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Arbre

Le Temps des Rêves

Je suis d'accord avec Nani sur l'importance de la lecture dans l'écriture. Je pense que les meilleurs écrivains sont tous ou ont tous été des boulimiques de lecture. Plus on lit, plus on se forge des modèles, des contre-modèles, plus on s'ouvre à d'autres possibilités, plus on a envie de faire des expériences. Le style mûrit en écrivant mais aussi en se confrontant à celui des autres, par emprunts, par oppositions... Souvent, les maladresses, les lourdeurs et même les fautes de syntaxe et d'orthographe toutes bêtes se corrigent en fréquentant d'autres auteurs plus chevronnés. Et je regrette également, même si c'est loin d'être une généralité, que les premiers livres qu'on nous met entre les mains, enfants ou consommateurs de base, ne soient plus si souvent choisis pour la qualité de leur style.
Après, ce que je n'aime pas dans cette affirmation : les gens ne lisent plus, ils écrivent leurs sentiments, c'est l'espèce de mépris qu'elle semble dégager. On ne peut pas interdire aux gens d'écrire leurs sentiments, d'avoir envie de s'épancher et de se faire plaisir. Tant qu'ils ne souhaitent pas confronter cela à un lectorat, être publiés à tout prix, peu importe le style, ce qui compte c'est le bien-être qui en résulte. Je ne suis pas pour refréner les envies d'écrire. Simplement, une fois qu'on se confronte au monde extérieur, le style prend son importance et il faut être prêt à recevoir les critiques.

Quant aux vers libres, je ne comprends pas comment au XXIe siècle, on peut encore affirmer que seule la métrique classique (alexandrins ou autres, rimes riches) et les formes figées (le sacro-saint sonnet) fait la poésie. C'est nier tout bonnement un siècle et demi de littérature (en tout cas française) comme si les derniers grands poètes étaient Victor Hugo et Lamartine. Même Baudelaire, qui pourtant maîtrisait le sonnet à la perfection, a basculé lui aussi dans d'autres formes (les poèmes en prose). La poésie est une affaire de rythme, de sonorités, d'agencement des mots dans leur signification, dans leurs formes, une affaire d'indéfinissable qui crée une certaine densité, un souffle. Cela peut (et a pu bien des fois) s'obtenir par la métrique classique mais ce n'est pas l'unique façon. Et c'est dommage de voir qu'on continue à nous l'asséner comme l'unique forme de poésie, poussant des générations de poètes en herbe (dont j'ai fait partie) à "remplir" des alexandrins de petits mots inutiles parce qu'il faut que ça fasse douze vers, à forcer les rimes jusqu'à la nausée parce qu'il faut que ça rime.
En plus, et là je vais sûrement me faire incendier mais tant pis, je trouve que la poésie rimée, alexandrinée, sonnetisée a fait son temps et ne correspond plus entièrement à l'expression des sentiments et du monde auxquels nous nous confrontons, hommes du XXIe siècle. Bien souvent, même s'il y a de belles exceptions, un sonnet du XXIe siècle même parfaitement maîtrisé sonne comme un brillant pastiche et non comme l'expression d'un esprit ou l'épanchement d'une âme uniques, originaux. Certes, l'amour (par exemple) n'a pas changé mais dix siècles de littérature ont déjà épuisé les manières de le chanter en sonnet décasyllabique ou d'alexandrins et tenter de faire la même chose, c'est souvent emprunter les mots d'étrangers pour écrire ce qu'il y a en nous de plus intime. Après, c'est peut-être juste mon sentiment personnel mais les mots qui me viennent, les rythmes qui me viennent pour exprimer mes sentiments, ne sont jamais ceux des poètes lyrique et romantiques du XIXe, par exemple. S'entraîner aux vers et aux pastiches, pourquoi pas, mais pour trouver une réelle originalité, il me semble qu'il faut au moins essayer d'aller voir ailleurs, même si c'est pour revenir ensuite aux vers, riche de nouvelles possibilités syntaxiques, de nouvelles formules, de nouveaux mots qui donneront cette étincelle neuve aux formes anciennes.