Le Temps des Rêves

Les phalanges blanchies par la pression qu’exerçait ma main sur le téléphone trahissaient le remous bouillonnant qui hurlait en moi, tandis que je m’efforçais de paraître doux par la voix. Mais mon débit de parole était trop rapide, mes pensées se heurtaient vainement à un mur incompréhensible et je me répétais beaucoup, aussi a-t-elle sûrement capté mon trouble. Le bruit des gens autour de moi, tous ces anonymes – sauf une vieille dame au ventre rond, comme un ballon un peu trop gonflé, mais aux jambes comme des petits bâtons, et sa tête, minuscule cerise blanchie par le temps ( et, sans doute, la pourriture du quotidien ) posée sur une baudruche – m’emplissait d’un grondement beaucoup plus agressif qu’il ne l’était vraiment, et le téléphone public, dénué de cabine, ne m’en protégeait pas. Crispé, j’eus seulement un sourire lorsque, sur la place où trônait une fontaine en forme de pierre trouée, et que les passants semblaient étrangement contourner – ou peut-être était-ce moi qui leur donnât si peu d’importance qu’ils parurent le faire - une femme se mit à tournoyer avec son gamin, tout petit et tout étouffé dans un manteau, ses cheveux de blé bouclé se mouvaient au rythme de la joie, et elle penchait la tête en arrière en riant, et ils jouèrent un instant ensemble avec le sourire, m'emplissant l'âme d'un moelleux souvenir. Je tremblais, la gorge bloquée, la main prise de grands soubresauts, qui, pâle, lâcha l'objet plastique pour essuyer mon front emperlé. Peut-on se souvenir de tout ce qui rayonne ?

[Contenu supprimé]

Je l'ai lu il y a un moment déjà et j'ai enfin le temps de le dire : j'adore ! Le style de la description, le tableau, la phrase finale, j'adore !

Très bonne fin

étrangement, j'ai reconnu le lieu dont tu parles :p

seul point négatif j'ai été coupé par:
"aussi a-t-elle sûrement capté mon trouble. "
je trouve que capté est très abrupte (mais c'est peut-être volontaire?)

Quelle surprise, j'étais persuadé que cette courte nouvelle ne plairait pas... Je l'ai mise ici à tout hasard pour la retravailler.

@ Wen : Oui, capté est le terme exact ^^

je pense que tu peux la retravailler. J'aurais du mal à te dire quoi là comme ça, mais pour reprendre un débat qui se fait ailleurs (^^) là je ne la trouve pas "parfaite" non plus. J'ai une drôle d'impression de "brute de décoffrage", mais en fait, ça va bien avec ce que tu racontes...

J'aime cette abruptitude dont tu parles, Wen !

Wahou ! Alors, j'ai été un peu sceptique au début face à la longueur des phrases (complexes!) qui, certes va bien avec l'état que tu décrits, mais du coup rend la compréhension un peu difficile par moment (le coup de la grand mère par exemple, j'aérerais un peu tout ça, sans enlever pour autant cette forme "chargée". Donc je trouve que ça va avec ton style et ta narration mais que des fois c'est un peu lourd. Et alors mon dieu la fin est magnifique ! Souvent poulix, dans ses textes, a des femmes qui rient et virevoltent dans des villes angoissées, j'aime beaucoup mais j'ai un peu l'habitude ^^, mais là tu as réussi à renouveler mon attention !



Cette phrase est sublime ...

Oui, et en même temps je la trouve longue cette phrase, est-ce qu'elle ne pourrait pas être plus percutante? D'un autre côté, "se souvient-on de tout ce qui"... ça manque de "pouvoir" qui implique qu'on le veuille, qu'on le choisisse, ou au contraire, qu'on aura beau faire, c'est impossible...

"Peut-on se souvenir de tout ce qui rayonne"

123456, 123456, Splendide alexandrin avec césure à l'hémistiche, qui lui reproche-tu ?

Je me moque qu'il soit alexandrin ou simple truc, et cette phrase est très bien, je remarque juste qu'elle ne pouvait pas être plus courte, alors que pourtant j'ai la cruelle envie de la synthétiser encore plus!