des poèmes des plus grands auteurs français sans qu'ils nous touchent, ou même des poèmes très contemporains alors que parfois, un petit graffiti à la va vite sur un mur va nous faire réfléchir, peut être même bouleverser notre regard. Et ce n'est que ça la poésie: donner à voir ce qui est déjà visible mais oublié. Alors le poète est peintre, dessinateur, sculpteur, photographe ou peut être rien de tout ça. Il peut être un visage, une ombre, une impression.

J'aimerais votre avis la dessus.

J'aime cette idée du poète qui existe à travers le lecteur plutôt qu'à travers l'auteur !
... Mais j'aime aussi l'idée d'être, quelque part, un poète. J'aime bien penser qu'on a tous une partie poète en nous, et que le "poète" est simplement celui qui en fait un des aspects de lui-même auquel il accorde de l'importance, qui le cultive et tente de le faire grandir. "Poète" au sens créatif du terme, que ce soit à travers la poésie, n'importe quel art, artisanat, ou même simplement à travers sa manière de vivre. L'envie de créer quelque chose dans lequel on se reconnaîtra et d'autres, peut-être, nous ou se reconnaîtront.

Ainsi, "poète" serait un état de priorité de la part créative sur la majorité des autres aspects de notre personnalité, et une dynamique cherchant développer cet aspect. Donc on peut être poète un jour et finir par ne plus être poète, et le redevenir. On peut avoir été poète une année dans sa vie. On peut être un poète "dormant", qui n'a plus cette activité de développement, d'approfondissement de sa part créative, mais qui a une belle parcelle laissée en friche.

Du coup, si être poète est un état intérieur plus ou moins transitoire, le seul à pouvoir l'affirmer est celui qui vit cet état intérieur. Et si quelqu'un se dit poète parce qu'il a aligné deux vers vus et revus, je pense qu'on a pas le droit de lui dire "tu n'es pas poète". C'est peut-être un un poète maladroit.
Les lecteurs ou les receveurs des œuvres du poète, si œuvre il y a et si receveur il y a, vont seulement détecter les poètes habiles à les toucher.

Même si je suis donc convaincu que tout le monde a le droit de s'affirmer poète quelle que soit son oeuvre (ou même sans oeuvre), il y a une différence entre le jardinier qui passe sa vie dans son potager à s'acharner dessus et qui n'en tire jamais rien (parce qu'il ne sait pas comment s'y prendre, qu'on ne lui a pas dit, ou qu'il vit sur une terre aride), et le type à la main verte qui vous sort de partout des fleurs hallucinantes et des légumes délicieux. Je reconnaîtrais plus facilement au second son titre de jardinier, et c'est là que les lecteurs interviennent (désolé si c'est fouillis).

Au final : être un poète c'est un état intérieur plus ou moins transitoire, dont on en est seul juge (même si on peut se tromper, et ne pas se rendre compte qu'on est dans cet état, ou croire qu'on y est tellement on a envie d'y être). Mais être un poète "réalisé", qui produit des œuvres (ou des actes) qui paraissent poétiques à d'autres, c'est plus difficile (j'imagine un continuum entre ces deux catégories, bien sûr, pas deux factions opposées)...

Et ce "un poète" est bien différent de "le poète", cette espèce d'être supérieur fantasmé qui ne serait que pure créativité et clairvoyance, et que les lecteurs (et les auteurs) peuvent imaginer entrapercevoir entre deux vers. "Le" poète, c'est aussi cet aspect fantasmé de l'auteur d'un poème, cette sensibilité imaginaire qu'on reconstitue comme on le peut/veut à partir d'une oeuvre, que l'auteur n'incarne pas mais qui n'aurait pu exister sans l'auteur.

Et je vais m'arrêter là parce qu'il est tard et que je ne sais plus trop où j'en suis^^. Merci Dahij pour ce sujet !

Merci pour cette réponse rapide naniquolas (: Ton point de vue comble la lacune du mien qui est un peu tranché peut être. Je n'avais pas encore vu les choses sous cet angle.

Je suis entièrement d'accord avec le fait qu'on soit tous poètes et qu'on choisit de l'être ou pas, d'y faire attention ou pas. Que tout le monde peut être poète, se sentir poète, c'est entièrement légitime.

Ce que j'ai du mal à comprendre, voir à accepter pour être sincère c'est la revendication du statut de "poète", c'est s'afficher "poète". Je crois que le simple fait de le revendiquer fait disparaître la part du poète justement accessible au receveur, celle que l'on aurait pu justement découvrir en tant que lecteur, spectateur ou quelconque receveur. Je crois que l'auteur qui se revendique poète retire au receveur la possibilité de dire, de sentir la poésie.

C'est vrai qu'on peut dire qui est-ce que l'on considère "poète" mais on n'a pas le droit de dire qui ne l'est pas. Car une autre personne pourrait voir un poète là où on n'en voit pas.
C'est ce qui me fait dire que si on ne peut pas décider qui n'est pas poète on ne peut pas se revendiquer soi même "poète" (je dis bien "revendiquer") car justement le poète est l'idée de cet être supérieur qui perçoit la vérité et il appartient à la sensibilité. Je n'arrive pas à concevoir le poète comme un statut ni même un état, il est totalement empirique. Il va et vient, c'est une force qu'on emprunte ou qui nous possède je ne sais pas trop.

Le poète c'est celui qui essaye, qui n'a rien acquis, qui est toujours en train d'apprendre, d'essayer de comprendre, de trouver la Vérité, la Pureté, c'est un alchimiste et son oeuvre n'est que transmutations ratées qu'il perpétue en espérant un jour pouvoir transformer le plomb en or.
Il essaye de comprendre le monde dans son essence et son existence mais il n'y arrivera pas car ce n'est pas son rôle. L'auteur (au sens large) est au poète ce que l'alchimiste est au prophète je crois. L'auteur et l'alchimiste son un élan vers l'absolu de leur être au même titre que l'homme et Dieu peut être.

Du coup je me suis un peu perdu je crois ><. Ce que je voulais dire concrètement, c'est que je ne remet pas en question "l'être poète" mais la revendication du statut de poète. Je n'avais pas fait la différence dans mon post parce que je ne l'avais pas envisagé sous cet angle mais du coup ta vision du "poète" a compléter mon idée (:

J'ai toujours un peu peur de parler de ça, j'ai l'impression d'être un peu tranché sans le vouloir.

Se revendiquer poète comme être supérieur, comme Victor Hugo qui confond souvent sa personne et l'idéal du poète comme un grand guide clairvoyant, je trouve (mais je n'ai pas toujours trouvé) cela absurde.
En revanche, se revendiquer poète comme artisan de poèmes, ayant travaillé pour acquérir (même s'il est fragile) un savoir-faire avec les mots, je trouve cela légitime. Et utiliser ce statut pour se donner des missions (toucher, décrire au plus juste, s'engager pour une cause ou autres...) peut être productif sans être prétentieux, même si la frontière est mince. Rien que la démarche de tenter de se faire publier signifie que tu accordes de l'importance à ton oeuvre, à ton travail, que tu te considères comme poète.

Ah, voilà ! Je pense qu'il n'est pas néfaste de se considérer publiquement comme poète. Il est néfaste de prétendre que les autres devraient reconnaître un poète en nous, et c'est sûrement ce que tu appelles le "revendiquer".