Vous devez être connecté pour participer aux conversations !
Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de Brumepin Brumepin Mode Lecture - Citer - 05/12/2015 21:47:43

Le bâton de marcheur se posa à nouveau sur le sol, comme il l'avait déjà fait sur plusieurs lieues. Garribald Van Emaerus entamait son dix-neuvième jour de marche lorsqu'il atteignit enfin la porte de l'Empereur. Celle-ci marquait la frontière entre le domaine de Portagrel et le Royaume d'Izildieu, deux états qui entretenaient des relations diplomatiques cordiales. Passer cette porte était ainsi devenu une formalité pour la plupart des voyageurs de Novahlie.
Composée de deux battant d'acier et d'airain mesurant au moins dix pas de haut et trois de large chacun, la porte de l’Empereur était flanquée de deux grandes statues gravées à même la gorge qui se formait à cet endroit-là. Celle de l'Est représentait un homme à moitié chauve au visage sévère et vêtu d'une toge attachée par une fibule en forme de soleil à l'épaule droite. Sa main droite était plaquée sur son cœur tandis que celle que de gauche indiquait l'horizon, comme une destination qu'il fallait suivre. Elle rendait hommage à Néréo Ier, proclamé premier empereur Anghalien de Novalhie. Celle de l'Ouest était vêtue exactement de la même manière sauf que le visage du personnage affichait des traits plus doux et des cheveux plus abondant. Ses bras présentaient tous deux l'ouvrage qui faisait face aux voyageurs. Il s'agissait de l'empereur Jézabel III dit le triomphant.
Au pied de la porte, de légers méandres se formaient. Les berges, quant à elles étaient bordées par des saules pleureurs. Un chemin de halage le longeait. Maître Garribald l'emprunta.
Il se dirigea jusqu'à un garde assoupi. Il dormait d’un sommeil paisible et profond adossé contre le mur du poste frontière. Les gardes étaient les seuls à disposer des clefs qui ouvraient une herse de taille humaine pour passer d'un royaume à l'autre. Elle était creusée à même la roche dans un passage de quelque pas. Impossible de la contourner, à moins de faire un détour de plusieurs mois de marche à pied et Garribald n'y était pas vraiment disposé.

Le maître se présenta fièrement devant le gardien, assuré que le passage ne lui prendrait que quelques secondes. Il comprit qu'il dût reconsidérer ses prévisions lorsqu'il constata que le garde ne s'était toujours pas réveillé alors qu'il se trouvait à un pas de lui. Il patienta quelques minutes au bout desquelles il prononça un « excusez-moi » poli auquel le garde ne répondit que par une série de ronflement. Garribald s'agita, prononça plusieurs onomatopées. Puis, n'en pouvant plus, il cria : « Attenzion ! Les Grédaliens nous zenvahissent, branlé-bas dé combat, tout le monde à zon poste ! »
Il avait prononcé ces paroles en forçant son accent de Kaestel-Montis, le tout était très crédible. C'était une mauvaise idée, en vérité. Le garde se réveilla en sursaut, arma son arquebuse. « Quoi des Grédaliens où ça, où ça ? » Et il tira vers le fleuve. Le coup toucha une tanche. Une giclée de sang remonta à la surface suivie du corps de la pauvre bête.
Affolé par le bruit, son collègue sortit du poste de garde, son arme également chargée. Il eut plus de présence d'esprit que son acolyte. Il tint Garribald en joue. Par réflexe, le maître du Temps dirigea sa main vers le pommeau de son épée. C'en fut assez pour que le second garde appuie sur la gâchette. Il tira haut, bien trop haut, atteignant une tourterelle qui venait de s'envoler à cause du premier coup de feu. Elle connut le même sort que la tanche de la Daraule et tomba sèchement au pied de Garribald. « Au moins, j'ai de quoi manger pour ce soir », songea-t-il.
Les deux gardes avaient désormais sorti leurs dagues de leur fourreau et tentaient tant bien que mal, de montrer une allure hostile à l'homme qui se trouvait en face d'eux. Par précaution, Garribald sortit son épée et attendit. La politesse voulait en Novahlie, que les plus nombreux attaquent les moins nombreux (même s'il faut admettre que dans le cas d'une bagarre générale, on faisait généralement peu de cas de la politesse). Sous le soleil brûlant, les trois belligérants attendirent ainsi durant de longues minutes. Après quoi, Garribald entama enfin les négociations.

- Bon, ils sont où les autres ?
- Les autres ?
- Oui, votre garnison.
- Notre garnison ? Et bien c'est nous.
- Comment ça c'est vous ?
- Nous ne sommes que deux à surveiller la porte de l'Empereur.

Il y eut quelques minutes de regards interrogateurs après lesquels, Garribald osa enfin poser sa question.

- Ne me dîtes pas que le royaume de Portagrel n'a mobilisé que deux gardes pour surveiller la porte de l'Empereur...
- En fait, il n'en a mobilisé qu'un, avoua un premier soldat.
- Il n'en a mobilisé qu'un et le second, c'est le royaume d'Izildieu qui s'en occupe. C'est moi.
- Un à l'ouest...
- L'autre à l'est..., poursuivit l'autre.
- Mais... vous êtes tous les deux sur la rive Ouest !

Quelques secondes de réflexion furent nécessaires aux deux sentinelles pour appréhender le sens de ce que venait de prononcer Garribald. L'un d'eux avoua enfin :

- Ce n’est pas faux.
- Bon, soit, admit Garribald. Je voudrais juste me rendre à Mondarion.
- Mondarion ?
- Oui, c'est ça Mondarion.
- Mondarion, donc.
- C'est la première ville en amont du fleuve...
- En amont du fleuve ?
- C'est ça. Elle est de l'autre côté de la porte.
- De l'autre côté de la porte ?

Garribald sentit qu'il allait perdre patience.

- Oui, de l'autre côté. Je voudrais juste passer la porte.
- Ah ! Mais il fallait le dire plus tôt que vous vouliez passer la porte.
- Oui, parce que nous, Mondarion, on ne connaît pas.
- Soit... Vous n'avez pas l'air de connaître grand'chose, m'est avis.
- M'est avis ?
- Je crois, qu'en général, vous ne connaissez pas grand'chose à quoique ce soit.
- Oh, ça le « quoique ce soit », c'est vrai qu'on ne sait pas trop ce que c'est... En revanche, on aime bien cuisiner.

Le premier garde s'empara de la tourterelle tombée au pied de Garribald.

- Vous partagerez bien un repas avec nous ?
- C'est que...
- Parfait ! On prépare une tourte tout de suite, vous verrez. Ca ne prendra que quelques heures.

En vérité, les deux sentinelles n'avaient jamais vraiment cuisiné de tourte et encore moins de la tourte aux tourterelles. Ceci rendit l'élaboration du repas quelque peu longue et scabreuse. Le premier garde était convaincu qu'il fallait mettre d'abord la viande dans le plat et ensuite la pâte, le second arguait que dans sa verte vallée, on mettait la pâte d'abord et la viande ensuite. Après quoi, le premier garde entreprit de plumer la tourterelle plume par plume, justifiant sa méthode par le fait que la viande n'en serait que plus tendre à la cuisson. Au final, de tendre chair, il n'y eut point à manger puisque le second garde s'était endormi pendant la cuisson de la tourte. Le repas fut donc constitué d'une tarte brûlée et de quelques miettes de cendres.

- Je n'ai jamais rien mangé de tel, se félicita l'un des gardes.
- Et moi de même, se désola Garribald.
- Vous voyez, ça valait le coup d'attendre.
- Je ne vous le fait pas dire, répliqua Garribald dans une ironie qu'aucun des deux gardes ne perçut...
- Au fait, vous ne nous avez pas dit comment vous vous appeliez ? Moi, c'est Cokhé et lui, c'est Ekho.
- Ouais, moi, c'est Ekho, répéta l'autre.
- Garribald. Maître Garribald Van Emaerus de la cité salamantique. Je sers l'hôtel du Temps, répondit le voyageur.
- Ca alors, vous êtes Maître de la cité Salamantique ! Et moi qui pensais que vous n'étiez qu'un vulgaire vagabond.
- Je me disais aussi que vous n'étiez pas comme les autres.
- Que voulez-vous dire ?
- Je dirais que vous n'êtes pas ordinaire.
- Pas ordinaire ?
- Pas ordinaire ?
- Et bien, il faut voir ce qu'on voit passer mon cher Maître. Tenez, l'autre jour, alors qu'on faisait une partie de pêche pour se détendre. Là, y'a un type qui arrive et qui nous demande si la pêche est bonne.
- … au départ, on a cru que c'était une énigme...
- … parce que vous comprenez, vu que nous n'avions toujours pas pêché de poisson, on ne les avait pas encore goûté...
- … du coup difficile de dire si la pêche était bonne ou pas...
- … et le pire, c'est qu'en entendant notre réponse, le type arguait mordicus que la pêche était mauvaise...
- … quel pessimiste celui-là…
- … de toute façon, on voyait bien que ce n’était pas une flèche...
- … on a été gentil, on l'a quand même laissé passer...
- … mais quand même, dire que la pêche est mauvaise sans l'avoir goûtée...
- … C'est gonflé de sa part, je trouve...
- … En tout cas, on est bien content de vous voir nous, ça fait du bien de croiser des maîtres de la cité salamantique...
- … Ca nous stimule intellectuellement !

Assommé. Cette histoire sordide avait assommé Garribald. Les yeux dans le vide, il chercha un sens là, où il n'y en avait pas. Il se demanda même s'il n'allait pas faire le détour de plusieurs lieues pour se rendre à Mondarion. Force était de constater qu'en vertu des relations diplomatiques plus que cordiales entre les deux royaumes, la surveillance de la frontière avait été quelque peu négligée par les souverains respectifs. La frontière était tenue par le fond du panier des deux gardes royales.
La nuit s'était installée sur la porte de l'empereur. Garribald se résolut à dormir sur place avant de reprendre la route, dans la cahute où je trouvais les deux sentinelles. En vérité, il ne se reposa pas vraiment. Les deux compères s'étaient couchés pendant qu'ils effectuaient sa lecture quotidienne des runes. A peine était-il entré dans le petit abri que les deux compères ronflaient à tout rompre. Le tintamarre de leur respiration nocturne pouvait s’apparenter au chant de cors encombré par de la roche calcaire. C'était bruyant et sans harmonie. Impossible pour Garribald de dormir dans ces conditions. Il s'installa sous un saule pleureur qui bordait la Daraule.

Le lendemain, lorsque le soleil se leva, Garribald avait déjà eu le temps de faire une dizaine d'exercices à l'épée, de méditer et de lire un article d'astrologie avant que les deux gardes ne se réveillent en même temps. L'air hagard, ils sortirent s'étirèrent longuement. Avant que l'un d'eux ne se décide à parler :

- Et bien heureusement, qu'on ne se lève pas d'heure aussi matinale tous les jours, ça en deviendrait éreintant !
- Ereintant ?, répéta l'autre.
- Oui, fatiguant.
- Ah, d’accord.

Et le garde rentra dans la cahute qui servait de poste de garde. Il en sortit une collection de vêtements : collants, culottes bouffantes, surcots de velours, chemises de flanelle, sans oublier les chevalières, du mascara et quelques perruques.

- Cokhé, c'est bien votre nom ?, interrogea Garribald.
- Bien sûr, pourquoi ?
- Non, rien. Je crois que j'aurais pu le deviner tout seul. Un peu comme votre acolyte.
- Acolyte ?, répéta l'autre.
- Oui, ça veut dire que vous portez bien vos noms !
- C'est gentil de nous le dire, remarqua Cokhé. On ne nous l'avait jamais fait remarquer.
- Y'a pas de quoi !

Et les deux gardes retournèrent à leurs occupations sans prêter attention à lui. Garribald les observa pendant un long moment. L'un se demandait ce qu'il allait bien pouvoir mettre aujourd'hui, l'autre était occupé à regarder sous le feuillage d'un arbre pour voir ce qu'il s'y passait. Ce n'est qu'à la fin de la plage du levant que Cokhé eut fini de se préparer. Dernier élément de sa longue préparation, le trousseau de clef qu'il accrocha fièrement à une boucle de sa ceinture. Le maître de la cité salamantique hésitait entre exaspération et... exaspération.

- Dites-moi, quand est-ce que vous comptez reprendre le service ?
- Le service ?
- Oui, garder la frontière. Ouvrir la porte.
- La porte ?
- Oui, je voudrais passer la frontière. Pour cela, il faudrait que vous m'ouvriez la porte. Ca fait depuis hier, je suis bloqué ici. J'aimerais poursuivre mon chemin.
- Oh, vous nous quittez déjà !, lança Cokhé déçu. Si vous voulez passer la frontière, allez-y, vous n'avez pas besoin de nous, maître.
- Je vous demande pardon ?
- Il suffit juste d'emprunter le passage creusé à même la roche à côté du poste de garde. Venez, je vous montre.

Et en effet, dissimulé par la cahute du poste de gardes, un passage de quelques pas était creusé à même la roche et donnait accès au royaume de Portagrel. Le passage était tellement court qu'il était possible d'en distinguer l'autre extrémité depuis l'entrée. Un élément choqua Garribald.

- Où se trouve la herse ?
- La herse ?
- Oui, la grille qui sépare les deux royaumes. Où se trouve-t-elle ?
- Ca fait bien quelques années que nous ne l'avons pas descendue. C'est plus pratique, comme ça les gens passent d’un pays à l’autre quand ça leur chante sans nous embêter.
- Mais ça va pas, non ? Comment on fait pour arrêter les bandits ?
- Vous savez les bandits…
- Oui, c’est vrai. Je n’ai rien dit… Mais qui vous a donné une idée pareille ?
- Un homme qui venait d’Orient. Les yeux un peu bridés et le teint pâle. Il nous a dit que ce serait plus pratique si on laissait la herse ouverte. Je crois qu’il se faisait appeler Chen Gen, un truc comme ça
- Chen Gen ?
- Chen Gen ?
- Oui, Chen Gen, ça me revient maintenant.
- D’accord, mais alors ces clefs pourquoi vous les portez toujours ? Elles nous servent plus à rien désormais.
- Moi, je trouve que ça me donne un petit style. Un côté viril, vous voyez ?
- Je vois, oui.

Et sans plus attendre, Garribald retourna près du saule pleureur où il avait passé la nuit pour reprendre son baluchon, bien décidé à reprendre son chemin le plus vite possible. Il repasse devant les deux gardes visiblement déçus de devoir se passer d’une compagnie aussi agréable. Garribald prit tout de même le temps de leurs serrer la main courtoisement. Ce geste de reconnaissance sembla les réjouir et combler au plus haut point. Alors que le maître du Temps s’enfonçait dans le passage, ils firent de grands gestes de la main pour lui souhaiter un bon voyage.

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 18/02/2016 17:46:38

Bon... comme les fois précédentes la version commentée en détail est dans ta boîte mail.
Je suis dubitative face à ce chapitre. J'ai eu l'impression de voir la suite du roman d'aventure dont j'avais le souvenir, puis un épisode de Kaamelott puis du Naheulbeuk mais finalement la fin était assez agréable car tu avais alors une sorte de légèreté qui manquait sur l'ensemble du texte pour lui donner de l'unité et surtout mieux faire ressortir l'humour sans que ce soit forcé, sauf que ça c'est terminé quand, j'ai eu l'impression, tu trouvais le bon positionnement.

D'abord, j'ai beaucoup grincé des dents sur les premiers paragraphes. Je n'ai rien compris à la description du décor, je trouve que tu te perds. Ca manque de hiérarchisation (proposition pour revoir : 0- où on est ? (au pied d'une falaise, dans une gorge plutôt large) 1 - qu'est-ce qu'on voit au centre (la rivière - que tu cites jamais !) 2 - sur les côtés (chemin de hallage et arbres) 3 - en arrière plan (une cabane au pied d'une porte immense, encadrée de deux statues) 4 - description des détails (les statues et où passe la rivière dans la porte ?)) et tu parles de choses qui n'ont pas été introduites en amont du coup c'est impossible de suivre à mon avis.

Ensuite, comme je l'ai dit, j'ai eu du mal à trouver le bon ton. C'est comme si tu avais été stressé de faire un truc drôle et que tu avais trop voulu guider le lecteur "regarde, regarde mais siiii c'est drôle !". Je pense que ton narrateur est trop partial et ça empêche au lecteur de juger de lui-même ce qu'il se passe. Il faudrait à mon avis aller plus dans la suggestion, laisser les dialogues tels quels par exemple mais alléger les incises et descriptions des réactions afin que le lecteur ait de l'espace pour s'approprier la scène.

2 points qui me posent questions scénaristiquement :
- pourquoi ils vont pour se battre ? autant les deux zouaves ok, autant Garribald je vois pas pourquoi il sort son épée au lieu de régler le conflit direct
- pourquoi pendant la nuit il leur pique pas les clefs pour partir ? s''il est pressé et agacé ?
Enfin, je veux bien qu'il soit gentil, mais si on passait du coup du la tourterelle morte à celle de shen-gen, ce serait plus dynamique je trouve. la tourte et les prénoms, c'est mignon, un peu attendu, peut-être pas vital?