Vous devez être connecté pour participer aux conversations !
Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 26/07/2012 19:24:42

La technique de la Taille, ça marche aussi en roman.


Les joutes furent spectaculaires, et les représentations qui suivirent le furent tout autant. Les convives retournèrent ensuite au palais où ils festoyèrent de nouveau jusque très tard dans la nuit. Enjan se libéra peu à peu de ses craintes. Il devait rester digne d’un Roi, mais il décida qu’il n’avait pas besoin de paraître inhumain et insensible. Ce ne fut que vers quatre heures du matin qu’il put s’éclipser discrètement, non sans prévenir son Premier Ministre pour ne pas l’inquiéter. Il se rendit d’abord au petit temple du palais, afin de s’y recueillir, puis, épuisé, regagna sa chambre. Sans prendre le temps de se changer, il s’affala sur le lit. Le sommeil le prit aussitôt.


Avatar de Lune Lune Mode Lecture - Citer - 26/07/2012 20:40:22

Il faut faire attention à ce que ce ne soit pas des choses importantes (dans important, je ne sous entends pas que des choses spectaculaires, au contraire)

"Il devait rester digne d’un Roi, mais il décida qu’il n’avait pas besoin de paraître inhumain et insensible.", c'est important de savoir ce que le héros pense ^^

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 26/07/2012 21:42:25

oui mais une phrase le dit avant déjà, et là c'est un peu trop tranché quand même ^^' et un peu trop rapide. mais je la garde à l'esprit

Avatar de Lune Lune Mode Lecture - Citer - 26/07/2012 22:29:35

fort bien fort bien Clin d'oeil

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 27/07/2012 08:03:14

Aujourd'hui : conseil des ministres ! Je crois que je vais devoir le réécrire pour de vrai !

Avatar de Lune Lune Mode Lecture - Citer - 27/07/2012 09:15:14

Je ne relèverai pas le "pour de vrai" (après tous les "pour de vrai" qu'il a déjà eu ^^)

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 27/07/2012 10:59:08

oui ^^
là j'ai l'impression d'être en déménagement : j'ai des copies de bout de paragraphes sur dix milles fichiers word, des mots qui volent dans tous les sens et certains passent par la fenêtre...

Avatar de Lune Lune Mode Lecture - Citer - 27/07/2012 14:20:41

Très jolie scène !

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 27/07/2012 18:13:41

La plus grande scène coupée de toute l'histoire (pour tester les capacité d'un message sur ce forum) :
(la nouvelle version disponible en spoiler en bas ^^)

Tout en faisant son discours, qu’il avait préparé depuis longtemps, il garda ses mains appuyées sur la table pour ne pas que les autres les voient trembler. En temps normal, il était parfaitement calme et n’avait pas de tic. Mais, debout, il sentait sa fièvre remonter. Dès qu’il eut terminé de parler, il s’assit sous les applaudissements polis des Ministres. Il nota que certains s’abstenaient. Enjan posa rapidement son regard sur chacun d’entre eux, de gauche à droite. Ils étaient assis dans l’ordre d’importance de leur ministère, celui à la droite du Roi était le plus important.
Tout de suite à sa gauche se tenait le Ministre de la Ville et du Palais, chargé de s’occuper de l’aménagement de la ville de Corona, et de l’entretien du palais, c’était l’ancien Intendant. Vieil homme, aux cheveux gris éparses, il avait de petits yeux fatigués et son visage était sillonné de rides. Enjan le connaissait bien. Le Ministre était toujours discret, mais il ne perdait pas une miette de ce qu’il se disait. Son regard fatigué cachait une vivacité d’esprit étonnante. C’était un grand ami de son père, qu’il retrouvait souvent le soir pour faire de longues parties de tuiles . Depuis toujours, sa famille, les Houildegardes, était du parti du Roi.
Ensuite se trouvait le Ministre du Peuple, Enalte Enfaux, un grand homme aux épaules carrées, tout comme son visage aux pommettes proéminentes. Il avait des cheveux courts, d’un blond tirant vers le châtain. Ses yeux étaient attentifs. Il portait des habits du peuple, en sa qualité de porte parole de celui-ci. Son travail était d’informer le Roi de ce que la population désirait, et de relayer au peuple les décisions de leur souverain. D’après Kenja, les Ministres du peuple avaient toujours été désintéressés du pouvoir.
Le Ministre des Ressources, Joyn Allams, était assis à sa droite. C’était un grand homme, qui se tenait droit comme un i . Il portait des lunettes rondes qui occupaient une grande partie de son visage. Ce Ministre passait le plus clair de son temps enfermé avec ses collaborateurs dans leur bibliothèque, pour faire les inventaires des différentes denrées du pays. Avec les trois jours de fête du couronnement, les stocks devaient être au plus bas. Le Ministre n’était pas du genre à crier ses pensées sur tous les toits, et Enjan ne savait pas de quel côté de la balance il se situait : du sien ou de celui de son oncle. Cependant, l’avidité qu’il lut dans les yeux du Ministre lorsque leurs regards se croisèrent lui glaça le sang. Apparemment, ce n’était pas un ami.
Puis venait le Ministre des Relations Extérieures. Enjan pensa immédiatement à le faire changer de place. Son père, à son avis, avait trop négligé ses voisins, et il était temps d’y remédier. Le Roi retint pourtant l’élan qui l’avait saisi. Il devait commencer par arranger la situation dans son propre pays avant de s’occuper de l’Île. Losaï Delavi était un homme d’une quarantaine d’années, comme la plupart des Ministres, dont le visage faisait immanquablement penser à celui d’une fouine. Il avait les épaules voûtées, ce qui contrastait avec la pause de son voisin. Enjan le savait plutôt du côté de son oncle, ce qu’il regrettait car c’était un Ministre très compétent, lorsqu’il s’intéressait à son travail. Sans lui, le royaume aurait été plus d’une fois en guerre. Il regardait d’un air absent son verre de vin déjà à moitié vide.
Après se trouvait le Ministre des Guildes, représentant des différents corps de métiers de l’Île au Conseil. C’était un homme au visage buriné et bronzé par la vie en plein air, puisqu’il était presque constamment en voyage. Skiwan Oliro était assez petit, et de son métier Maître Négociateur. D’après ce qu’Enjan savait , c’était un combattant acharné, qui aimait la guerre, comme l’attestaient les nombreuses cicatrices qui couvraient ses bras et son torse. Il portait une chaude tunique de cuir brun, comme s’il était prêt à repartir sur les chemins. Lui semblait plutôt du côté de son oncle, ce qui dérangeait Enjan car, à force de voyager, le Ministre s’était fait de nombreuses connaissances, qui allaient des meilleurs Maîtres de Guilde aux malandrins de grands chemins.
Suivait le Ministre de la Vie Citoyenne, chargé de l’éducation des enfants, de la mise en place d’activités culturelles et d’entraide. Son ministère était en étroite collaboration avec le Ministre de la Ville. Il répondait au nom d’Unsens le Sévère et méritait bien cette appellation d’après ses subordonnés. Son visage était sec et ses joues creuses. Ses yeux pénétrants semblaient voir à travers les choses. Cependant, ce regard ne gênait pas du tout Enjan qui avait confiance en ce personnage, d’apparence renfermé et grognon. Le Roi remarqua qu’Unsens jetait des coups d’œil agacés à son voisin, le Ministre des Armées.
Ce dernier était admirablement bâti et superbement musclé. Il devait dépasser chaque personne de l’assemblée d’une bonne tête. Ce géant s’appelait Albertz d’Argate et n’inspirait pas le moins du monde confiance à Enjan, bien que, d’après Kenja, ce Ministre était tout à fait de son côté. C’était le seul à ne pas avoir de verre : une énorme chope était posée à côté de lui.
Le Ministre suivant, l’avant dernier, était celui de la Justice et le gardien des trésors nationaux, comme par exemple l’épée, le sceau, la couronne et la coupe qui avaient été remis à Enjan lors de son intronisation. Il s’occupait aussi de juger les criminels, de créer de nouvelles lois et d’adapter les existantes au besoin du peuple. Aled Jared était un homme à la peau basanée. Il n’était pas né en Nadane, mais venait du sud-ouest de l’Île. Sa famille était venue se réfugier à Corona lorsque les Nains avaient déclaré la guerre aux peuples de Silalës. Depuis, il avait rapidement gravi les échelons, et maintenant il se trouvait à l’un des postes les plus importants du royaume. C’était un homme extrêmement intelligent et très effacé. Il participait peu à la vie de la cour du Roi et passait le plus clair de son temps au Ministère de la Justice, qui se trouvait derrière l’Académie des Sciences. Il faisait un excellent travail, et Enjan l’appréciait beaucoup.
Enfin, juste à droite du Roi, se trouvait Kenja, qui occupait le poste de Ministre de l’Etat et Premier Ministre depuis longtemps, toujours aux yeux d’Enjan . Le Ministre remonta ses lunettes sur son nez et ouvrit la réunion :
— Messieurs, je vous remercie de votre présence à ce conseil exceptionnel ! Aujourd’hui est le premier jour de règne de notre nouveau Roi, Enjan Atalan Midakil, fils de feu Chrys Elian Midakil. Comme le veut la tradition du royaume, cette réunion ne se tient que pour faire un bilan complet de la situation du pays. Demain s’en tiendra une complémentaire où seront prises les décisions nécessaires.
Le Premier Ministre fit une petite pause pour laisser les Ministres mémoriser ses paroles puis reprit :
— Je propose que nous commencions le tour de table par le Ministre de la Ville et du Palais, Monseigneur Houildegardes.
L’intéressé se redressa pour prendre la parole :
— Tout d’abord, félicitations, mon Roi, pour votre couronnement qui s’est fort bien passé.
Enjan inclina légèrement la tête pour le remercier.
— Ce que je vais dire, commença le Ministre avec un air grave, sera à mon avis confirmé par tous ici, et recoupera les rapports dont vous devez déjà avoir pris connaissance.
Il fit une petite pause pour arranger ses papiers. Il avait préparé ce jour depuis longtemps, choisi chacun de ses mots avec soin et étudié son discours avec attention. Il connaissait déjà les réactions que provoqueraient ses propos dans l'opposition et il n'avait aucune envie de lancer les hostilités, mais puisque c'était à lui de prendre la parole, il devait bien s’y résoudre.
— Il n'y a rien à dire sur le Palais. Du moins rien d'important. Concentrons-nous sur la ville. L’ambiance de la cité se dégrade. Votre couronnement, Majesté, a mis un peu de réconfort dans le cœur des citoyens...
— Et à quel prix... maugréa Joyn Allams.
Il renifla dédaigneusement.
— ... mais, en vérité, le moral de la population ne cesse de chuter avec le temps, continua le Ministre sans prendre garde à la remarque de son confrère. La population vit avec un sentiment d’insécurité constant. Après les Guerres, il y a un peu moins de trois cents ans, la situation était complètement différente. Le pays était dévasté, comme toute l’Île ou presque, et il fallait reconstruire au plus vite les bâtiments nécessaires. Mais il y avait alors encore un semblant d’organisation.
— Parce que maintenant on ne fait plus semblant, ne put s'empêcher de lâcher Skiwan Oliro entre ses dents.
Kenja jeta un regard assassin au Ministre qui venait de murmurer ces mots. Enjan vit le général d’Argate serrer sa large chope militaire dangereusement. Vu ses mains de géant, et les veines tremblotantes qui saillaient de ses avants bras, il risquait de la faire exploser. Le Roi se rengorgea pour signifier au Ministre de la Ville de continuer à parler et tenter de calmer la situation. Kenja l'avait averti des tensions qui régnaient au conseil. Mais il ne s’était pas attendu à cela.
Le Maître de Guilde Oliro restant de glace face à l'effet de sa première participation à la discussion, Aran Houildegardes reprit le fil de son discours, imperturbable :
— Une fois le minimum vital réalisé, la situation a changé. Les gens se sont doucement relâchés et les choses ont, d’une certaine manière, empiré. Des brigands de grands chemins, le Ministre se mit un peu de travers et leva son index pour imager ses mots, il y en a toujours eu à rôder derrière nos murs ! Mais là, non seulement leur quantité a décuplé, mais d’importants réseaux se sont créés dans l'enceinte de la cité. Vols, escroqueries, trafics de biens ou d’êtres humains… et plus rarement meurtres. De plus, depuis quelques temps, les truands des campagnes remontent jusqu’en ville, ce qui fait naître des conflits. Ils se battent dans les rues, impliquent des civils dans leurs représailles, ou des prises d’otages. A part le quartier des résidences et l’Académie, qui sont protégés tant bien que mal par les Magiciens et les Chevaliers, toute la ville est partagée entre ces bandes rivales.
Enjan prit sur lui pour ne pas avoir l'air affolé. Il savait que la situation était mauvaise, mais à ce point il ne l’avait qu’imaginé… vaguement. Ce qui le désespérait, c’était qu’il n’avait aucune idée de la manière dont il fallait s’y prendre pour régler ce genre de problème. Et apparemment, il y en avait encore bien d’autres qu’il ne connaissait pas.
— A cause de ces conflits, continuait le Ministre, Corona est mal approvisionnée en denrées alimentaires, mais aussi en matières premières et en produits plus travaillés. Ce point est inquiétant pour deux raisons qui s’associent : premièrement, les inondations saisonnières sont annoncées pour bientôt, et personne n’ignore qu’il nous faut organiser le stockage des denrées en vue de cet évènement. De plus, il faut apporter de nombreuses réparations à notre réseau de ponts flottants. Là est le deuxième problème : la pénurie de matériaux de construction, mais surtout l’absence de sécurité, font que certaines guildes refusent d’intervenir dans la ville. Hélas pour nous, elles sont tout à fait dans leurs droits.
Un grognement peu discret du Ministre des Guildes Oliro appuya ces derniers mots. Alors que Losaï Delavi sirotait bruyamment son vin, le Ministre des Armées s'agita et sa cotte de maille émit un cliquetis métallique. Se sentant obligé de surenchérir, le Ministre des Ressources grinça désagréablement des dents. Aran Houildegardes leva les yeux au ciel. Il feuilleta une dernière fois ses papiers puis leva la tête. Il avait terminé son rapport.
— Je vous remercie, dit Enjan.
Il se composa un petit sourire amical.
— Monsieur Enfaux, si vous voulez prendre la parole…
Le Ministre du Peuple inclina la tête pour remercier le Roi.
— La situation est catastrophique et s’embourbe, dit-il tout de go. Le peuple attend beaucoup de vous. Les fêtes.... étaient plus que bienvenues.
Un nouveau grincement de dents fit frissonner Enjan. Il jeta un regard qu'il voulut neutre au Ministre des Ressources pour lui signifier de se calmer. Le Seigneur l'avait fait exprès. Kenja se redressa. Le Roi sentait l'aura de colère qui enveloppait son conseiller, mais, rompu aux jeux de la politique, le Premier Ministre restait calme et détendu, contrairement à Albertz d’Argate. Enjan avait pitié de la chope que le guerrier tenait entre ses doigts de fer. Il l'entendait presque crisser. Les autres Ministres semblaient habitués à ces petits manèges silencieux, comme le prouva Enalte Enfaux qui continuait comme si de rien n'était. Le Roi se sentait pris dans un panier de dagons .
— Mais maintenant, elles sont finies ! La morosité va revenir. C’est dit. Après la guerre, les choses ont semblé aller de mieux en mieux ... et pourtant aujourd'hui, on se croirait revenu à notre point de départ ! Même si, comparé aux autres pays, on s'en sort plutôt bien. De moins en moins d'enfants vont à l'école. Du coup, les Guildes ne prennent plus de nouveaux apprentis. Imaginez ! Il faudrait tout leur apprendre. Impensable !
Enjan fit un effort colossal pour ne pas sursauter face à ce haussement de voix. Le Ministre des Relations Extérieures ne fut pas aussi élégant en sortant de sa torpeur, plutôt profonde. Il se mit à jouer avec son verre de vin.
— Quant à l’espérance de vie… elle a longtemps oscillé entre quarante et soixante ans depuis la guerre.
Enalte Enfaux arrêta de parler à l’ensemble de la table et plongea son regard, direct et franc, dans les yeux de son confrère qui semblait s'ennuyer :
— Nous sommes maintenant à quarante trois. C’est mauvais !!!
Hypnotisé, le Ministre des Relations Extérieures sursauta brusquement face à ce nouvel éclat de voix. Il en lâcha son verre qui vacilla avant de renverser tout son contenu sur la table. Joyn Allams se moqua ouvertement, pendant qu’Aled Jared allait chercher de l’aide pour nettoyer la table. Enjan en profita pour ordonner une pause et sortit de la salle, sous prétexte d’aller s’assurer que tout allait bien pour les rois alliés qu’ils avaient invités. Le premier Ministre le suivit. Mais au lieu d’aller se promener dans le palais, le Roi tourna directement à droite et entra dans le conduit sombre où Wen se cachait pour surveiller la réunion. Kenja les rejoignit rapidement.

Depuis la pièce secrète, Enjan entendait encore Joyn Allams pester. Il soupira.
— Je ne tiendrai pas une minute de plus, avoua-t-il à la Princesse.
— Ne vous inquiétez pas, ironisa Kenja, vous n'êtes pas au bout de vos peines...
Enjan grimaça. Wen compatit. Le Roi ressemblait à une boule de nerfs. Il retenait tant bien que mal sa colère, mais la Princesse le sentait bouillir. Elle aurait été dans le même état à sa place. Ce conseil ressemblait à une mauvaise farce. Mais au moins le Roi s'en souviendrait et ferait en sorte d'éviter de telles catastrophes par le futur. A tout jamais.
Kenja épiait par la petite ouverture les servantes qui s'agitaient pour nettoyer la table et le sol, remplacer les pichets vides et changer les verres. Elles évitèrent soigneusement de toucher à la chope du Général d'Argate qui les observait d'un regard terrible.
— Faut-il vraiment y retourner ? demanda Enjan.
Wen posa une main sur l'épaule de son protégé et la pressa doucement. Un calme étrange envahit le Roi et ses muscles se décontractèrent. Il prit une grande inspiration.
— C'est important, expliqua Wen, que vous compreniez la situation du royaume dans son ensemble. Et, malheureusement, cette réunion est le meilleur moyen de le faire.
Elle se retint d'ajouter que c'était aussi un bon entraînement pour lui, que par le futur, il se retrouverait dans ce genre de situations à nouveau, surtout lors de réunions qui rassembleraient plusieurs dirigeants de l'Île. Cela Enjan le comprendrait tout seul, lorsqu'il aurait plus de recul.
Ils entendirent des raclements de chaises. Les servantes se retiraient sous les regards toujours aussi méfiants du Ministre des Armées et les reniflements énervés de Joyn Allams. Enjan se crispa à ce seul bruit. Son Ombre accentua la pression sur son épaule et un nouveau courant apaisant traversa le Roi. Il se força à respirer profondément et fit demi-tour sans un mot pour la Princesse. Il devait garder tout son courage et sa patience. Kenja le suivit, l'air fatigué. Wen fut très heureuse de ne pas avoir à assister à cette réunion . En tant que spectateur, c'était déjà bien assez fatiguant.

Enjan perçut avec effroi l'air chaud de la salle lui sauter au visage. Mais il ferma les yeux, se remémora la sensation de calme qui l'avait envahi lorsque Wen l'avait touché, et avança dans la salle d'un pas assuré et confiant. Il s'assit. Kenja l’imita avant de redonner la parole au Ministre du Peuple.
— Il ne me reste plus qu’un point à aborder, déclara celui-ci. Le travail. Un vent... un ouragan !!!
Le Roi réprima un nouveau sursaut avec agacement. La pause n'avait rien amélioré. Le Ministre des Ressources ricana alors que Losaï Delavi retenait un grognement, dégouté d'avoir été interrompu dans sa nouvelle rêverie. Seul Enjan entendit le petit soupir poussé par Kenja. Il compatit avec son conseiller. Si cela durait depuis que son père était au pouvoir, il pouvait comprendre leur situation désastreuse.
— Un ouragan de fainéantise s’est répandu sur le pays !! continua Enfaux. La plupart des gens ne travaillent plus ! Ou juste pour eux. Ils en ont assez que leurs efforts soient réduits à néant par des malfrats. Des soldats désertent. Les Nobles et certains Seigneurs ne font plus leurs devoirs, ne protègent plus les gens sous leur juridiction…
Enjan intercepta le regard assassin que le Ministre du Peuple jeta à Joyn Allams. Apparemment ce dernier aurait dû se sentir visé. Le Seigneur se contenta de sourire doucereusement.
— Bref, c’est le chaos… Le chaos s’empare peu à peu de notre société !
— Merci pour cet exposé... éclairant, dit Enjan. Monseigneur le
Ministre des Ressources ?
Le regard froid et la mimique sévère qui étaient sur le visage du Ministre refroidirent l’enthousiasme d’Enjan qui s'apprêtait à lui sourire. Il espéra que personne n’avait remarqué l’embarras qui l’avait saisi une fraction de seconde. Il n’avait pu s’empêcher de penser aux yeux gris de son oncle, tout aussi froids que celui du Ministre des Ressources.
— Tout d’abord, dit Joyn Allams d’un ton acerbe, sachez que les fêtes qui se sont déroulées ces derniers jours ont largement entamé nos maigres réserves. Mais ça en valait la peine, apparemment…
— Nos réserves étaient suffisamment fournies pour supporter ces fêtes, le contredit Kenja d'une voix cinglante.
Enjan retint son soupir de soulagement et remercia mentalement son premier Ministre. Il était plus que temps de tempérer les humeurs du Ministre des Ressources. Enjan lança un coup d'œil alarmé au Général d’Argate : le bruit de ses doigts moites, crispés sur leur chope, était particulièrement désagréable. Le Roi aurait tout donné pour se lever et abandonner cette réunion. Il fallait qu'elle se termine au plus vite, plutôt que de se prolonger indéfiniment à cause de verres renversés, broyés ou lancés. Il décida que dorénavant seule l'eau serait autorisée dans la pièce, et qu'ils auraient sur place de quoi gérer les quelques problèmes possibles.
— Nous avions de toute façon prévu depuis longtemps un budget spécial pour ce genre d’occasions, déclara Joyn Allams sur un ton de reproche.
Enjan fronça les sourcils, perdu. Le Ministre cherchait-il à semer la zizanie ? Il venait de répéter exactement ce qu'avait dit Kenja, tout en faisant habilement croire que ce n'était pas le cas, et que le Premier Ministre était en tort.
— Il nous reste donc assez de réserves pour pouvoir mettre en place de véritables projets, d’une ampleur raisonnable toutefois. Quand je parle de réserves et de budget, il ne s’agit bien sûr pas d’argent , tout le monde sait qu’il n’y a pas cours d’argent sur cette Île.
Enjan devait contrôler chaque muscle de son visage. Le ton emmiellé et narquois du Ministre l'insupportait, tout comme ses manières sirupeuses. Allams le prenait clairement pour un faible d'esprit ignorant de tout. Le Roi savait très bien que l’argent était une notion étrange que les Terriens avaient inventée. Lorsque les premiers Humains étaient venus sur l’Ile, d’après les légendes, ils y avaient vite renoncé. On ne savait plus pourquoi et personne ne s’en préoccupait.
— Nos réserves et nos budgets sont des bons. Par exemple, un bon peut représenter un lot de dix planches de bois, dix tonneaux de bière... Extraits de nos réserves, évidemment.
Le Ministre employait un ton patient, comme on parle à un enfant.
— Les citoyens ne s’échangent rien entre eux : le travail des uns, lorsqu'il est effectué, est essentiel à celui des autres. Donc pas de problème. Le travail de l’état est de défendre les citoyens et de faire respecter leurs droits, n'est ce pas ?
— Qu’insinuez-vous ? explosa le Ministre des Armées.
Il se leva violemment et frappa la table de ses poings. Sa chope vacilla dangereusement mais retrouva son équilibre.
— Simplement que forcément, avec tous les malandrins qui traînent en ville comme à la campagne, nos réserves ne peuvent que se vider !
— Et si vous étiez plus prompt à nous ouvrir ces réserves, nous pourrions peut-être être plus efficaces !
Enjan se crispa légèrement. Il espérait que Kenja interviendrait.
— Cela aiderait peut-être les Guildes aussi, murmura Aled Jared les yeux perdus dans le vide.
Le Roi vit le visage de Joyn Allams tourner au cramoisi.
— Nous devons garder nos réserves en cas de problèmes majeurs... répliqua ce dernier d'une voix acide.
— Nous sommes en plein problème majeur, rétorqua Enjan sans élever la voix.
Un silence pesant écrasa l'assemblée. Le Ministre des Armées se rassit. Pour la première fois, le sourire de Joyn Allams tomba et une grimace mauvaise prit sa place.
— Quoi qu'il en soit, lorsque l’état a besoin des services d’une guilde, il faut bien agiter une récompense pour la stimuler, et l’aider à sortir de son mutisme…
— Nous donnons des bons aux guildes car elles ne peuvent pas se permettre de réunir la quantité de matériaux dont elles ont besoin par elles-mêmes, cela créerait des pénuries localisées, corrigea Kenja.
— Donc nous leur offrons des bons, réaffirma le Ministre des Ressources en faisant mine de contredire son supérieur. En temps normal, les bons sortent et rentrent de manière constante, cela qui fait que nous possédons toujours un fond de réserve stable, pour équilibrer les échanges. Mais les marchands se font tellement attaquer, sous le laxisme des gens d'armes...
Le Général Albertz d'Argate grogna ostensiblement, une veine battant sur sa tempe. Kenja jeta un regard lourd de sens au Ministre. Il devait apprendre à se contrôler.
— ... que l’on ne reçoit plus la Part, c'est-à-dire que les marchands refusent de nous donner le dixième des marchandises qui nous est normalement dû. Ainsi, c'est le trésor royal que les voleurs nous dérobent peu à peu de manière indirecte. De même, les pays frontaliers étant coupés de nous par les étendues sauvages, peu sécurisées, et les marchands étant autant attaqués chez nos voisins que chez nous, en plus de blocus organisés par quelques groupes particulièrement vicieux, nous n'avons plus de Part de frontière !
Le Ministre jeta un regard atterré à l'assemblée et soupira.
— En résumé, nos bons sont doucement jetés par les fenêtres en ces gracieux jours de fête, mais ne reviennent étrangement pas d'eux- mêmes dans nos coffres ! C’est tout ce que j’ai à dire.
— Merci …
Enjan se retint d’ajouter « pour cet exposé peu utile sur l’économie de notre pays » et continua dans la foulée :
— Monseigneur le Ministre des Relations Extérieures, la parole est à vous.
Pour la première fois depuis le début de la réunion, Enjan crut apercevoir un éclat d'intérêt dans les yeux du Ministre apathique. Ce dernier posa son verre de vin, vide, avant de prendre la parole d'une voix un peu lasse.
— Commençons par nos deux invités, le Roi des Nomades et celui de Mírsyles, le royaume sous-marin du Sud. Nos relations ne font que s’améliorer. On ne peut toutefois pas dire qu’ils seraient prêts à sacrifier leur vie pour nous si un jour nous avions besoin d’aide. Le peuple de Mírsyles est en pleine effervescence, les complots et les tentatives de coups d’état se multiplient. Leur Roi se fait vieux. Nous avons un régiment là-bas, et nous aidons tant bien que mal le peuple à suivre tous ces évènements. Mais les Sirins sont des guerriers sans pitié et nos troupes sont à leur désavantage. Cela fait longtemps qu’elles ne sont pas retournées sur la terre ferme.
Enjan crut entendre le Ministre des Armées maugréer. Le Général, un coude sur la table, la tête appuyée dans sa main, semblait bouder.
— Quant aux Nomades... pour eux tout est pour le mieux. Le peuple avec lequel ils cohabitent, les Gruapes, a retrouvé sa paix. La vie dans le Désert a repris un cours à peu près normal. Par contre, entre Nadane et Mirmines, c’est le chaos total. En Sílhures, le Consilium abuse de plus en plus de son pouvoir.
Le Ministre sembla hésiter un peu avant de continuer à parler...
— Seules deux ou trois villes se détachent du lot... L’Atelier des Scribes de Mirîle par exemple....
Enjan fut abasourdi par les réactions que cette seule phrase déclencha. Kenja se frotta le front avec son pouce et son index pour cacher son embarras, avant d'observer à son tour les autres Ministres. Le Général fit claquer sa langue avec dégoût, pendant que Joyn Allams grinçait des dents plus que jamais, reniflant sans cesse. Pour une fois les deux Ministres semblaient d'accord. Skiwan Oliro murmurait des paroles incompréhensibles, comme une prière adressée aux Sept. Les autres affichaient des expressions ennuyées ou apeurées. Le Roi comprit que les Elfes étaient un sujet sensible. Beaucoup plus que ce qu'il ne l'avait cru. Le Ministre des Relations Extérieures desserra le col de sa chemise, effrayé par le regard pénétrant que lui jetait son confrère des Ressources, puis il reprit la parole, confus :
— L'Atelier des Scribes donc... est d’une grande aide aux populations alentours, même si leur champ d’action est limité… Il faut reconnaître qu’ils se débrouillent bien…
— Admirablement bien, corrigea Aled Jared à mi-voix.
Enjan serra les poings alors que Joyn Allams produisait encore une fois ce grincement désagréable qu'il savait si bien faire. La morgue et l'entêtement qu'il y mettait étaient plus qu'insupportables.
— Malheureusement ce sont les seuls... murmura le Ministre des Relations Extérieures à vive allure pour passer au sujet suivant.
— Ils utilisent sans doute quelque malsaine magie ! accusa le Général d'Argate avec mauvaise foi.
Enjan fut déçu de la remarque. Malgré son sang chaud, le Ministre commençait à lui plaire. Il était dommage qu'il fasse partie des gens embrigadés dans les idées reçues sur les Elfes. Crédule, le Ministre des Guildes glapit.
— Les terres sauvages qui nous séparent de Mirîle sont presque infranchissables, se pressa de le rassurer Delavi, peu de gens s’y risquent. Elles seraient infestées de Dolinges à moitié fous et d’autres espèces qui vivent dans les prairies jaunes : Trolls, Silks, Mvrans et j’en passe. Il en est de même à l’Ouest de notre pays. La forêt et le fleuve nous offrent cependant une bonne frontière. Car ce qu’il faut le plus redouter de l’Ouest ce ne sont pas tant les habitants des Herbes Jaunes, mais plus les Elfes de l'Ithilîle.
Les Ministres s'agitèrent et un silence lourd de sens pesa dans la salle. Tous semblaient mal à l'aise et craintifs, comme si Wensaïlie Mandaniel, bien que normalement très loin dans le palais actuellement, pouvait les entendre. Enjan pensa à la Princesse, en réalité cachée dans la pièce à côté pour le surveiller. Il se demandait bien quelles pouvaient être ses réactions face à cette peur et cette crainte non dissimulées. Mais ce n’était pas nouveau, cette haine envers les Elfes. Depuis la fin de la guerre, les Humains se méfiaient d’eux. Enjan n’avait jamais croisé d’Elfe jusqu’à ce que la Princesse vienne à lui. En fait, peu de personne en avait vraiment rencontré . Cela n'aidait pas à démentir les vieilles légendes. Le Ministre des Relations Extérieures, Delavi, continua en articulant avec difficulté. Il s'épongea le front.
— Jusqu’à présent, l’Ithilîle ne s’est pas montrée hostile ....
— Ha ha ha ! s'exclama le Ministre des Ressources.
Enjan crut que son cœur allait s'arrêter de battre. Il aurait préféré ne jamais entendre ce rire et espérait qu’Allams s'abstiendrait de s'esclaffer ainsi par la suite.
— Pardon, ne s'excusa pas le Ministre d’un ton douceâtre. Je vous en prie. Continuez…
— C’est pourquoi jusqu’à présent nous n'avons rien tenté à l'encontre de ce pays...
— C'est plutôt parce que notre armée a trop peur, se moqua Allams.
— Parce qu'elle meurt de faim oui ! corrigea le Ministre des Armées.
— Parce qu'il n'y a aucune raison que l'on déclare la guerre à l'Ithilîle, les coupa Enjan.
Kenja approuva vigoureusement. Enjan fut consterné de remarquer qu’à part le Premier Ministre, et peut-être Aled Jared, tous les autres membres du Conseil semblaient réellement contre les Elfes. Il se trouva seul et désarmé face à autant de colère. Il ne comprenait plus vraiment cette vieille inimitié , comment un tel sentiment pouvait-il se développer ?
— ... et il nous laissait en paix en retour, termina le Ministre des Relations Extérieures avec un soulagement évident.
Grave erreur d’inattention, remarqua Enjan. Il pensait à Wen, qui les espionnait juste à côté .
— Nous avons quand même invité leur Princesse à venir assister à votre couronnement, Majesté. Il ne faut pas oublier, vous le savez parfaitement, que c’est malgré tout encore l’Ithilîle qui a les pleins pouvoirs sur l’Ile et que nous lui devons, normalement, allégeance.
Enjan freina avec peine son étonnement. De ça, il ne savait rien. Il promit de s’informer plus tard.
— Cette vieille règle idiote ! s'énerva le Ministre des Guildes. Nous n'avons pas besoin de l'Ithilîle !
Le Roi s’abstint de tout commentaire. Oliro n'avait peut être pas besoin de l'Ithilîle, mais lui oui. En tout cas, il avait besoin de la Princesse pour rester en vie. Cette prise de conscience lui tordit les entrailles . Il réfréna la peur qui montait en lui et s'insinuait traîtreusement dans son esprit, puis il remercia son Etoile d'avoir mis Wen sur son chemin.
— Après l’Ithilîle, continua le Ministre heureux d'aborder un sujet moins controversé, il y a tout un morceau de l’Île gouverné par des Seigneurs, de-cì de-là. Un peu comme Nadane, sauf qu’ils n’ont aucun Roi pour maintenir entre eux une certaine organisation. Là-bas, c’est chacun pour soi et les Sept pour tous. Les conflits entre voisins ne sont pas rares, mais rapides : les plus puissants écrasent les plus faibles. Depuis peu de temps, une certaine cohésion est en train de s'affirmer entre eux, avec la renaissance de la Ligue d’Ensi : une sorte d’accord les unit en termes militaires et commerciaux. Si l’un d’eux est attaqué, tous les autres viendront l’aider. Ils privilégient aussi les échanges entre membres de la Ligue, par exemple. Cette Ligue est encore peu avancée, fragile, et les tensions entre les membres sont toujours tangibles. Cependant il est possible avec le temps il sorte quelque chose de bien .
— Ou un ennemi potentiel, grogna le Ministre des Armées.
— On est au moins certains d'une chose, ils ne s'allieront pas avec l'Ithilîle, affirma Joyn Allams.
Le Ministre des Relations Extérieures hocha la tête avant de reprendre :
— Ensuite vient le Silalës, pays des Sirènes d’eau douce, et des Humains. C’est une dictature sans pitié qui s’exerce dans ce pays. Je n’ai, hélas, que peu d’informations à vous donner, messires, il est difficile d'y faire entrer même un simple messager. La Ligue est en conflit avec ce pays. Et les Nains aussi... Nains qui ont retrouvé très vite l’intégrité de leur territoire et qui ont remis en place leurs activités.
— Ils sont comme les Elfes ceux-là, grogna le Ministre des Ressources.
Kenja se rengorgea innocemment. Enjan se retint de toutes remarques supplémentaires. Il sentait sa patience s'effriter doucement.
— Tout va bien pour eux maintenant en tout cas, poursuivit Delavi, mis à part que Silalës mène une politique plutôt agressive à leur égard. Enfin, parlons du royaume maritime du Nord. Ce pays est toujours neutre, ne s’allie à personne et se débrouille tout seul. Il en a la possibilité puisque qu’il n’a subi aucun dommage pendant les Guerres, comme le royaume de Mírsyles au Sud. Voilà…
— Merci monseigneur, dit Enjan.
Le Roi se répéta intérieurement qu’il fallait qu’il fasse des recherches sur la place de l’Ithilîle dans la politique de Codée avant de donner la parole au Monsieur le Ministre des Guildes.
— La situation de ce pays est de loin meilleure comparée aux autres, sans prendre en compte l’Ithilîle ? Elle est meilleure, c’est vrai, mais elle est quand même totalement intolérable !
Tant de véhémence surprit Enjan. Le Ministre été resté plutôt en retrait des débats jusqu'à présent, et la première phrase de son discours, calme et bien tournée, ne laissait pas présager cette animosité refoulée.
— L’insécurité constante, aussi bien dans les campagnes que dans la cité, empêche tout travail de longue haleine, tout projet constructif. Ce qui explique que la situation s’empire. Le gros de la reconstruction est fini. Peut-être. Mais par Dyutre !!! Il reste encore énormément à faire !
Il frappa la table du poing. Enjan aurait voulu s'étonner mais décidément il n'y arrivait plus. Les Ministres avaient tous une personnalité étrange et bien trempée. Il commençait à le comprendre, et craignait leurs futures réunions. Il pria pour qu'il n'y en ait pas.
— Nous, les Guildes, ne demandons qu'à finir notre travail. Mais c'est impossible dans ces conditions. C'est pourquoi nos Maîtres Dominus refusent d’envoyer des artisans hors des ateliers. Et je les comprends ! Quand la situation devient vraiment trop critique nous n'avons pas d'autre choix que de monter des missions de secours, si je puis dire. Mais cela ne résout rien ! Que du provisoire ! Du court terme ! Inutile ! Mais de toute façon on ne nous respecte plus ...
Joyn Allams ricana doucement.
— Oui Monseigneur ! s'exclama l'autre .
Il se leva.
— Dans les ateliers, les Maîtres continuent de s’améliorer, de se défier, de créer de nouvelles œuvres. Il y a des merveilles dans nos mains ! Mais le peuple préfère essayer de faire certaines tâches par lui-même, plutôt que de nous demander de l’aide. Voilà aussi la cause de nos problèmes ! Les choses sont faites de travers, les travaux jamais vraiment finis ! Cela explique aussi le découragement ! Cela explique les retards qui s'accumulent ! Cela explique les ouvrages bâclés !
Le Ministre s'assit et reprit son souffle.
— Il y a cependant encore quelques uns de nos compagnons qui parcourent l’Île, ou qui se sont sédentarisés, pour aider la population. Mais je dois l'avouer, ils sont rares, et la plupart du temps, ils le font contre les ordres de leur Guilde. Les gens se méfient même de leurs voisins. Il n’y a plus de confiance. Perte de moral ? On se croirait en veillée funèbre, oui !!! Et comme il y a de moins en moins de jeunes dans les écoles, nous n'avons plus de novices dans nos ateliers et sur les rares chantiers qu'ils nous restent.
Le Ministre se tut. Il prit le temps d’observer chacun de ses interlocuteurs avant de conclure :
— Il n'y a pas besoin de grandes réunions pour savoir ce qu'il en est de la situation actuelle. Le pays se meurt et tombe en ruine. Fin de l'histoire !
Il s'enfonça dans son dossier, croisa ses bras. Le silence qui suivit fut assourdissant.
Enjan remua entre ses doigts la plume qui lui servait à prendre des notes. Le bilan était bien pire que ce à quoi il s’attendait. D'abord les Ministres. Ils ne s'entendaient pas du tout. Certains ne s'intéressaient qu'à eux, et d'autres faisaient tout pour ralentir les affaires du royaume. Il y avait tout de même quelques bons éléments, mais à quoi bon dans un tel désordre. Il allait sérieusement falloir faire du ménage ! Ensuite, la situation. Le fait qu'elle durait depuis presque deux cents cinquante ans rendait le tout compliqué : les gens auraient peur de changer de vie. Lorsqu’il prendrait des mesures, il devrait prendre garde à ce que cela ne créé/créait pas de nouveaux problèmes, sinon il serait bon pour une révolution. C’était sûrement pour cette raison que ni son père, ni ses prédécesseurs, n’avaient vraiment tenté de faire quoi que ce soit. C’était aussi peut-être à cause de l'inefficacité flagrante du conseil des Ministres. Proposer une solution entraînait souvent de nouveaux ennuis, et le peuple préférait rester à se morfondre plutôt que de tenter de faire changer les choses, et découvrir qu’elles pouvaient être pires. Il sortit de ses pensées et donna la parole au Ministre suivant, celui de la Vie Citoyenne, un homme bien qui n'avait jusqu'à présent fait aucune remarque, et seulement acquiescé aux quelques commentaires cinglants d'Enjan.
— Majesté, je n’ai rien à ajouter. Comme l'a si bien fait remarquer Maître Oliro, nous n’avons presque plus d’enfants en classe, les parents préfèrent les garder chez eux, car ils y sont plus en sécurité, et les faire travailler aux corvées journalières. Il n’y a plus de solidarité, le voisin d'un tel pourrait être en train d’agoniser, personne ne l’aiderait. Une ambiance morose règne sur le pays, et a fortiori sur l’Île. Toutes les valeurs pour lesquelles nos ancêtres s’étaient battus ont disparu.
— Merci, dit Enjan soulagé.
Un discours clair, précis, et surtout rapide et sans polémique. Le Ministre avait eu de la chance.
— Monseigneur le Ministre des Armées ? Enjan usa d’un ton interrogatif pour lui signifier de parler.
Le Roi se força à se détendre, mais il s'attendait au pire. Il entendait déjà Joyn Allams grincer des dents.
— Commençons par le commencement : comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, le mauvais approvisionnement empêche les soldats d’être nourris correctement. Nous sommes plus rationnés qu'en temps de guerre, alors que nos effectifs ne sont même pas au complet ! Lorsque nos Sergents envoient un régiment ou un bataillon en patrouille, seule la moitié revient. Une débâcle. Alors pour ce qui est de chasser la racaille à l'intérieur des terres...
Pendant qu’Albertz d’Argate parlait, Enjan desserra son col d’un geste discret. Il faisait affreusement chaud dans la salle. Il sentait sa fièvre remonter et s’ajouter à la fatigue de la réunion. Ne finirait-elle donc jamais ?
— On ne compte plus les déserteurs. Une débâcle, je disais ! Et le peuple méprise les soldats. Il se sent oppressé par eux. Le sentiment est réciproque : les soldats sont souvent trop réactifs parce qu’ils ont peur de ce que le peuple pourrait faire s’il se révoltait pour de bon... La meilleure défense, vous savez... Nos hommes battent en retraite, on ne peut plus rien faire. Ce n’est pas la peine que je continue à m’apitoyer, c’est la même chose partout : la débâcle.
— C’est ce que j’ai cru comprendre, dit Enjan.
Il remercia le Général d’Argate d’un signe de tête et passa la parole au Ministre de la Justice.
— Ah si ! Attendez, intervint le responsable des Armées, excusez-moi.
Le Ministre des Ressources fit une grimace hautement contrariée, comme si c'était lui qu’Albertz avait interrompu.
— Qu’y a-t-il ? demanda Kenja.
— Cela fait deux ans que l’ordre des Chevaliers a été intégré à l’armée, et je devrais en parler, surtout qu’il y a la réunion cette après-midi. C’est sans doute le corps le plus intègre de l’armée. Un vrai bastion. Il n’y a eu aucun déserteur. Malheureusement un bastion bien fermé : les instructeurs n’y ont fait entrer personne ces dix dernières années. Ce qui fait que sur la centaine de Chevaliers initiaux, il n’en reste que vingt-sept… Vingt-sept combattants aguerris, actuellement sous la direction du Premier Chevalier Aswas de Nuance .
— Très bien, le remercia Enjan. Monseigneur le Ministre de la Justice, qu’avez-vous à nous dire ?
Aled Jared haussa les épaules de dépit. Mis à part pour informer le Roi, cette réunion était une vraie perte de temps. Il lança un regard suppliant à Kenja avant de prendre la parole.
— Notre appareil judiciaire est rongé jusqu’à l’os par des juges corrompus. Il y a trop d’affaires à régler. Les prisons sont pleines. Nous sommes parfois obligés de relâcher certains détenus, sous peine de nous faire attaquer par leur bande. Malgré tout il paraît que quelques personnes, de plus en plus rares, tentent de maintenir l’ordre du mieux qu’elles peuvent dans leur quartier ou village. Beaucoup de travail, et pas assez de temps. Voilà.
— Merci, dit Enjan.
Il appréciait la simplicité du ministre.
— Monsieur le Ministre de l’Etat, la parole est à vous.
— Tout a été dit. Excepté cela : que dans tous les services il y avait de trop nombreuses brebis galeuses .
Des yeux, il indiqua clairement Delavi qui jouait avec son verre de vin, et Allams qui reniflait encore avec dédain.
— Il faut que nous réglions, demain, les problèmes les plus graves, mais nous ne devons pas perdre de vue le futur, il nous faut aussi des solutions durables.
Enjan se retint de lui sauter au coup pour le remercier de son efficacité et de sa diplomatie. Il inspira un grand coup et se leva.
— Messieurs, merci pour ce résumé de la situation. Nous nous retrouverons demain pour prendre les premières mesures qui s’imposent. Sur ce, je déclare le conseil terminé .
Un brouhaha s’éleva dans la salle, chacun discutait avec son voisin. Certains partirent immédiatement, d’autres restèrent dans la salle. Une servante apporta sur un plateau quelques nouvelles boissons et en-cas. Enjan jeta un coup d’œil à Kenja. Celui-ci, bien qu’en pleine discussion avec le Ministre des Ressources, lui signifia de sortir.




haha ! il y a bien une limite de caractère puisque je ne peux pas mettre mon spoiler en entier. Donc un message peut supporter 17 pages A4 en 12 times New Roman, interligne 1.5, soit 62 325 caractères, espaces compris.

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 27/07/2012 18:25:02

Spoiler - Afficher

Tout en faisant son discours, qu’il avait préparé depuis longtemps, il garda ses mains appuyées sur la table. Les Ministres ne devaient pas les voir trembler. En temps normal, il était parfaitement calme et n’avait pas de mouvements parasites lorsqu’il s’exprimait à l’oral. Mais, debout, il sentait sa fièvre remonter. Dès qu’il eut terminé, il s’assit sous les applaudissements polis de ses conseillers. Il nota que certains s’abstenaient. Notamment le Ministre des Ressources, Joyn Allams, le Ministre des Guildes, Skiwan Oliro, et le Ministre des Relations Extérieures, Losaï Delavi. Cela n’étonna pas Enjan. Il savait que les deux premiers ne s’étaient jamais entendus avec son père, ils ne s’entendraient sûrement pas avec lui. Quant au troisième, son regard vide et ennuyé témoignait du fait qu’il ne suivait déjà plus la réunion. Le Roi sentit un abattement soudain le prendre. Avec trois Ministres sur neuf récalcitrants dès le départ, la réunion commençait mal.
Il fit un rapide tour de table du regard. Les Ministres étaient assis, de la gauche vers la droite, dans l’ordre d’importance de leur ministère. C’était une tradition plutôt pratique, qui permettait à un messager ou un invité de juger immédiatement à quel type de gouvernement il avait à faire. Pour l’instant, à la droite d’Enjan se tenait le Premier Ministre, puis le Ministre de la Justice, Aled Jared, et le Ministre des Armées, qui avait son éternelle chope militaire entre les mains. Les derniers ministères, à la gauche d’Enjan, étaient ceux de la Ville et du Palais, dirigé par le Noble Houildegardes, de la Vie Citoyenne, avec à sa tête Unsens le Sévère, et du Peuple, représenté par Enalte Enfaux. En face du souverain se trouvaient donc le Ministre des Ressources, le Ministre des Relations Extérieures et le Ministre des Guildes. Les trois à ne pas avoir applaudi.
Lorsque le silence se fit, le Premier Ministre se leva afin de s’exprimer à son tour. Pour Enjan, Kenja occupait ce poste depuis toujours. Des ridules commençaient à apparaître sur son visage, et ses cheveux blanchissaient, mais il restait le même. Sans prendre le rôle d’un père, le Premier Ministre occupait une place importante dans le cœur du nouveau Roi. L’homme avait après tout largement participé à son éducation, et il avait su être là lorsqu’Enjan avait eu besoin d’un adulte pour l’écouter. Kenja remonta ses lunettes sur son nez puis ouvrit la réunion :
— Messieurs, je vous remercie de votre présence à ce Conseil ! Aujourd’hui est le premier jour de règne d’Enjan Atalan Midakil, fils de feu Chrys Elian Midakil. Comme le veut la coutume, cette réunion ne se tient que pour faire un bilan complet de la situation. Demain, lors d’un deuxième Conseil, nous prendrons les solutions qui s’imposeront. Je propose que nous commencions le tour de table par le Ministre de la Ville et du Palais, le Noble Houildegardes.
L’intéressé se redressa pour prendre la parole :
— Tout d’abord, félicitations, mon Roi, pour votre couronnement qui s’est fort bien passé.
Enjan inclina légèrement la tête pour le remercier.
— Ce que je vais dire, commença le Ministre avec un air grave, sera confirmé par tous ici, et recoupera les rapports dont vous devez déjà avoir pris connaissance.
Il fit une petite pause pour arranger ses papiers. Il avait préparé ce jour depuis longtemps, choisi chacun de ses mots avec soin et étudié son discours avec attention. Il connaissait déjà les réactions que provoqueraient ses propos dans l'opposition et il n'avait aucune envie de lancer les hostilités. Mais puisque c'était à lui de prendre la parole, il devait bien s’y résoudre.
— L’ambiance de la cité se dégrade. Les festivités de ces derniers jours ont mis un peu de réconfort dans le cœur des citoyens...
— Et à quel prix... maugréa Joyn Allams dans un reniflement de dédain.
— ... mais, en vérité, le moral de la population ne cesse de chuter. Elle vit avec un sentiment d’insécurité constant. Après les Guerres, il y a un peu moins de trois cents ans, la situation était complètement différente. Le pays était dévasté, comme toute l’Île ou presque, et il fallait reconstruire au plus vite les bâtiments essentiels. Mais il y avait alors encore un semblant d’organisation.
— Parce que maintenant, on ne fait plus semblant, lâcha Skiwan Oliro entre ses dents.
Kenja jeta un regard assassin au Ministre qui venait de murmurer ces mots. Le Général d’Argate serra dangereusement sa large chope, Enjan entendit le métal gémir. Le Premier Ministre l'avait averti des tensions qui régnaient au Conseil, et lui-même se souvenait avoir assisté à de violentes disputes lorsqu’il espionnait ces réunions avec Kahlan. Mais il ne s’était pas attendu à cela. Il y avait une différence entre observer et être pris dans la nasse.
Le Ministre des Guildes Oliro restant de glace face à l'effet de sa première participation à la discussion, Houildegardes reprit son discours :
— Une fois le minimum vital réalisé, la situation a changé. Les gens se sont doucement relâchés et les choses ont empiré. Des brigands de grands chemins, il y en a toujours eu à rôder derrière nos murs ! Mais là, leur quantité a décuplé et d’importants réseaux se sont créés dans l'enceinte de la cité. Vols, escroqueries, trafics de biens ou d’Humains… et plus rarement meurtres. Pour ne rien arranger, les truands des campagnes remontent jusqu’en ville, ce qui fait naître des conflits. Ils se battent dans les rues, impliquent des civils dans leurs représailles ou dans des prises d’otages. A part les quelques quartiers d’habitations autour du palais, qui sont protégés par la garde des Chevaliers sur la Vieille Muraille, toute la ville est partagée entre ces bandes rivales.
Enjan connaissait l’état du pays, mais l’entendre dire par un autre mettait en évidence la gravité de la situation. Et cela posait une question évidente : comment résoudre ces problèmes ? Il n’en avait aucune idée. Mais son Ombre et le Premier Ministre sauraient sûrement quoi faire.
— A cause de ces conflits, continuait le Ministre, Corona est mal approvisionnée en denrées alimentaires, mais aussi en matières premières et en produits plus travaillés. Cela bloque toute la ville ! Les inondations du début de la Saison Chaude sont annoncées pour bientôt, pourtant nous pouvons difficilement stocker des provisions lorsqu’aucune ne nous parvient ! De plus, il faut apporter des réparations à notre réseau de ponts flottants. Sauf que la pénurie de matériaux de construction, mais surtout l’absence de sécurité, amènent certaines Guildes à refuser d’intervenir dans la ville. Hélas pour nous, elles sont tout à fait dans leurs droits.
Un grognement peu discret du Ministre Oliro appuya ces derniers mots. Alors que le Ministre des Relations Extérieures Delavi, l’air toujours aussi ennuyé, sirotait bruyamment son vin, le Général d’Argate s'agita et sa cotte de maille émit des cliquetis métalliques. Se sentant obligé de surenchérir, le Ministre des Ressources grinça désagréablement des dents. Seul
Enjan entendit le petit soupir poussé par Kenja. Il compatit avec son conseiller. Si cela durait depuis que son père était au pouvoir, il comprenait que la situation soit désastreuse. Le Noble Houildegardes feuilleta ses notes puis leva la tête. Il avait terminé son rapport.
— Je vous remercie, dit le Roi.
Il se composa un petit sourire amical, comme pour s’excuser du comportement des autres Ministres. Puis Enjan donna la parole au Ministre de la Vie Citoyenne, qu’il connaissait bien : il s’agissait en effet d’un grand ami de son père, leur passetemps favori consistant à jouer aux tuiles dans un silence de velours. Le visage d’Unsens le Sévère était sec et ses joues creuses, ce qui mettait en avant son regard pénétrant. Le nouveau souverain ne demandait qu’à faire confiance à ce personnage, malgré son apparence renfermée et bougonne.
Tandis que le Ministre se plaignait de la situation catastrophique, de l’absentéisme des enfants dans les écoles au profit des corvées journalières, du manque de solidarité et de l’inefficacité du précédent gouvernement, Enjan tentait tant bien que mal de supporter les réactions de ses pairs. Le Roi sentait l'aura de colère qui enveloppait peu à peu son conseiller, mais, rompu aux jeux de la politique, le Premier Ministre gardait une expression calme et détendue, contrairement à Albertz d’Argate. Enjan avait pitié de la chope que le guerrier tenait entre ses doigts de fer. Les autres participants au Conseil semblaient habitués à ces petits manèges silencieux, comme le prouvait Unsens le Sévère, qui continuait à parler comme si de rien n'était. Le Roi, lui, se sentait pris dans un panier de dagons .
Ce fut ensuite au tour d’Enalte Enfaux, le Ministre du Peuple, de faire son bilan. C’était un grand homme aux épaules carrées et aux pommettes proéminentes. Il avait des cheveux courts, d’un blond tirant vers le châtain, et des yeux attentifs. Il le seul à ne pas porter de robe pourpre, qui désignait les Ministres comme tels. En sa qualité de porte parole du peuple, il était habillé comme un Artisan, d’une simple tunique et d’un pantalon de toile. Seule la broche accrochée à sa poitrine, représentant la fontaine sacrée, permettait de savoir qu’il était Ministre. Kenja jugeait cet homme de leur côté, et totalement désintéressé du pouvoir. Enjan ne pouvait qu’approuver : le Ministre avait toujours été d’un naturel enthousiaste et avait beaucoup de succès auprès des serviteurs. Cela voulait tout dire. Il se rappela l’avoir rencontré dans les cuisines, à plusieurs reprises, lorsque lui-même y fuyait ses professeurs…
— … les Guildes ne prennent plus de nouveaux apprentis. Imaginez ! Il faudrait tout leur apprendre !
Enjan fit un effort colossal pour ne pas sursauter face à ce haussement de voix. Le Ministre des Relations Extérieures Delavi ne fut pas aussi élégant en sortant de sa torpeur, plutôt profonde. Il en lâcha son verre, qui vacilla avant de renverser tout son contenu sur la table. Joyn Allams se moqua ouvertement, pendant qu’Aled Jared allait chercher de l’aide pour nettoyer la table. Le Roi en profita pour ordonner une pause et sortit de la salle. Le Premier Ministre le suivit.

Depuis la pièce secrète, Enjan entendait encore Joyn Allams pester.
— Je ne tiendrai pas une minute de plus, avoua-t-il à la Princesse.
— Ne vous inquiétez pas, ironisa Kenja, vous n'êtes pas au bout de vos peines...
Wen compatit. Le Roi retenait admirablement bien sa colère, mais elle le sentait bouillir. Elle aurait été dans le même état à sa place ! Ce conseil ressemblait à une mauvaise farce. Mais au moins le Roi s'en souviendrait et ferait en sorte d'éviter de telles catastrophes par le futur.
Kenja épiait par la petite ouverture les servantes qui s'agitaient pour nettoyer la table, remplacer les pichets vides et changer les verres. Elles évitèrent soigneusement de toucher à la chope du Général d'Argate, qui les observait d'un regard terrible. Le Premier Ministre décida que dorénavant seule l'eau serait autorisée dans la pièce, et qu'ils auraient sur place de quoi gérer les quelques problèmes possibles. Il en avait assez de ces interruptions intempestives.
— Faut-il vraiment y retourner ? demanda Enjan.
L’Elfe posa une main sur l'épaule de son protégé et la pressa doucement. Un calme étrange envahit le Roi. Ses muscles se décontractèrent.
— C'est important, expliqua Wen, que vous compreniez la situation du royaume dans son ensemble. Et, malheureusement, cette réunion est le meilleur moyen d’y parvenir.
Elle se retint d'ajouter que c'était aussi un bon entraînement pour lui. Par le futur, il se retrouverait encore dans ce genre de situations, surtout lors de réunions qui rassembleraient plusieurs dirigeants de l'Île. A ce moment là, cette expérience lui serait utile. Mais cela Enjan le comprendrait seul, lorsqu'il aurait plus de recul.
Ils entendirent des raclements de chaises. Les servantes se retiraient sous les regards toujours aussi méfiants du Ministre des Armées et les reniflements énervés de Joyn Allams. Ce seul bruit suffit à énerver Enjan à nouveau. Il se força à respirer profondément et fit demi-tour sans un mot pour la Princesse. Il devait garder tout son courage et sa patience. Kenja le suivit, l'air fatigué. Wen fut heureuse de ne faire qu’observer le Conseil, cachée dans l’ombre. En tant que spectateur, c'était déjà bien assez fatiguant.

Enjan perçut avec effroi l'air chaud de la pièce lui sauter au visage. Mais il ferma les yeux, se remémora la sensation de calme qui l'avait envahi lorsque Wen l'avait touché, et avança dans la Salle des Conseils d'un pas assuré. Il s'assit. Kenja l’imita avant de redonner la parole au Ministre du Peuple.
— Il ne me reste plus qu’un point à aborder, déclara celui-ci. Tout le monde ne travaille plus que pour lui. A l’image des Nobles et de certains Seigneurs, qui ne font plus leurs devoirs, ne protègent plus les gens sous leur juridiction…
Enjan intercepta le regard assassin que le Ministre jeta à Joyn Allams. Le Seigneur se contenta de sourire doucereusement pour se défendre. Enalte Enfaux partit à nouveau dans une tirade enflammée, puis Enjan l’entendit conclure avec soulagement. La parole fut donnée au Ministre des Ressources. Le regard froid et la mimique sévère qui étaient sur le visage du Ministre glacèrent Enjan. Il espéra que personne ne remarquerait son embarras. Il n’avait pu s’empêcher de penser aux yeux gris de son oncle.
— Tout d’abord, dit Joyn Allams d’un ton acerbe, sachez que les fêtes qui se sont déroulées ces derniers jours ont largement entamé nos maigres réserves. Mais cela en valait la peine, apparemment, puisque tout le monde s’accorde à dire que le moral du peuple en a bénéficié …
— Nos réserves étaient suffisamment fournies pour supporter ces fêtes, le contredit Kenja d'une voix cinglante.
Enjan remercia mentalement son Premier Ministre. Il était plus que temps de tempérer les humeurs du Ministre des Ressources.
— Nous avions de toute façon prévu un budget spécial pour ce genre d’occasions, déclara le Seigneur Allams sur un ton de reproche.
Enjan fronça les sourcils, perdu. Le Ministre cherchait-il à semer la zizanie ? Ne venait-il pas de répéter exactement ce qu'avait dit Kenja ? Mais il l’avait fait habilement, pour faire croire que ce n'était pas le cas, et que le Premier Ministre était en tort.
— Il nous reste donc assez de réserves pour pouvoir mettre en place de véritables projets, d’une ampleur raisonnable toutefois. Quand je parle de réserves et de budget, il ne s’agit bien sûr pas de monnaie, de ces… pièces métalliques. Tout le monde sait qu’il n’y a pas cours d’argent sur cette Île !
Enjan devait contrôler chaque muscle de son visage. Le ton emmiellé et narquois du Ministre l'insupportait, tout comme ses manières sirupeuses. Allams le prenait clairement pour un faible d'esprit ignorant de tout ou il n’était pas Roi ! Tout le monde savait que l’argent était une notion étrange que les Terriens avaient inventée !
— Nos réserves et nos budgets sont des bons. Par exemple, un bon peut représenter un lot de dix planches de bois, dix tonneaux de bière... Extraits de nos réserves, évidemment.
Le Ministre employait un ton patient, comme on parle à un enfant.
— Les citoyens ne s’échangent rien entre eux : le travail des uns, lorsqu'il est effectué, est essentiel à celui des autres. Donc pas de problème. Le travail de l’état est de défendre les citoyens et de faire respecter leurs droits, n'est ce pas ?
— Qu’insinuez-vous ? explosa le Ministre des Armées.
Il se leva violemment et frappa la table de ses poings. Sa chope tangua dangereusement mais retrouva son équilibre.
— Simplement qu’avec tous les malandrins qui traînent en ville comme à la campagne, nos réserves ne peuvent que se vider !
— Et si vous étiez plus prompt à nous ouvrir ces réserves, nous pourrions peut-être être plus efficaces !
— Cela aiderait peut-être les Guildes aussi, murmura Aled Jared les yeux perdus dans le vide.
Le Roi vit le visage de Joyn Allams tourner au cramoisi.
— Nous devons garder nos réserves en cas de problèmes majeurs... répliqua ce dernier d'une voix acide.
— Nous sommes en plein problème majeur, rétorqua Enjan sans élever la voix.
Un silence pesant écrasa l'assemblée. Le Ministre des Armées se rassit. Pour la première fois, le sourire du Seigneur Allams tomba et une grimace mauvaise prit sa place.
— Quoi qu'il en soit, lorsque l’état a besoin des services d’une guilde, il faut bien agiter une récompense pour la stimuler, et l’aider à sortir de son mutisme…
— Nous donnons des bons aux guildes car elles ne peuvent pas se permettre de réunir la quantité de matériaux dont elles ont besoin par elles-mêmes, cela créerait des pénuries localisées, corrigea Kenja.
— Donc nous leur offrons des bons, réaffirma le Ministre des Ressources en faisant mine de contredire son supérieur. En temps normal, les bons sortent et rentrent de manière constante, ce qui fait que nous possédons toujours un fond de réserve stable, pour équilibrer les échanges. Mais les marchands se font tellement attaquer, sous le laxisme des gens d'armes...
Le Général Albertz d'Argate grogna ostensiblement, une veine battant sur sa tempe. Kenja jeta un regard lourd de sens au Ministre. Il devait apprendre à se contrôler.
— ... que l’on ne reçoit plus la Part, c'est-à-dire que les marchands refusent de nous donner le dixième de leurs marchandises, qui nous est normalement dû. Ainsi, c'est le trésor royal que les voleurs nous dérobent peu à peu de manière indirecte. Qui plus est, les caravanes étant autant attaquées chez nos voisins que chez nous, nous n'avons plus de Part de frontière !
Le Ministre jeta un regard atterré à l'assemblée et soupira.
— En résumé, nos bons sont doucement jetés par les fenêtres en ces gracieux jours de fête, mais ne reviennent étrangement pas d'eux-mêmes dans nos coffres !
— Merci …
Enjan se retint d’ajouter « … pour cet exposé peu utile sur l’économie de notre pays. » et continua dans la foulée :
— Ministre des Relations Extérieures, la parole est à vous.
Pour la première fois depuis le début de la réunion, le Roi crut apercevoir un éclat d'intérêt dans les yeux du Ministre apathique. Losaï Delavi se tenait voûté, comme pour se protéger de l’agressivité de son voisin des Ressources. Il devait avoir une quarantaine d’années, comme la plupart des Ministres, et son visage faisait immanquablement penser à celui d’une fouine. Enjan regrettait que le Ministre ce soit rangé du côté de son grand-oncle, car lorsqu’il s’intéressait à son travail, il était des plus compétents. Sans lui, le royaume aurait été plus d’une fois en guerre.
Le Ministre posa son verre de vin, vide, avant de prendre la parole d'une voix un peu lasse. Il fit un rapide portrait des relations que Nadane entretenait avec ses deux alliés. Enjan retint la phrase suivante : « Nos relations avec eux ne peuvent que s’améliorer. Ce n’est pas comme s’ils étaient prêts à sacrifier leur vie pour nous si un jour nous avions besoin d’aide. ». Cela avait le mérite d’être clair. Puis le Ministre s’intéressa à la situation géopolitique de l’Île. A cause du tremblement qu’il perçut dans la voix de Losaï Delavi, Enjan se fit particulièrement attentif :
— En Sílhures, le Consilium abuse de plus en plus de son pouvoir… Seules deux ou trois villes se détachent du lot… L’Atelier des Scribes de Mirîle par exemple…
Le Roi fut abasourdi par les réactions que cette seule phrase déclencha. Kenja se frotta le front avec son pouce et son index pour cacher son embarras. Le Général claquait sa langue contre son palais avec dégoût, pendant que Joyn Allams grinçait des dents plus fort que jamais. Pour une fois, les deux Ministres semblaient d'accord. Skiwan Oliro murmurait des paroles incompréhensibles, comme une prière adressée aux Sept. Les autres affichaient des expressions ennuyées ou apeurées. Le Roi comprit que les Elfes étaient un sujet sensible. Beaucoup plus que ce qu'il ne l'avait cru. Le Ministre des Relations Extérieures desserra le col de robe, effrayé par le regard pénétrant que lui jetait son confrère des Ressources, puis il reprit la parole, confus :
— L'Atelier des Scribes donc... est d’une grande aide aux populations alentours, même si leur champ d’action est limité… Il faut reconnaître qu’ils se débrouillent bien…
— Admirablement bien, corrigea Aled Jared à mi-voix.
— Malheureusement ce sont les seuls... précisa le Ministre des Relations Extérieures à vive allure pour passer au sujet suivant.
— Ils utilisent sans doute quelque malsaine magie ! accusa le Général d'Argate avec mauvaise foi.
Enjan fut déçu de la remarque. Malgré son sang chaud, le Ministre commençait à lui plaire. Il était dommage qu'il fasse partie des gens embrigadés dans les idées reçues sur les Elfes. Crédule, le Ministre des Guildes glapit.
— Les prairies sauvages qui nous séparent de Mirîle sont presque infranchissables, se pressa de le rassurer Delavi. Peu de gens s’y risquent. Elles seraient infestées de Dolinges à moitié fous et d’autres espèces dangereuses vivent dans ces Herbes Jaunes : Trolls, Silks, Mvrans et j’en passe. Il en est une autre plus restreinte à l’ouest de notre pays. Mais le fleuve nous offre déjà une bonne frontière. Car ce qu’il faut le plus redouter de l’Ouest ce ne sont pas tant les habitants des Herbes Jaunes, mais plus les Elfes de l'Ithilîle.
Les Ministres s'agitèrent et un silence lourd de sens pesa dans la salle. Tous semblaient mal à l'aise et craintifs, comme si Wensaïlie Mandaniel, bien que normalement très loin dans le palais actuellement, pouvait les entendre. Enjan pensa à la Princesse, en réalité cachée à quelques pas. Il se demandait bien quelles pouvaient être ses réactions face à cette peur et cette crainte non dissimulées. Sûrement un air las : cela durait depuis la fin des Guerres !
Le Ministre des Relations Extérieures Delavi s’épongea le front. Il continua en articulant avec difficulté :
— Jusqu’à présent, l’Ithilîle ne s’est pas montrée hostile ....
— Ha ha ha ! s'exclama le Ministre des Ressources.
Enjan crut que son cœur allait s'arrêter de battre. Il aurait préféré ne jamais entendre ce rire et espérait qu’Allams s'abstiendrait de s'esclaffer ainsi par la suite.
— Pardon, ne s'excusa pas le Ministre d’un ton douceâtre. Je vous en prie. Continuez…
— C’est pourquoi jusqu’à présent nous n'avons rien tenté à l'encontre de ce pays...
— C'est plutôt parce que notre armée a trop peur, se moqua Allams.
— Parce qu'elle meurt de faim oui ! corrigea le Ministre des Armées.
— Parce qu'il n'y a aucune raison que l'on déclare la guerre à l'Ithilîle, les coupa Enjan.
Kenja approuva vigoureusement. Enjan fut consterné de remarquer qu’à part le Premier Ministre, et peut-être Aled Jared, tous les autres membres du Conseil semblaient réellement contre les Elfes. Il se trouva seul et désarmé face à autant de colère. Comment un tel sentiment pouvait-il en venir à se développer ?
— ... et il nous laissait en paix en retour, termina le Ministre des Relations Extérieures avec un soulagement évident.
Grave erreur d’inattention, remarqua le Roi. Il pensait à Wen, qui les espionnait juste à côté. Les Elfes étaient loin de se désintéresser des Humains en réalité, et ils avaient trouvé le moyen de s’infiltrer dans les plus hautes sphères du royaume… Il en était le premier responsable.
— Nous avons quand même invité leur Princesse à venir assister à votre couronnement, Majesté. Il ne faut pas oublier que l’Ithilîle a les pleins pouvoirs sur l’Ile et que nous lui devons, normalement, allégeance.
Enjan freina avec peine son étonnement. De ça, il ne savait rien. Il recherchait plus d’information à ce sujet dès qu’il en aurait l’occasion.
— Cette vieille règle idiote ! s'énerva le Ministre des Guildes. Nous n'avons pas besoin de ces Démons !
Le Roi s’abstint de tout commentaire. Oliro n'avait peut-être pas besoin des Elfes, mais lui oui. En tout cas, il avait besoin de leur Princesse pour rester en vie. Cette prise de conscience lui tordit les entrailles. Il avait besoin de la Princesse pour rester en vie… Il réfréna la peur qui montait en lui et s'insinuait traîtreusement dans son esprit, puis il remercia son Etoile d'avoir placé Wen sur son chemin.
Le Ministre des Relations Extérieures reprit son exposé, heureux d’aborder des sujets moins controversés. A l’Ouest, le risque principal venait de Seigneurs qui habitaient les terres sous l’Ithilîle. Depuis peu de temps, une certaine cohésion s'affirmait entre eux, avec la renaissance de la Ligue d’Ensi grâce à la signature d’accords qui les unissait en termes militaires.
— Cette Ligue est encore peu avancée, fragile, et les tensions entre ses membres sont tangibles, précisa Delavi. Cependant il est possible qu’avec le temps il en sorte quelque chose de bien.
— Ou un ennemi potentiel, grogna le Ministre des Armées.
— Nous sommes au moins certains d'une chose : ils ne s'allieront pas avec l'Ithilîle, affirma Joyn Allams.
Le Ministre des Relations Extérieures hocha la tête avant de continuer.

— Je n’ai rien a ajouté à mes rapports.
Une certaine haine perçait dans la voix du Ministre des Guildes, et son manque de coopération direct mit Enjan mal à l’aise. Surtout que cette antipathie soudaine contrastait étrangement avec son physique cordial. A force de voyages, Skiwan Oliro s’était fait de nombreuses connaissances, qui allaient des meilleurs Maîtres de Guildes aux malandrins de grands chemins. Cela faisait de lui un adversaire redoutable, et il ne craignait visiblement pas de montrer ouvertement ses positions.
— Les Guildes ne peuvent pas empêcher tous leurs Artisans d’aller et venir, mais elles refusent de laisser leurs Maîtres sortir des Ateliers, afin de les protéger. Il y en a cependant encore quelques uns qui parcourent l’Île, ou qui se sont sédentarisés, afin de soutenir la population, récapitula Kenja pour son confrère.
— Et ils le font contre les ordres de leur Guilde ! s’exclama Oliro. Plus de confiance, plus de moral, et de moins en moins de jeunes dans les écoles, donc de novices dans nos ateliers… Il n'y a pas besoin de grandes réunions pour savoir ce qu'il en est de la situation actuelle. Le pays se meurt et tombe en ruine. Fin de l'histoire !
Enjan remua entre ses doigts la plume qui lui servait à prendre des notes. Il était catastrophé par la tâche qui l’attendait. D'abord les Ministres. Il y avait quelques bons éléments au sein du Conseil, mais à quoi bon dans un tel désordre ? Ensuite, la situation. Le fait qu'elle durait depuis presque deux cents cinquante ans rendait le tout compliqué : les gens auraient peur de changer de vie. Lorsqu’il prendrait des mesures, il devrait prendre garde à ce que cela ne créait pas de nouveaux problèmes s’il voulait éviter une révolte. Proposer une solution entraînait souvent de nouveaux ennuis, et le peuple préférait rester à se morfondre plutôt que de tenter de changer les choses, et découvrir qu’elles pouvaient être pires. C’était sûrement pour cette raison que ni son père, ni ses prédécesseurs, n’avaient pas risqué de faire quoi que ce soit. C’était aussi peut-être à cause de l'inefficacité flagrante du Conseil des Ministres. Enjan sortit de ses pensées et donna la parole au Ministre suivant.
— Monseigneur le Ministre des Armées ?
Le Roi se força à se détendre, mais il s'attendait au pire. Il entendait déjà Joyn Allams grincer des dents. La morgue et l'entêtement qu'y mettait le Ministre étaient plus qu'insupportables. Pendant qu’Albertz d’Argate décrivait les conditions de vie déplorables des quelques troupes qui lui restait, Enjan passa un doigt dans son col d’un geste discret. Il faisait affreusement chaud dans la salle. Il sentait fiévreux, sans doute le contrecoup de son réveil mouvementé. Et cette réunion qui n’en finissait pas ! Le Roi sentait sa patience s'effriter doucement.
— … on ne compte plus les déserteurs ! Et le peuple méprise les soldats. Il se sent oppressé par eux.
Enjan nota que le Ministre resta silencieux sur les raisons de ce ressenti. Peut-être que le Général les ignoraient, mais le Roi en doutait. Pour sa part, il avait entendu de nombreux serviteurs raconter des incartades où les soldats attaquaient les premiers, sûrement par peur du peuple. La meilleure défense restait l’attaque… En tout cas, cela justifiait l’aversion des citoyens à leur égard.
— Un dernier point important. Cela fait deux ans que l’ordre des Chevaliers a été intégré à l’armée. D’ailleurs, la cérémonie de présentation sera cette après-midi. C’est sans doute le corps le plus intègre de l’armée. Un vrai bastion. Il n’y a eu aucun déserteur. Malheureusement un bastion bien fermé : les instructeurs n’y ont fait entrer personne ces dix dernières années. Ce qui fait que sur la centaine de Chevaliers initiaux, il n’en reste que vingt-sept… Vingt-sept combattants aguerris, actuellement sous la direction du Premier Chevalier Aswas de Nuance. Cela va faire quelques temps qu’il est à la tête de ces troupes. Il sait y faire avec les hommes !
— Très bien, le remercia Enjan. Ministre de la Justice, qu’avez-vous à nous dire ?
Aled Jared passa une main sur son front basané. Il n’était pas né en Nadane, mais dans les montagnes, au sud-ouest de l’Île. Sa famille s’était réfugiée à Corona lorsque les Nains avaient déclaré la guerre aux peuples de Silalës. Depuis, il avait rapidement gravi les échelons, et il se trouvait à présent à l’un des postes les plus importants du royaume. C’était un homme extrêmement intelligent et très effacé. Il participait peu à la cour du Roi et passait le plus clair de son temps au Ministère de la Justice, qui se trouvait derrière l’Académie des Sciences. Il faisait un excellent travail, et Enjan l’appréciait beaucoup. Il savait qu’il n’était pas le seul. Kenja, ainsi que les Chevaliers et les serviteurs, tenaient tous ce Ministre en grande estime.
Aled Jared haussa les épaules. Mis à part pour informer le Roi, cette réunion était une vraie perte de temps. Il lança un regard suppliant au Premier Ministre avant de prendre la parole.
— Notre appareil judiciaire est rongé jusqu’à l’os par des juges corrompus. Il y a trop d’affaires à régler. Les prisons sont pleines. Nous sommes parfois obligés de relâcher certains détenus, pour nous protéger des représailles. Il paraît que quelques personnes, de plus en plus rares, tentent de maintenir l’ordre du mieux qu’elles peuvent dans leur quartier ou village. Elles s’organisent même parfois en troupes, mais ce ne sont pas des professionnels. Ils sont rapidement balayés de la scène. Beaucoup de travail, et pas assez de temps. C’est tout.
— Voilà qui est clair, apprécia Enjan. Ministre de l’Etat ?
— Tout a été dit. Excepté cela : les traîtres ne se cantonnent pas à notre appareil judiciaire.
Des yeux, il indiqua clairement Delavi, qui jouait avec son verre de vin, et le Seigneur Allams, qui reniflait encore avec dédain.
— Il faut que nous réglions au plus vite les problèmes les plus graves. Mais nous ne devons pas perdre de vue le futur. Il nous faut des solutions durables.
Enjan se retint de lui sauter au coup pour le remercier de son efficacité et de sa diplomatie. Puisque tout était dit, il était temps de clore cette réunion.
— Messieurs, nous nous retrouverons donc demain pour prendre les premières mesures qui s’imposent. Sur ce, je déclare le Conseil terminé.
Un brouhaha s’éleva dans la salle, chacun discutait avec son voisin. Certains partirent immédiatement, d’autres restèrent dans la salle. Une servante apporta sur un plateau quelques nouvelles boissons et en-cas. Enjan jeta un coup d’œil à Kenja. Celui-ci, bien qu’en pleine discussion avec le Ministre des Ressources, lui signifia de sortir.

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 29/07/2012 14:43:39

J'aurais voulu mettre une scène coupé sur les habits d'Enjan, mais j'ai recopié un truc avant de la poster, donc tant pis ^^ elle restera dans mes brouillons. En attendant voilà un petit bout :

Parmi les Seigneurs, quelques exceptions restaient hors de ces manœuvres politiques. Mais leur gentillesse et leur loyauté les perdaient, la plupart finissaient par tomber sous le joug d‘un voisin moins scrupuleux.


je me suis dit qu'actuellement on s'en moquait un peu : cette intrigue n'est développé que bien plus tard dans les tomes ! En plus, on arrête pas de le répéter partout alors un peu en moins ne fait pas de mal.


— Mais que faites-vous là? demanda Enjan.
— La Princesse nous a demandé de venir, expliqua Nivier.
— Ou plus exactement, elle a crié à un de ses amis, au milieu des vestiaires, que vous dormiriez à l’infirmerie ce soir et que vous n’auriez aucune protection, corrigea Aswas.
— Et en tant que Chevaliers du Roi, on ne pouvait pas laisser passer ça… compléta Nivier avec espièglerie.
Enjan répondit par un sourire. Bien que mystérieux et de nature effacée, le Deuxième Chevalier semblait digne de confiance.




l'idée semblait intéressante, mais en fait depuis la dixième relecture, les chevaliers montent constamment la garde devant la chambre du roi, autrement dit s'il va dormir ailleurs, ils sont au courant et suivent...

parce que tout le monde s'en doute et qu'on a plus important à lire
Elle ne connaissait pas d’assassin dont la technique consistait à ne pas agir une fois près de leur victime. Tous étaient rapides, vifs et précis. Mortels

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 29/07/2012 19:18:37

C’était un produit très pratique : grâce à des études, l’Ombre avait pu déterminer qu’il suffisait d’injecter la même quantité de sang que de poison afin de soigner le mal. Elle n’avait pas eu l’occasion de demander aux assassins précédents la dose de poison qu’ils avaient utilisée, mais elle avait l’œil et en rajoutant une ou deux gouttes par sécurité, elle était certaine de contrer totalement les effets des poisons.


parce qu'un remède secret, ça reste secret

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 30/07/2012 11:07:06

Prendre une vie n’est pas une tâche aisée, ni agréable. Ami ou ennemi, traître ou pas, accidentellement ou volontairement. Cela ne change rien. Ce n’est pas un choix facile. Et après on se convainc que, si on avait pu, on aurait fait autrement.

Parce que c'est un peu cliché, et que ça se lit tout seul dans le regard de Wen...

Sham entra dans la pièce, en titubant sous le poids d’une caisse apparemment plus lourde que lui. Edouad, écroulé sur un tas de sacs de jute, s’essuyait le front, haletant. Seiren leva les yeux au ciel, il allait devoir s’armer de beaucoup de patience.

j'aime bien ce petit passage mais il ne rentre pas ^^

la page 260 *. *

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 30/07/2012 11:47:35

le mot espièglement n'existe-t-il vraiment pas ? T.T

Avatar de Lune Lune Mode Lecture - Citer - 30/07/2012 12:21:56

avec un air/regard/rictus/sourire/clin d’œil/mimique/geste/moue/... espiègle, si ^^