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Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de Thaumiel Thaumiel Mode Lecture - Citer - 10/08/2012 19:51:30

Il m’a dit qu’il aimait bien conduire, que ça le détendait, c’était fluide et doux, ça permettait d’oublier.
D’oublier le fascisme, j’ai dit.
Tu nous fais chier.

Je me suis réveillée d’une sieste un après-midi, un sommeil noir, sans rêve, plus noir que noir, j’ai eu l’impression que je sortais du Néant. J’ai eu l’impression que j’avais régressé jusqu’à ma première vie, issue du néant. J’ai eu bien du mal à me reconstituer un semblant de moi consistant. En fait, plusieurs heures. C’est alors que j’ai pris une douche, que j’ai mangé une tranche de pain dans la cuisine, je suis sortie comme un robot, un voisin m’a saluée, ça me semblait absurde mais je lui ai répondu comme j‘ai pu, avec le peu de moi qui me restait. J’ai fait quelques pas dehors, on aurait dit que je sortais d’une longue convalescence, je me suis postée au carrefour, et j’ai fumé des cigarettes.

La ville était prise dans une agitation molle, des gens promenaient leur chien, d’autres passaient en bicyclette, je pensais être invisible et pourtant, une jeune femme poussant une poussette m’a alors souri vaguement - je ne sais pas pourquoi -, c’est la première fois que ça m’arrivait. Peut-être était-elle désespérée. Je devais être en train de la regarder de manière vide et insistante, ça avait dû la gêner, alors elle avait souri pour faire quelque chose et cacher ainsi sa gêne. Il était clair que je n’avais pas repris ma place dans la réalité, si tant est qu’elle existe, bien entendu. Je n’existais pas vraiment, ou je n’existais que problématiquement, un moi fragile et diffus. J’ai eu l’impression de transpercer les choses en les regardant, sur tout, mon regard était trop vide et insistant comme celui que j’avais porté sur cette femme. J’aurais voulu qu’on me filme pour voir si mon corps impressionnait la pellicule.

Un type est passé, il s’est arrêté pour me saluer, c’était un patron de café dans lequel j’avais fait une expo, je l’ai reconnu mais comme quelqu'un appartenant à une autre de mes vies, il m‘a demandé ce que je devenais, j’ai prononcé des mots, je ne sais plus lesquels, ni en quelle langue. Il est parti après m’avoir regardée de manière inquiète.
Il était clair que j’avais côtoyé le Néant, que j’y étais entrée même, de plain-pied, et que c’était un problème, c’était peut-être ça D.ieu. Et juste ça. Je ne voyais pas bien comment voir D.ieu autrement que comme quelque chose de fondamentalement vide et noir, un trou noir d’antimatière. Ça ne rassurera peut-être pas certains.

Je l'ai regardée sans la voir, mon regard venait de derrière mes yeux, elle était postée devant moi, souriante, il me semblait qu’elle avait légèrement vieilli. Je ne sais pas trop si je comprenais ce qu’elle me disait, enfin, je voyais à peu près la situation, elle devait rentrer du travail et m’avait trouvée là, au carrefour, regardant le rien de la rue, en train de fumer mécaniquement ma septième cigarette.
J’ai eu un semblant d’existence en lui disant que je n’existais pas. Elle m’a juste regardée. Un long moment. M’a prise pas le bras et m’a ramenée chez nous, je ne sais pas pourquoi on a pris l’ascenseur, on habitait au deuxième étage, on ne le prenait jamais.
C’est dans l’ascenseur que j’ai compris pourquoi on avait pris l’ascenseur, elle m’a dit : "Puisque tu n’existes pas, je vais en profiter.".

Je me suis réveillée dans le jour noir. Je n’étais pas dans ma chambre, j’ai senti un corps chaud à côté du mien, j’étais nue - mes yeux se sont habitués à l’obscurité -, j’ai vu la fenêtre et le rideau de voile fin, le corps a bougé, une main a saisi mon cou et des lèvres se sont posées sur les miennes.
Une petite lumière s’est allumée, peut-être la veilleuse d’un radio-réveil ; elle semblait se fiche un peu de moi, je m’attendais à ce qu’elle me donne une explication mais elle m’a juste dit : "Il va s’occuper de la boutique demain, je reste avec toi, tant que tu n’existes pas, tu m’intéresses un peu."
Je n’avais rien à dire.
Elle a joué avec mon poignet, puis elle m’a dit "Je ne sais plus…". Tout ce que je sais c’est que nous n’avons pas fait l’amour, j’étais trop immatérielle et elle apparaissait comme une image.

Avatar de poulix poulix Mode Lecture - Citer - 14/08/2012 17:51:38

Troublant.
Très troublant.
J'aime le rythme, l'incertitude, le calme devant l'inexplicable.

Quelques remarques
j’ai prononcé des mots, je ne sais plus lesquels, et en quelle langue. --> "ni" en quelle langue serait plus approprié
elle semblait se fiche un peu de moi --> se "moquer" de moi serait plus élégant et plus français non ?
plain pied --> plain-pied
enlui --> en lui
D.ieu --> coquille ? Si oui, x2

au plaisir de te relire : tes textes m'intriguent et me plaisent.

Avatar de UnAutreLapin UnAutreLapin Mode Lecture - Citer - 14/08/2012 19:31:06

Alors je ne sais pas trop quoi en penser : c'est joli comme une toile d'art contemporain.
En gros, je commence simplement à appréhender quelques notions, images, tout ça, je trouve ça joli mais je crois que je reste assez insensible au fond.

Par exemple, je ne sais pas qui est le Il du début. Du coup je ne comprends pas le passage du point Godwind dès le début.

"J’aurais voulu qu’on me filme pour voir si mon corps impressionnait la pellicule." : s'imprimait sur? Ou alors c'est fait pour personnifier la pellicule comme si c'était le regard d'un inconnu?

Pour quoi écrire "D.ieu"? est ce que c'est parce que ce serait un tout trop englobant, qu'il est plus simple de détruire avant même de l'invoquer en l'appelant "Néant" dès le début? Du coup ce serait donner une matière au néant... et c'est paradoxal ^^

Qui est "Elle"? Est-ce la narratrice ou un autre Elle?

Tout ça pour dire que c'est joli tout plein, avec des fulgurances vulgaires... ou pas assez (pourquoi utiliser le terme "faire l'amour" à la fin? c'est pas vraiment l'image qui m'apparaissait... plus un "nous n'avons pas fusionné" qui serait éthéré comme ce qui précède, ou bien "baisé" qui rappellerait le début du texte). Au final, je dirais que bizarrement j'aime bien, sans tout comprendre, comme un Mondrian qui serait peint en couleurs pastelles...

Avatar de Thaumiel Thaumiel Mode Lecture - Citer - 15/08/2012 14:04:14

poulix : merci pour les petites corrections (je ne sais cependant pas où tu as vu plain-pied sans tiret, il était déjà présent !)

UnAutreLapin : j'essaie de te faire une réponse construite dans la semaine (mais elles sont chargées, 52 heures de boulot ça m'empêche presque d'avoir une vie sociale), il me semble en plus que j'en ai une autre en latence... aïe

Avatar de poulix poulix Mode Lecture - Citer - 15/08/2012 17:41:41

@ Thaumiel : je ne sais pas ^^
@UnAutrLapin : je crois qu'impressionner une pellicule est un terme technique de photo ^^

Avatar de Thaumiel Thaumiel Mode Lecture - Citer - 15/08/2012 19:04:33

J'écris D.ieu car c'est un entité (certes vide, j'en conviens) que je prends en compte. C'est une affaire de nomination, je prends en compte ce nom propre, D.ieu, mais par contre aucune de ses propriétés ne sont pour moi pertinentes. Je considère D. ieu comme un nom propre et à partir de cela, je me réfère à un très grand livre de philosophie de l'américain Saül Aaron Kripke qui s'appelle La Logique des Noms Propres (Naming and Necessity, en anglais). Je laisse de côté les propriétés de D.ieu. Il peut être miséricordieux ou pas, comme les dieux de la Scandinavie ancienne, être un éléphant avec plein de bras (comme Ganesh), le Dieu des Sames, des Inuits, s'être fait chair en Jésus, un principe de vie, etc., rien n'est pertinent (c'est la thèse de Kripke qui, lui, réfléchit plutôt aux noms propres Aristote ou Gödel), il n'en demeure pas moins que le nom propre Dieu réfère à quelque chose... Il se trouve que la tradition juive est basée sur une lutte radicale contre l’idolâtrie, c'est-à-dire l'impossibilité pour l'homme d'intuitionner d'une manière ou d'une autre (une image, une réflexion, etc.) cette entité, on peut parler d'une transcendance vide ou d'un monothéisme sans Dieu (un Néant, donc), je vois en effet l'origine de l’être en le non-être et je pense que je vous ferai un jour lire le texte de philo que j'écris à ce jour. A cela j’ajouterais que je suis, je crois, panthéiste. Je prends cette entité vide donc certes comme un principe de tout, j'en ai parlé à ma voisine catho qui a été offusquée, je lui ai dit que Dieu n'était pas plus dans une église, un sacrement, un texte ou autre chose que dans le cul d'une salope, les exactions d'un pédophile ou un meurtrier en série : c'est dur à avaler mais je vois les choses comme ça... En outre, je ne crois pas en D.ieu, D.ieu est un choix comme un autre, je le trouve pratique, je dirais que je suis opportuniste, je prends des choses et n'en prends pas en fonction de l'utilisation que je vais peut-être en faire. Le concept "judéo-chrétien" est pour moi vide, que le Christianisme soit une religion d'esclave peut-être, le Judaïsme, non, ce n'est d'ailleurs pas une religion tout simplement, je réserve ce mot aux religions de pouvoir (Chiristianismes et Islam) point barre. Il me semble que le Judaïsme crée des hommes fiers et dignes, et peut-être déjà pour moi des surhommes en mesure d'affronter lucidement le Néant, on n'a pas attendu Nietzsche pour ça... La fatigue me fait divaguer sévère.

Avatar de Lune Lune Mode Lecture - Citer - 15/08/2012 22:28:11

Pour commencer, je te souhaite la bienvenue, Thaumiel ! Grand Sourire
Je n'ai pas encore eu le temps de lire ton texte, mais je viens de tomber sur le dernier message que tu viens de poster. Il y a quelques chose qui m'a frappée dedans. Ta vision du monde est ta vision du monde. La question n'est pas de savoir si je suis d'accord ou pas pour le moment. Ce qui me frappe c'est la haine que tu exaltes entre les religions. Qu'elles aient des travers, comme toute création de l'homme, évidemment, et je ne remets pas en cause la machine à haine qu'elles engendrent. Mais ta manière de t'exprimer perpétue cela, à mon humble avis. Et comment peux-tu affirmer de manière générale une opinion sur telle ou telle personne parce qu'elle est apparemment de telle ou telle confession ! Ne penses-tu pas qu'il y a autre chose derrière ce mot de "religions" ! Qu'il y a des femmes et des hommes qui ont une relation avec une forme d'être, d'essence, de foi, appel ça comme tu veux ... de néant si tu veux ! Voilà, j'avais juste envie de souligner cela, face à cette manière d'assener cette haine.

Avatar de Lune Lune Mode Lecture - Citer - 16/10/2012 17:51:15

Ça y est, me revoilà, pour cette fois-ci commenter le texte.

Comme pour "Rêve de l'absente", des éclats fulgurants, un sens intéressant qui me parle, l’ambiance "au fil de mes pensées bric-à-brac", une nonchalance bienheureuse et lucide, mais aussi à la fois paumée et désillusionnée (tous ces termes ne s'opposent pas forcément ^^).

J'ai apprécié la lecture. Petit Sourire

Ce qui est drôle, c'est qu'en lisant le texte, D.ieu et le Néant n'ont pas eu pour moi cette signification que tu as précisée par la suite et à laquelle j'ai déjà réagi. Ces deux termes portent une symbologie, une ambiance qui dirige la compréhension, mais le lecteur reste maître d'y mettre ce qu'il veut. Je ne sais pas si c'est voulu. En tout cas, j'apprécie cette liberté "conduite", au vu de ce que ça signifie réellement pour toi et pour moi. ^^"

Avatar de isallysun isallysun Mode Lecture - Citer - 19/03/2013 19:13:49

Thaumiel a dit :

Il m’a dit qu’il aimait bien conduire, que ça le détendait, c’était fluide et doux, ça permettait d’oublier. je mettrais des que c'était fluide, que ça, car sinon je trouve la construction bizarre
D’oublier le fascisme, j’ai dit.
Tu nous fais chier.

Je me suis réveillée d’une sieste un après-midi, un sommeil noir, sans rêve, plus noir que noir, j’ai eu l’impression que je sortais du Néant. J’ai eu l’impression que j’avais régressé jusqu’à ma première vie, issue du néant. J’ai eu bien du mal à me reconstituer un semblant de moi consistant.je comprends l'image, mais semblant et consistant si rapproché me fait bizarre En fait, plusieurs heures. C’est alors que j’ai pris une douche, que j’ai mangé une tranche de pain dans la cuisine, je suis sortie comme un robot, un voisin m’a saluée, ça me semblait absurde mais je lui ai répondu comme j‘ai pu, avec le peu de moi qui me restait. Même chose, que manquant pour la construction, mais pour être plus cohérente, je la séparerais en deux ou je mettrais un ; ce qui éviterait les que qui finiraient par alourdirJ’ai fait quelques pas dehors, on aurait dit que je sortais d’une longue convalescence, je me suis postée au carrefour, et j’ai fumé des cigarettes.
[...]

Un type est passé, il s’est arrêté pour me saluer, c’était un patron de café dans lequel j’avais fait une expo, je l’ai reconnu mais comme quelqu'un appartenant à une autre de mes vies, il m‘a demandé ce que je devenais, j’ai prononcé des mots, je ne sais plus lesquels, ni en quelle langue. Il est parti après m’avoir regardée de manière inquiète. j'aimerais que son regard soit plus détaillé
Il était clair que j’avais côtoyé le Néant, que j’y étais entrée même, de plain-pied, et que c’était un problème, c’était peut-être ça D.ieu. Et juste ça. Je ne voyais pas bien comment voir D.ieu ça me gêne cette façon de l'écrireautrement que comme quelque chose de fondamentalement vide et noir, un trou noir d’antimatière. Ça ne rassurera peut-être pas certains.

transition?Je l'ai regardée sans la voir, mon regard venait de derrière mes yeux, elle était postée devant moi, souriante, il me semblait qu’elle avait légèrement vieilli. Je ne sais pas trop si je comprenais ce qu’elle me disait, enfin, je voyais à peu près la situation, elle devait rentrer du travail et m’avait trouvée là, au carrefour, regardant le rien de la rue, en train de fumer mécaniquement ma septième cigarette.
[...]

Je me suis réveillée dans le jour noir. Je n’étais pas dans ma chambre, j’ai senti un corps chaud à côté du mien, j’étais nue - mes yeux se sont habitués à l’obscurité -, j’ai vu la fenêtre et le rideau de voile fin, le corps a bougé, une main a saisi mon cou et des lèvres se sont posées sur les miennes.
Une petite lumière s’est allumée, peut-être la veilleuse d’un radio-réveil ; elle semblait se fiche infinitif?un peu de moi, je m’attendais à ce qu’elle me donne une explication mais elle m’a juste dit : "Il va s’occuper de la boutique demain, je reste avec toi, tant que tu n’existes pas, tu m’intéresses un peu."
Je n’avais rien à dire.
Elle a joué avec mon poignet, puis elle m’a dit "Je ne sais plus…". Tout ce que je sais c’est que nous n’avons pas fait l’amour, j’étais trop immatérielle et elle apparaissait comme une image.


Sinon, j'ai bien apprécié ma lecture même si j'ai eu de la difficulté avec le rythme que tu as imposée. Pour l'ordre, je trouve que ça coule, mais je trouve que la fluidité serait amélioré avec une autre ponctuation. Voilà.