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Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de isallysun isallysun Mode Lecture - Citer - 20/05/2015 03:05:12

Voilà, en avril j'ai vu ceci dans une conversation : « Les gens ne lisent plus, ils écrivent ! Leur chagrin, leur expérience, leur vie... Mais sans style. Des poèmes en vers libres ! Des histoires... » et j'avoue que ça me donnait l'impression que les vers libres étaient dénigrés. Je voulais réagir sur ce point et d'autres dans la conversation, mais avant d'écrire un long paragraphe, je voulais avoir votre avis sur les vers libres. Quels sont vos arguments pour? Vous connaissez des grands poètes qui les ont utilisé? Bref, tout ce qui vous passe par rapport aux vers, libres ou non!

Avatar de naniquolas naniquolas Mode Lecture - Citer - 20/05/2015 10:00:20

« Les gens ne lisent plus, ils écrivent ! Leur chagrin, leur expérience, leur vie... Mais sans style. Des poèmes en vers libres ! Des histoires... »


Les gens ne lisent plus, mais ils écrivent, sauf que du coup ils écrivent mal... Malheureusement pour moi ce n'est pas loin d'être vrai ! Je ne pense pas que ce soit possible d'avoir un style épanoui, efficace, qui donne du relief au récit, si on n'a jamais lu d'autre manière d'écrire que la sienne. J'y ajouterai même une petite touche de pessimisme : en fait les gens lisent toujours, mais ils lisent souvent du "mal écrit" et du coup ça leur donne l'impression que vu que c'est publié c'est ça "bien écrire" alors que le récit pourrait être tellement mieux avec un peu de travail... Bref, je m'y suis longtemps opposé mais j'ai fini par penser moi aussi que c'était mieux avant... Après il y a toujours des livres très bien écrits et très lus, ne serait-ce que certains thrillers, heureusement !

Sinon pour les vers libres, effectivement ce n'est pas gentil de les dénigrer ainsi ! Pour les exemples je pense à Apollinaire, quelques poèmes de Rimbaud, Prévert, Philippe Jacottet, mais aussi toute une foule de poètes vivants sûrement moins connus, qui valent le détour même s'ils ne sont pas considérés comme des "grands" poètes.

Pour moi : il ne faut pas non plus dénigrer la métrique parce que c'est "old school", les vers réguliers donnent une très souvent une vraie qualité rythmique et mélodique au texte, et lors de l'écriture je trouve que cela oblige à travailler davantage ses idées parce qu'on ne peut pas souvent les sortir telles quelles, on est obligé réfléchir à d'autres formulations et souvent on tombe sur des nuances inattendues.
Par contre vers libres ne veut bien sûr pas dire dénués de musique, et ils sont d'une spontanéité qui permet souvent de présenter quelque chose de plus épuré, de plus direct. Ils permettent aussi une plus grande variété dans les ruptures possibles... Bref, comme d'habitude, pour moi il n'y a pas une forme supérieure à l'autre, il y a qu'il faut choisir la forme adaptée à ce qu'on veut que les lecteurs ressentent en lisant le texte.

Avatar de Faël Faël Mode Lecture - Citer - 20/05/2015 10:30:25

Je rejoins Naniquolas dans les grandes lignes... Sauf sur le paragraphe nostalgique du "c'était mieux avant".
Je pense que les gens ont toujours écrit beaucoup. Peut-être que c'est simplement plus visible aujourd'hui... Et dans le lot, il y en a sûrement beaucoup qui... ont des progrès à faire, disons. Ou une marge de progrès importante.(Je me/vous/nous inclus là-dedans).
La métrique est une forme de "l'écriture sous contrainte", qui permet toujours de faire autre chose, différemment, (qu'on aime ou pas).
Quant au vers libre... D'une part, il n'interdit pas la contrainte (qu'elle soit sonore, ryhtmique, visuelle, mathématique ou que sais-je encore.) 'autre part, comme l'a bien dit Nani, c'est une autre forme d'expression, avec un rendu différent pour le lecteur (et l'auteur). Mais je pense faux de dire que c'est une facilité d'écriture.

Avatar de Zinzolin Zinzolin Mode Lecture - Citer - 20/05/2015 11:24:39

Je suis d'accord avec Nani sur l'importance de la lecture dans l'écriture. Je pense que les meilleurs écrivains sont tous ou ont tous été des boulimiques de lecture. Plus on lit, plus on se forge des modèles, des contre-modèles, plus on s'ouvre à d'autres possibilités, plus on a envie de faire des expériences. Le style mûrit en écrivant mais aussi en se confrontant à celui des autres, par emprunts, par oppositions... Souvent, les maladresses, les lourdeurs et même les fautes de syntaxe et d'orthographe toutes bêtes se corrigent en fréquentant d'autres auteurs plus chevronnés. Et je regrette également, même si c'est loin d'être une généralité, que les premiers livres qu'on nous met entre les mains, enfants ou consommateurs de base, ne soient plus si souvent choisis pour la qualité de leur style.
Après, ce que je n'aime pas dans cette affirmation : les gens ne lisent plus, ils écrivent leurs sentiments, c'est l'espèce de mépris qu'elle semble dégager. On ne peut pas interdire aux gens d'écrire leurs sentiments, d'avoir envie de s'épancher et de se faire plaisir. Tant qu'ils ne souhaitent pas confronter cela à un lectorat, être publiés à tout prix, peu importe le style, ce qui compte c'est le bien-être qui en résulte. Je ne suis pas pour refréner les envies d'écrire. Simplement, une fois qu'on se confronte au monde extérieur, le style prend son importance et il faut être prêt à recevoir les critiques.

Quant aux vers libres, je ne comprends pas comment au XXIe siècle, on peut encore affirmer que seule la métrique classique (alexandrins ou autres, rimes riches) et les formes figées (le sacro-saint sonnet) fait la poésie. C'est nier tout bonnement un siècle et demi de littérature (en tout cas française) comme si les derniers grands poètes étaient Victor Hugo et Lamartine. Même Baudelaire, qui pourtant maîtrisait le sonnet à la perfection, a basculé lui aussi dans d'autres formes (les poèmes en prose). La poésie est une affaire de rythme, de sonorités, d'agencement des mots dans leur signification, dans leurs formes, une affaire d'indéfinissable qui crée une certaine densité, un souffle. Cela peut (et a pu bien des fois) s'obtenir par la métrique classique mais ce n'est pas l'unique façon. Et c'est dommage de voir qu'on continue à nous l'asséner comme l'unique forme de poésie, poussant des générations de poètes en herbe (dont j'ai fait partie) à "remplir" des alexandrins de petits mots inutiles parce qu'il faut que ça fasse douze vers, à forcer les rimes jusqu'à la nausée parce qu'il faut que ça rime.
En plus, et là je vais sûrement me faire incendier mais tant pis, je trouve que la poésie rimée, alexandrinée, sonnetisée a fait son temps et ne correspond plus entièrement à l'expression des sentiments et du monde auxquels nous nous confrontons, hommes du XXIe siècle. Bien souvent, même s'il y a de belles exceptions, un sonnet du XXIe siècle même parfaitement maîtrisé sonne comme un brillant pastiche et non comme l'expression d'un esprit ou l'épanchement d'une âme uniques, originaux. Certes, l'amour (par exemple) n'a pas changé mais dix siècles de littérature ont déjà épuisé les manières de le chanter en sonnet décasyllabique ou d'alexandrins et tenter de faire la même chose, c'est souvent emprunter les mots d'étrangers pour écrire ce qu'il y a en nous de plus intime. Après, c'est peut-être juste mon sentiment personnel mais les mots qui me viennent, les rythmes qui me viennent pour exprimer mes sentiments, ne sont jamais ceux des poètes lyrique et romantiques du XIXe, par exemple. S'entraîner aux vers et aux pastiches, pourquoi pas, mais pour trouver une réelle originalité, il me semble qu'il faut au moins essayer d'aller voir ailleurs, même si c'est pour revenir ensuite aux vers, riche de nouvelles possibilités syntaxiques, de nouvelles formules, de nouveaux mots qui donneront cette étincelle neuve aux formes anciennes.

Avatar de Faël Faël Mode Lecture - Citer - 20/05/2015 20:47:12

Zinzolin, je t'incendie pour la forme (puisque tu le demande) mais je suis d'accord avec toi. Les formes fixes écrites aujourd'hui font très "exercices de styles", qui ont leur intérêt, mais qui peuvent aussi conduire à une imitation qui, bonne ou mauvaise, fera toujours redite.

Avatar de MKL MKL Mode Lecture - Citer - 20/05/2015 21:04:27

Zinzo présidente! Zinzo présidente!

Avatar de naniquolas naniquolas Mode Lecture - Citer - 21/05/2015 11:42:56

Ô malheureux sonnet, forme reine autrefois
Ton éclat se ternit et tes maîtres sont morts
Idole empoussiérée, le déchu rois des rois
C’est en vieux bibelot qu’on t’admire et t’honore.

Vieillard, où est ta force ? Et où est ta grandeur ?
Tes exploits ressassés ont goût de fruits trop mûrs
Mais tu trembles, vieillard ? Et voici que tu pleures !
Chêne majestueux tâché de vergetures

Hélas ! La loi est dure, et les idoles fanent
Traînées derrière un char par un guerrier crâne
On fera des reliques de leur aimé squelette

Mais pour toi, vieux sonnet, pas d’ultime bataille
Tu n’auras pas la gloire des grandes funérailles
Va-t’en dans le placard des maisons de retraite.

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version originale :

Ô malheureux sonnet, forme reine autrefois
Ton éclat se ternit et tes maîtres sont morts
Idole empoussiérée, le déchu rois des rois
C’est en vieux bibelot qu’on t’admire et t’honore.

Vieillard, où est ta force ? Et où est ta grandeur ?
Tes exploits ressassés ont goût de fruits trop mûrs
Vieillard, pourquoi tu trembles ? Vieillard, pourquoi tu pleures ?
Chêne majestueux tâché de vergetures

Hélas ! La loi est dure, et les idoles fanent
Traînées derrière un char par un guerrier crâne
On fera des reliques de leur aimé squelette

Mais pour toi, vieux sonnet, pas d’ultime bataille
Tu n’auras pas la gloire des grandes funérailles
Va-t’en dans le placard des maisons de retraite.

Avatar de Zinzolin Zinzolin Mode Lecture - Citer - 21/05/2015 16:26:28

Merci d'illustrer aussi brillamment ma théorie !^^ (Je peux faire ma chieuse ? Le septième vers à un pied de trop, il faudrait dire : vieillard pourquoi trembler.)
Non sérieusement, il y a du souffle et de la classe et tu réussis à y incorporer du neuf, du Naniquolas, mais en même temps, il y a cette impression de pastiche parce que le rythme, parce que les rimes, parce que les inversions ici etc...

Avatar de naniquolas naniquolas Mode Lecture - Citer - 21/05/2015 22:53:54

De rien^^. (Ou alors "Mais tu trembles, viellard, vieillard pourquoi tu pleures"... Ah ouais, peut-être.Le vers onze est critiquable aussi vu le "e" à l'hémistiche qu'il faudrait éliser, mais bon j'ai préféré garder le souffle plutôt qu'une rythmique irréprochable, vu que de toute manière je n'ai fait que des rimes pauvres donc mon sonnet était déjà plutôt médiocre en qualité^^. Mais les maîtres sont morts...)

Avatar de Faël Faël Mode Lecture - Citer - 21/05/2015 23:00:58

Ahah, j'adore nani, merci !
Mais du coup, tu ne nous aides pas : tu enterres le sonnet par un faux pastiche qui a du peps et est plein d'humour...

Avatar de isallysun isallysun Mode Lecture - Citer - 02/06/2015 20:57:24

merci pour vos avis, c'est moi qui pensait qui était dans le champ en trouvant que son avis paraissait méprisant, mais je vois que je ne suis pas la seule. En général, je suis d'accord avec ce que vous avez dit! nani, je peux copier ton poème lorsque je vais écrire ma réponse sur le groupe?
à la prochaine fois que j'aurai une connexion internet. En attendant, vous pouvez continuer de débattre sur l'évolution des vers :P

Avatar de naniquolas naniquolas Mode Lecture - Citer - 02/06/2015 23:16:39

Tu peux copier, bien sûr ! J'en suis même honoré (de Balzac... Pardon.) "naniquolas" comme signature ça ira très bien.

Avatar de isallysun isallysun Mode Lecture - Citer - 07/06/2015 23:50:32

Bon, j'ai été répondre à la conversation! Hâte de voir à quel point le gars va défendre les vers métriques. Je vous en redonnerai des nouvelles Petit Sourire
et je ferais même un parallèle avec l'art pour le passage de zinzolin sur le fait d'être dans son temps, pcq même si je ne suis pas devenue fan des courants modernes, mes cours d'histoire de l'art m'ont montré la pertinence de ces courants plus abstraits


Je serais curieuse de voir si les poèmes préférés du forum sont tous en vers métriques...

Avatar de isallysun isallysun Mode Lecture - Citer - 14/06/2015 22:06:37

réponse sur facebook:
de grands ont écrit en vers libre... Mais certainement ! Toutes les qualités que vous citez sont primordiales, mais malheureusement peu les maîtrisent. Surtout chez l'amateur qui ne fait que couper ses phrases et les empiler vulgairement.
Pour ce qui est du sonnet, bien que souvent parfaitement illisible et d'un ennuie mortel, il aura le mérite de sa difficulté et de sa recherche.

êtes-vous d'accord avec sa dernière phrase?

Avatar de Faël Faël Mode Lecture - Citer - 14/06/2015 23:21:46

Avec une phrase si bien tournée, difficile de lui donner tort : chaque contre-exemple que tu lui donneras fera partie des exceptions à son "souvent" !
Cela dit, certains auteurs ont écrit des sonnets bien ennuyant, c'est vrai. Illisible ? Difficile d'accès, c'est parfois certain, mais je ne pense que cela tienne tant à la forme du sonnet qu'au contexte d'écriture : quand on lit Du Bellay ou Shakespeare (je pense au théâtre plutôt qu'aux sonnets de ce dernier), ce qui rend la lecture difficile, c'est l'éloignement (spatio-)temporel ! Les changements de la langue et de références communes au lecteur et à l'auteur !
Et puis bon, critiquer les "amateurs", c'est facile : personne ne l'oblige à les lire !