Le Temps des Rêves

Avant de les suivre, Enjan confia son cheval à un page de son âge, engagé avant leur départ en campagne.
- Merci de t’en occuper, Walyedin.
- Vous ne lui avez toujours pas donné de nom ?
La question paraissait impolie mais elle était posée en toute innocence et amitié. Enjan ne s’en offusqua donc pas, au contraire. La spontanéité naturelle/simplicité du jeune homme lui plaisait .
— Je manque d’inspiration, admit le Roi .
Il flatta l’encolure de la bête. Malgré sa modeste taille au garrot, elle avait tenu le rythme soutenu/endiable/ du voyage sans broncher.
Le regard conspirateur, Walyedin entrouvrit les lèvres et laissa filer entre ses dents :
— Le Magicien Laurence vient vers vous et l’air frémit autour de lui.
Le page se retira après une courbette mi-respectueuse, mi-impertinente. Discipliné la plupart du temps, débrouillard, Walyedin était excellemment doué à l’épée. Un bel avenir s’offrait/s’ouvrait à lui.
Enjan se félicita d’avoir insisté auprès des recruteurs pour qu’ils admettent plus d’apprentis. Les chevaliers qu’il avait hérité de son père figuraient parmi les guerriers/combattants les plus expérimentés/aguerris de l’île mais même les engrenages/les machins les mieux huilées/les plus performantes avaient besoin de pièces neuves/de sang neuf pour se développer/ne pas se scléroser/s’encroûter/se fossiliser.
— Enjan…
Soupçon de menace.
— Arrête de rêver.
Exaspéré/patience épuisée/fatigue/nervosité/crispations/désespérance.
Kahlan le saisi par le coude et l’entraîna vers sa tente.

Son attitude dénotait un caractère avenant, à l’écoute des autres, taquin à l’occasion mais aussi enclin à l’emportement, parfois boudeur et souvent très naïf.

— Asseyez-vous.
Ils s’exécutèrent.
— Je sais que vous êtes épuisés. Que vous vous inquiétez pour Seiren et pour l’avenir du pays en général, du moins j’ose l’espérer. Mais c’est une bien maigre excuse pour vous comporter de la sorte !
Contrits, ils firent la moue et baissèrent la tête.
— Les Premiers Chevaliers vous connaissent. Ils sont au fait de votre amitié. Ils vous ont vu grandir… Pour autant, Enjan, ils sont vos sujets. Ils voient en vous un Roi, un espoir, un modèle ! Et toi, Kahlan ! Tu es le bras droit de Maître Manial. Ce titre t’indiffère cependant tu n’ignores pas que les habitants de Nadane tiennent en haute estime les Magiciens. A votre avis, la situation n’est pas assez critique ? Quelles sont les conséquences lorsque les hommes assiste à une de vos disputes de chiffonniers ?
Devant le silence des deux amis, Wen répéta sa question.
— Ils pensent que tout est perdu, marmonna Enjan.
— Exactement ! Et ils ne sont pas loin de la vérité ! Faites-moi le plaisir de vous excuser l’un à l’autre et ne recommencez plus jamais de telles scènes en public !
— Nivier et Aswas se sont disputés et vous ne les rappelez pas à l’ordre, eux ! s’emporta Enjan.
Il le regretta aussitôt. S’il n’aimait pas se faire réprimander comme un enfant, il devait cesser d’agir de la sorte !
— Nivier et Aswas sont vos chevaliers, répliqua sévèrement Wen.
— Je suis désolé.
L’excuse s’adressait aussi bien à la Princesse qu’au Magicien.
— Moi aussi, soupira Kahlan.
Il passa son bras autour d’Enjan et le serra contre lui avec un pauvre sourire. Le Roi répondit chaleureusement à cette étreinte.

Le ministre bondit et bouscula Enjan. Trop surpris, le souverain recula sans répliquer. Aswas réagit à sa place. Il saisit le Seigneur par les épaules et l’obligea à s’agenouiller. Il posa ensuite une botte sur son dos pour l’empêcher de se relever.
— Le ton avec lequel vous vous adressez au Roi ne me sied guère, gronda le chevalier. Et votre attitude encore moins. Je ne suis pas aussi indulgent que notre souverain alors ne me tentez pas et restez à votre place, Seigneur.
Le titre avait été craché plus comme une insulte que comme une marque de respect.

— Vous suggérez qu’on étouffe l’affaire ? s’insurgea Kahlan.
Devant la moue déçue du Magicien, le cœur d’Enjan se serra. Malgré cela, il opina du chef pour réaffirmer sa décision.
— Je n’aime pas ça ! déclara clairement le Magicien. Mais je comprends.
— Si un jour cela s’avère nécessaire, il sera toujours temps de communiquer la vérité au public, le consola Wen. En attendant…
Elle s’humecta les lèvres. Enjan fronça légèrement les sourcils. Quelque chose tracassait la Princesse. Il aurait aimé savoir quoi. Mais elle n’en dit rien et reprit son ton professoral :
— Vous devez éviter de vous retrouver à nouveau dans une telle situation. Ce n’est pas parce que vous êtes le Roi que vous êtes au dessus de tout. Si vous commettez des erreurs, vous aurez à en répondre devant moi. Et pas en tant que votre Ombre… Ne laissez plus à vos ennemis la possibilité d’entacher votre réputation.

Un chœur de rire s’éleva. Nivier avait repris ses drôleries, ignorant les œillades agacées d’Aswas, et distrayait son public avec enthousiasme. Des exclamations chaleureuses se mêlaient aux odeurs de mousse et à la lumière tamisée du couchant. Les chevaliers se pavanaient sous les acclamations des paysans.
— Moi qui m’attendais à une arrivée morose, sous une pluie battante, remarqua le souverain, songeur.
La bonne humeur générale déteignait sur lui. Ils allaient reprendre la Capitale et offrir un avenir radieux à leur pays ! Soudain, tout lui semblait simple, moins terrible. Il n’y avait plus rien d’insurmontable.

Enjan n’acheva pas sa phrase. Sa voix éraillée lui parvenait à peine. Il tomba à genoux. Devaient-ils se rendre ou poursuivre le combat ? Que lui conseillerait Wen ? La réponse était évidente.
— Kahl…
Comme s’il lisait ses pensées, le Magicien désagrégea son bouclier.
— Baisez-vous ! leur cria une voix vaguement familière.