Retour à la conversation
Arbre

Le Temps des Rêves

Les phalanges blanchies par la pression qu’exerçait ma main sur le téléphone trahissaient le remous bouillonnant qui hurlait en moi, tandis que je m’efforçais de paraître doux par la voix. Mais mon débit de parole était trop rapide, mes pensées se heurtaient vainement à un mur incompréhensible et je me répétais beaucoup, aussi a-t-elle sûrement capté mon trouble. Le bruit des gens autour de moi, tous ces anonymes – sauf une vieille dame au ventre rond, comme un ballon un peu trop gonflé, mais aux jambes comme des petits bâtons, et sa tête, minuscule cerise blanchie par le temps ( et, sans doute, la pourriture du quotidien ) posée sur une baudruche – m’emplissait d’un grondement beaucoup plus agressif qu’il ne l’était vraiment, et le téléphone public, dénué de cabine, ne m’en protégeait pas. Crispé, j’eus seulement un sourire lorsque, sur la place où trônait une fontaine en forme de pierre trouée, et que les passants semblaient étrangement contourner – ou peut-être était-ce moi qui leur donnât si peu d’importance qu’ils parurent le faire - une femme se mit à tournoyer avec son gamin, tout petit et tout étouffé dans un manteau, ses cheveux de blé bouclé se mouvaient au rythme de la joie, et elle penchait la tête en arrière en riant, et ils jouèrent un instant ensemble avec le sourire, m'emplissant l'âme d'un moelleux souvenir. Je tremblais, la gorge bloquée, la main prise de grands soubresauts, qui, pâle, lâcha l'objet plastique pour essuyer mon front emperlé. Peut-on se souvenir de tout ce qui rayonne ?