Le Temps des Rêves

J’essaye de mesurer mes bonnes actions
Je sonde le lointain, la main en pare-soleil
les sourcils froncés, le cerveau à plein régime
et finis par conclure :
On ne peut pas conclure.

J’essaye de mesurer mes mauvaises conséquences
Aussitôt il pleut des chiffres
aussitôt il pleut des tonnes
de carbone
Il pleut des euros et des réfugiés
des esclaves et des kilowattheures.

Je le dis : il me semble
que ce n’est pas très équitable
et je m’en trouve un peu perdu
et assez contrarié.

Où est-il donc, l’expert-comptable, quand on a besoin de lui ?

Je le rêve en costard, l’air sûr et la mine efficace :
« Monsieur, vous avez demandé un rendez-vous.
Asseyez-vous, je vous en prie.
Ainsi, vous voulez connaître votre bilan actuel ?
-- Oui monsieur, je le souhaite ».

Quelle est ma part du réchauffement climatique, ces temps-ci ?
Combien ai-je convaincu ? Combien ai-je écouté ?
Cette personne qui dort par terre
dans l’ensemble,
je l’aide ou je l’enfonce ?
Où se trouve le meilleur retour sur investissement
au profit du bien mondial ?
Combien de temps ai-je perdu ?
Combien de bons coups ai-je joués ?
A l’heure actuelle, que pouvez-vous me dire
du pourcentage de mes idées qui sont justes
et de celles qui sont fausses ?

Il me répondrait tout de go, avec son air sûr
et sincère
d’expert comptable
avec son air de « revenez quand vous voulez »
et rien que de savoir, je serai plus léger.

Pour finir l’évaluation
J’aimerais frapper mentalement
Dans un gros punchingball de foire
La jauge monterait, monterait
Et dans un claquement sec, dirait
« Vous en êtes-là ».
Alors j’aurais peut-être
cette humble et mégalomaniaque jouissance
de celui qui vient de battre son meilleur score
ou de celui qui vient de le manquer de peu
et qui sent monter l’envie furieuse
de faire mieux.

C'est marrant je ne vois pas ce texte en poésie mais en théâtre. Une pièce avec un homme et son évolution. Il y a une voix off des fois. Du coup dois-je le commenter comme poème ou comme texte de théâtre?

Est-ce vraiment important XD ? Pour moi ça reste avant tout un poème, mais effectivement je l'ai imaginé très vite comme à déclamer, et j'ai essayé d'utiliser ce côté théâtral pour dynamiser un peu le poème, jusqu'à lui donner finalement une place au premier rang.

J'aime beaucoup ce texte. Il concentre en lui toutes les injonctions contradictoires de nos sociétés :
- Être performant mais attention à la planète.
- Travailler beaucoup mais attention à la p'tite famille.
- Et cette façon de classer les individus en fonction du "score" qu'ils parviennent à réaliser dans tout ça.

Là dedans la figure de l'expert comptable est très juste.

Bref, merci pour ce texte, il fait du bien

Bonsoir,

Je suis d'accord avec le commentaire de Brumepin qui résume bien ce que je pense aussi.
Après je ne sais pas si cela fait du bien ou si ça pose question.
Il faudrait peut-être prendre le temps de réfléchir nos actes avant de les faire, histoire de changer un peu...
Merci pour de partage.
Belle soirée

Merci pour ton commentaire !

J'ai eu un peu de mal avec la forme, parce qu'en vrai, j'ai eu un peu de mal avec le passage de vers à vers, et vois plus ce texte comme un monologue débité d'un coup, même après une relecture.
Cependant, pour le fond, aucun problème. Je trouve que tu as su trouver les mots pour bien parler de ses soucis de conscience versus le désir de performance créée par la société. Bref, j'aime bien lorsque je l'imagine en un monologue

C'est vrai qu'on pourrait presque le passer en prose... Presque^^.

J'ai l'impression que ces deux vers :
"Combien de temps ai-je perdu ?
Combien de bons coups ai-je joués ?"
...N'ont pas été interprétés comme je les ai pensés (mais c'est pas grave du tout !) : en fait dans ce poème l'idéal de performance est toujours au service des causes de conscience, et pas en opposition avec : c'est un peu le revers de la médaille quand on commence à prêter attention à l'impact de ses actions : une bonne action ne suffit plus, il faut faire le plus de bonnes actions le plus souvent possible et le moins de mauvaises actions le moins souvent possible, toujours chercher à faire mieux, sous peine de culpabilité.

En fait, pour ma part, c'est plus à cause de ce passage que j'y voyais une opposition
Cette personne qui dort par terre
dans l’ensemble,
je l’aide ou je l’enfonce ?

Bon allez je me lance. Si je laisse la forme de côté ou plutôt disons que si on ne me l'impose pas, J'ADORE ce texte! Comme dit précédemment j'y vois du théâtre et dans ma tête le rythme accélère sur certains passages, j'y vois et entends des intonations, je m'aperçois l'acteur et la scène.
Un monologue qui remue les gens et leurs tripes.
Si on m'impose ce texte comme y poésie, il garde une certaine force mais qui s'en trouve amoindrie (de façon subjective)

Merci ! Disons que c'est de la poésie théâtrale^^

ohohohooo ! J'aime beaucoup !
Tu vises assez juste, très juste, même, dans notre manie à avoir besoin de tout calculer. Le comptable est génial : on le voit tout à faire.
et cet aspect poésie théâtre me plaît tout à fait !
Encore, encore !

Je suis absolument fan de ce texte qui a mis des mots justes sur ce que je ressens très souvent. Je suis d'accord avec MKL : pour moi, ce n'est pas de la poésie mais je trouve que la forme donne du rythme, permet d'entendre ta voix le dire et du coup, elle ne me dérange pas du tout, au contraire, elle me paraît très appropriée.
Je ne l'ai pas du tout lu comme une injonction sociale, par contre, mais vraiment comme une injonction intérieure qui, comme l'explique Nani ensuite (j'espère que je ne déforme pas ton propos), dès lors qu'on commence à se poser des questions sur son impact sur le monde, sur la nature ou sur les hommes, menace de nous envahir, donne envie de tout contrôler alors que c'est impossible.

Merci ! Tu n'as pas du tout déformé mon propos (au contraire)