ENTRER: franchir une frontière
Pousser la porte et entrer. Ouvrir. Sentir le bois chaleureux sous ses doigts. S’imprégner de l’odeur. Observer les membrures plus sombres, là où le verni n’est pas resté. Entendre le bruit des gonds. Sentir le souffle de l’air. Dans son corps l’émotion prend forme. On sait où on va. On est déjà venu. Ou alors, on n’est jamais venu, et l’appréhension est plus grande. Mais on sait quand même. Qu’on a déjà vu la pièce. Lorsqu’on pose sa main sur la poignée, ou quand on la pose bien à plat, paume écrasée sur le bois, sur la porte, pour ceux qui refusent la poignée, on sent ce sentiment, étrange. Apaisant, mais apeurant. Grisant. On espère. On commence à rêver. On attend le plaisir des yeux. Juste en posant la main sur la porte. Juste ainsi, on frissonne. On se prépare. On attend. Puis la porte est ouverte. On lève un pied. Le droit. Le gauche. A quelques centimètres du sol il vole. Passe la limite invisible. Redescend. Se pose. Effleure le sol. S’ancre. S’enracine. Le deuxième se lève plus rapidement. De façon moins timide. Plus téméraire. Le premier pied d’appréhension. Le deuxième de désir d’aventure. On est entré.
Magnifique. Sublime. Comme j'aime.
Entrer dans l'inconnu, réel ou imaginaire (est-ce finalement si différent ?)...
Est-ce finalement si différent?...
ATMOSPHÈRE : unification des sensations.
L’atmosphère est pleine de mots. Nos pas dérangent le silence. On sent leur présence dans l’odeur des vieux livres. Ils emplissent l’air de leur parfum d’aventure. Quelques fenêtres éclaireraient la pièce si des volets ne les obstruaient pas. Leur peinture s’écaille. On a peur que la lumière blesse. Qu’elle arrache l’encre aux livres. Qu’elle leur face oublier leur devoir. Devoir de mémoire. Quelques traits de lumière, cependant, percent à travers et apportent quelques douceurs, chauffent le bois verni, bien lisse, mais qui craque sous le pied du voyageur qui entre, dérange la poussière.
Pour certains le nez chatouille, pour d’autres le désir d’aventures est trop fort pour s’en soucier. Ils avancent, guidés par l’instinct, le chant des Mots, envoûtant, ensorcelant, le besoin de les observer, les comprendre, s’y laver le corps et l’esprit. Se blottir dans un coin, dans un siège, ou s’asseoir par terre. Ouvrir un livre.
MARCHER : découvrir un lieu.
Marcher dans les rayonnages. On s’est imprégné de la pièce. Désormais on ne fait plus attention à l’endroit. On se concentre sur l’essentiel. Les rayons. Les livres. Pour certains c’est l’habitude qui guide. Les pieds connaissent le chemin. On ne regarde pas, les yeux braqués sur le futur proche, que l’on connaît mais attend avec impatience. Pour d’autres, ce sont les yeux qui guident. De tranche en tranche, mot à mot, on s’enfonce toujours plus loin. On va à droite. On tourne. On retourne. Revient sur nos pas. Le premier tour, dit de repérage, effectué, on recommence le rituel. Deux. Trois fois. Enfin il faut résister à l’envie de tout lire pour l’instant. Alors à regret, presque, on regarde vers où notre cœur balance et on s’y rend. Mais en lançant des regards langoureux aux rayonnages qu’on a choisi d’oublier. Et on marche.
TOUCHER : passer son doigt sur les couvertures.
Les regrets sont trop forts ou la curiosité trop grande. Alors on passe son doigt sur les tranches alignées. On veut sentir les collines de la littérature, les montagnes des titres sur-imprimés, les valons des vieilles couvertures granuleuses, les plaines calmes du papier. On ne vit plus que par le bout des doigts. Nos papilles sont nos extrémités tactiles. On imagine les trésors que renferment tous ces coffres mystérieux. Caresser les tranches.
que de sensations ! J'aime beaucoup.
Je lis toujours ces chroniques avec délice ...
Comme je te l'ai dit sur ton blog Wen, j'adore cette nouvelle plume. Je suis, je crois, décidément plus sensible à la prose. Et celle-ci te va bien.
^^"
Ce n'est pas une nouvelle plume... je me sens très gênée...
CHERCHER : voir à travers.
On sait. Mais on ne sait pas encore que l’on sait. Ou plutôt on se ment. On ne veut pas l’avouer. On sait déjà ce qu’on cherche, ce que l’on veut. Mais pour le plaisir on s’ignore. On continue à faire traîner nos yeux. On regarde partout, sauf là où il faut. On fait semblant de s’intéresser à telle ou telle couverture. « Quel drôle de nom ! », « Jolie police ! », « Ça manque de couleurs… ». Et finalement on ne tient plus. On s’accroupit, se penche, sur la pointe des pieds, du bout des doigts, fébrilement ou sans réserve, on s’étire, se recroqueville. On pose les doigts sur le haut de l’objet tant désiré, et sent - enfin ! - les pages sous nos doigts, nous chatouiller, et quelques grains de poussières. On le penche. Parfois on se dit qu’il va tomber. On le tire. Mais au pire ce sera dans nos bras. On le fait glisser. Petite rotation à nouveau. On se relève. On se détend. On observe la couverture pour vérifier. Oui, c’est bien lui, c’est le bon. Pour faire durer le suspens, on se force à lire la quatrième de couverture. Et enfin on soupire. On a choisi.
MANGER : se rassasier de mots.
Des images à croquer et à laisser fondre sous la langue pour faire durer le plaisir.
Encore !
PATIENTER: rendre les mots plus savoureux
Pas de panique, il en reste encore quelques uns et une deuxième série est vaguement en ébauche (dans ma tête)
SALIVER : se contenter de l'odeur des idées
SALE-HIVER : exprimer son mécontentement à l'ombre de feuilles tombées
UnAutreLapin a dit :
SALE-HIVER :
exprimer son mécontentement à l'ombre de feuilles tombées
Comment tu dis
pas déjà ?
Ah oui...
Edit : A chaque fois que je la relis, je reste scotché, elle est vraiment splendide cette phrase!