Vous devez être connecté pour participer aux conversations !
Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de Séquoïa Séquoïa Mode Lecture - Citer - 25/07/2011 22:42:40

A ce moment, elle sut. Elle sentit s’insinuer en elle, d’abord ténue, comme une image ou un souvenir estompé, la déconcertante certitude que la vie, cette vie qu’elle pensait mener et qui coulait dans ses veines, n’avait – et n’avait jamais eu – aucun sens. Elle qui, pendant toutes ces années d’une vie monotone et répétée (métro, boulot, dodo), avait baigné dans la somptueuse indifférence de ceux qui ont « autre chose à faire », tentait à présent de chasser cette dangereuse certitude qui planait sur elle, sourde menace, comme une sentence impitoyable… Croissant toujours et sans cesse, comme une blessure qui enfle, comme ce que l’on réprime et qui explose un jour… Et là, dans cette pièce vide de tout, sans rien d’autre pour lui occuper l’esprit que ce terrifiant rapace qui lentement déployait ses ailes, elle sentait cette pensée, cette vérité sur le point d’éclater. Qu’arriverait-il, qu’arriverait-il donc, si les murailles de ses principes venaient à s’effondrer ?... Qu’adviendrait-il si, d’un coup ses fragiles voiliers se trouvaient engloutis dans l’océan, ce gouffre impitoyable des choses qu’on ne veut pas savoir ?...

Dans un ultime espoir de retour en arrière, elle tenta de retrouver ce qui autrefois la faisait marcher sans se poser de questions dérangeantes. N’avait-elle pas eu plusieurs petits amis qui l’avaient aimée ? Non, juste une attirance passagère, un lien éphémère courant quelques mètres sur la ligne intemporelle de sa vie. N’avait-elle pas réussi dans ses études ? A la vérité, elle y avait consacré une grande partie de son temps, mais elle avait seulement suivi les rails, elle avait fait ce qu’on lui disait de faire. Mais où en était l’intérêt ? Remplir des pages et des pages, de choses qu’on oubliera dans quelques mois, pour donner l’illusion de s’instruire et contenter les gens. Pour satisfaire tout le monde. Tout avait toujours été fait pour les autres. On lui avait appris à faire comme ça, elle faisait comme ça pour contenter ceux qui le lui avaient appris.

C’était comme un escalier qu’on construit dans le vide, en reprenant les marches de derrière pour en faire d’autres devant. Et plus elle pensait à sa vie perdue, plus elle sombrait dans la certitude maladive que tout cela n’avait été qu’un jeu absurde et impitoyable. Oui, impitoyable : si vous perdez, vous êtes méprisable, si vous gagnez…vous éprouvez la satisfaction ridicule d’une femme de 30 ans qui finit un puzzle pour enfant. Avec toujours cette impression qu’elle « aurait pu faire mieux ».

Prisonnière des serres aiguisées du rapace noir, elle pleurait, hurlait de ce silence presque aussi insensé que tout le reste. Elle se sentait victime de sables mouvants, souris dans la gueule du serpent. Enfin, épuisée, elle cessa de se débattre. Un brouillard persistant avait pris place devant sa perception des choses. Elle sentait le silence pesant l’emporter toute entière, malgré les bruits et l’agitation des silhouettes qui, entrées dans la pièce, s’affairaient autour d’elle. Ils ne comprenaient pas. Ils ne pouvaient pas, ne voulaient pas comprendre. Un jour, peut-être… Alors ils sauraient, comme elle savait à cet instant même, que la mort seule a un sens.

Mais solitaire et impuissante dans sa cellule capitonnée, engoncée dans sa camisole de force qui lui fermait cette ultime porte de sortie, elle sentit le pic glacé du désespoir s’enfoncer doucement dans sa gorge. Elle était seule, et rien n’était fini.

THE END


(Voilà une nouvelle que j'ai écrite il y a fort longtemps de cela !)

Avatar de Lune Lune Mode Lecture - Citer - 25/07/2011 23:06:06

Je dois dire que je n'ai pas tout à fait compris dans quelle situation "réelle" se trouvait cette femme (le rapace ? la camisole ? la cellule ?). Mais finalement ça ne m'a pas tellement gêné, ça donne une sorte d'ambiance, de la poésie et de l'originalité à ces réflexions. Réflexions fort justes d'ailleurs. J'aime quand les gens ont ce de genre de choc. Grand Sourire Par contre, je crois que j'aurais aimé que tu développes au delà des premiers exemples somme toute très banals... Tu laisses entrevoir un univers original qui renouvelle le thème mais on aimerait que ça soit plus ... assumé ?
Je dis ce que je ressens, hein, ça n'engage que moi Clin d'oeil

Avatar de Eraneon Eraneon Mode Lecture - Citer - 25/07/2011 23:31:29

Il me semble que j'ai plus ou moins saisi une représentation concrète, mais il est vrai que tout est très imagé. Je pense que c'est voulu, mais au fil de la lecture on sent bien l'installation de cette certitude sombre, on sent bien que l'atmosphère s'alourdit : le final n'en est que plus éclatant, parce que la où la mort devient presque une chute logique, on a du mal pourtant à être certain qu'il s'agit bien de cela... moi j'ai la sensation que non. Rondement mené.

Avatar de Séquoïa Séquoïa Mode Lecture - Citer - 25/07/2011 23:35:59

Alors pour la situation réelle, j'ai un peu bafouillé une chute: elle est en fait internée dans un asile psychiatrique. Et là on se demande en fait si c'est elle qui est folle ou si c'est elle qui a raison. Hein ? (classique mais bon, c'est simplement suggéré)

Oui c'est vrai que les exemples ne sont pas terribles, mais en fait j'étais un peu en "bad trip" et donc ça tourne un peu autobiographique maladroit à un moment donné. Je n'ai pas pris le temps de retravailler la chose (ce que je vais peut-être faire, somme toute) et donc c'est parfois un peu décousu aussi.
En tout cas merci pour ta critique ! Moi aussi j'aime bien les réflexions sur le sens de la vie (même si bon là c'est un peu sombre) et l'absurdité qu'on peut déceler dans la façon dont on vit aujourd'hui.

Avatar de Séquoïa Séquoïa Mode Lecture - Citer - 25/07/2011 23:38:00

Merci beaucoup Eraneon ! c'est encourageant Grand Sourire
Alors pour toi ce serait quoi la chute logique à tout ça?

Avatar de Eraneon Eraneon Mode Lecture - Citer - 25/07/2011 23:41:09

C'est ça, j'avais vu la fille qui est internée, en pleine crise de démence, qui voit un rapace dans sa cellule d'isolement et à qui on vient faire une piqûre de tranquillisant...

Avatar de Séquoïa Séquoïa Mode Lecture - Citer - 25/07/2011 23:46:34

Exaactement ! (en fait le rapace c'est l'angoisse liée à la certitude.. elle plane lentement et puis s'abat ! hum je me demande si j'avais pensé à tout ça en l'écrivant. En tout cas ça colle)

Avatar de Lune Lune Mode Lecture - Citer - 26/07/2011 00:54:31

J'aime pas quand on donne trop d'explications, y a plus de magie Fou

Mais c'est vrai que j'aime beaucoup la fin moi aussi ! Grand Sourire

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 28/07/2011 20:54:38

Moi ce que j'aime beaucoup c'est les images créées par tes exemples. C'est très concret alors qu'on parle de choses complètement abstraites.
J'aime beaucoup!

Par contre je ne m'attendais pas du tout à la fin. Je voyais plus une fille dans sa chambre en train d'angoisser. J'ai pas encore décidé si le vautour était vrai ou pas, mais je m'attendais à un suicide à la fin...

En tout cas j'aime beaucoup ta façon d'écrire et j'ai hâte d'en lire plus!!!!

Avatar de naniquolas naniquolas Mode Lecture - Citer - 04/09/2011 19:20:46

C'est vraiment prenant, et très bien écrit, avec des images saisissantes qui s'enchaînent avec fluidité... Bravo !
Moi non plus je ne m'attendais pas du tout à la fin, je voyais plutôt quelqu'un en train de déprimer chez elle ou dans la rue, mais la fin telle que tu l'as écrite apporte un nouvel éclairage et me donne envie de relire le texte.

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 05/12/2011 17:44:04

C'est vrai que du coup, on a envie de relire le texte pour chercher des indices cachés.

Avatar de Contraste Contraste Mode Lecture - Citer - 23/02/2012 01:10:32

Voilà le genre de nouvelles que j'adore. Une réflexion changée en récit, une plume instinctive et créatrice.
Bien mené, rien ne me gêne. L'image de l'escalier est superbement atroce...
Je salut le (ton) talent que tu as instauré dans ce court écrit.

Je pense qu'avec le temps, on se fait à cette certitude. Si la vie n'a initialement pas de sens, on peut toujours lui en inventer un. Même si... Parfois le vent écroule tout et nous restons, impuissants, contemplatifs face à ce gigantesque Néant.

Au plaisir de te lire Séquoïa.

Avatar de Séquoïa Séquoïa Mode Lecture - Citer - 25/03/2012 15:07:49

Merci beaucoup Contraste, ça me touche vraiment Grand Sourire
à bientôt!