Le Temps des Rêves

Sur l'asphalte de l'autoroute,
Gît un homme,
Les bras étendus en travers de la chaussée.
Dans ses vêtements troués,
Quelques feuilles d'automne
S'engouffrent.
Elles viennent fleurir une tombe
Qu'il n'aura jamais.

Ses baskets crevées racontent son voyage.
La survivance de son exil,
La poussière des paysages
Qu'il a emporté dans son asile.

Et, sans douleur, il sourit.
Il part, enfin,
En digne oublié de la mer de Calais.


Sur l'asphalte de l'autoroute,
Il y a un camion au loin.
Il vient de faucher quelqu'un.
Il ne s'est pas arrêté...
Penses-tu !
Des camions, ici, il y en a plein.
Ils offrent le passage, la traversée
De la mer ou d'un fleuve, c'est selon.
Mais il est impossible de choisir la destination.

Et pourtant, ils sont des milliers à venir sur le rivage,
Des nuages plein le cœur et des prières plein le ciel.
Tous, ils savent,
Qu'au détour d'une dune, au creux d'un virage,
C'est leur vie qui partira dans une indifférence mortelle.

Et, sans pleurs, ils se sacrifient.
Il partent, en vain,
En dignes oubliés de la mer de Calais.


Sur l'asphalte de l'autoroute,
Crève la mémoire,
Et poussent les haies du déshonneur.
C'est une cage à ciel ouvert qui prend racine,
Parmi la dentelle du grillage,
Quelques rubans colorés
S'éliment.
Ils portent avec eux des hommages
Pour ceux qui ne sont jamais rentrés.

Car la mort mange quiconque la côtoie,
Et la mer Manche est un lieu où l'on se noie.
Or un nouveau mur s'érige !
Tout aussi haut, tout aussi grand, tout aussi gros, tout aussi vain.
Tu sais très bien de quoi je parle,
Je crois qu'à l'époque, on parlait de Berlin.

Et, sans couleur, elle se construit.
Cette palissade, pour rien,
En digne oubliée de la mer de Calais.

C'est aussi à lire ici :
http://brumepin.e-monsite.com/blog/poemes/sur-l-asphalte-de-l-autoroute.html

Et pour ceux qui voudraient de l'info sur la situation à Calais, en voici un peu :
http://remi-declerck-pro.e-monsite.com/blog/au-vestiaire-de-calais/a-calais-on-construit-un-mur.html

Plus d'infos bientôt sur une manifestation qui s'est déroulée le 18 décembre.

C'est... beau. Et triste, aussi.
La mort qui envahit ces deux espaces que sont la plage (pourtant si belle) et l'autoroute, ces deux signes du voyage...

Je n'ai pas encore lu ton lien sur les explications, mais tu écris bien à propos des immigrants réfugiés à Calais qui cherchent ) passer en Angleterre ?

Attention, à l'antépénultième strophe, ce doit être "qui pend racine", non ?

J'ai été emportée. Tu dénonces avec douceur et dignité, sans tomber dans le pathos gratuit ou dans l'emphase. Les mots sont simples et justes et les images s'imposent dans toute leur crudité et leur puissance, sous un voile de poésie néanmoins.
J'ai juste eu du mal avec cette strophe que je trouve plus "maladroite" que les autres, dans les rimes et la recherche d'expression.



J'aime beaucoup le premier vers mais ensuite, je trouve qu'il y a trop d'abstraits associés : la survivance de l'exil qui rime avec asile... Je ne sais pas trop comment expliquer mais c'est les seuls vers où je suis sortie du texte et où je t'ai vu en train de choisir et chercher tes mots.

En tout cas, merci pour ce texte.

Du bon et beau Brumepin. Pas besoin de connaître tous les dessous de l'histoire pour apprécier le texte (contrairement à certains des premiers textes que j'avais pu lire de toi).

Merci pour ces commentaires encourageants.

@ MKL: Merci surtout à toi, c'est un peu grâce à un lecteur comme toi que je prends note de mes précédents textes pour ne pas tomber dans les mêmes écueils à l'écriture des suivants. Ca fait plaisir de voir que tu constates qu'il y a une évolution même si elle demeure légère.

@ zinzolin : Merci pour la première partie de ta critique, c'était l'effet recherché. Je dois avouer qu'avant d'écrire ce texte j'ai relu "Gao", un texte de ta plume, je pense. En tout cas, tu l'avais joué à Vézelay. Et pour la seconde partie de ton commentaire, merci aussi. Et c'est vrai que j'ai eu plus du mal à l'écriture de ce passage.