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Arbre

Le Temps des Rêves

Sur l'asphalte de l'autoroute,
Gît un homme,
Les bras étendus en travers de la chaussée.
Dans ses vêtements troués,
Quelques feuilles d'automne
S'engouffrent.
Elles viennent fleurir une tombe
Qu'il n'aura jamais.

Ses baskets crevées racontent son voyage.
La survivance de son exil,
La poussière des paysages
Qu'il a emporté dans son asile.

Et, sans douleur, il sourit.
Il part, enfin,
En digne oublié de la mer de Calais.


Sur l'asphalte de l'autoroute,
Il y a un camion au loin.
Il vient de faucher quelqu'un.
Il ne s'est pas arrêté...
Penses-tu !
Des camions, ici, il y en a plein.
Ils offrent le passage, la traversée
De la mer ou d'un fleuve, c'est selon.
Mais il est impossible de choisir la destination.

Et pourtant, ils sont des milliers à venir sur le rivage,
Des nuages plein le cœur et des prières plein le ciel.
Tous, ils savent,
Qu'au détour d'une dune, au creux d'un virage,
C'est leur vie qui partira dans une indifférence mortelle.

Et, sans pleurs, ils se sacrifient.
Il partent, en vain,
En dignes oubliés de la mer de Calais.


Sur l'asphalte de l'autoroute,
Crève la mémoire,
Et poussent les haies du déshonneur.
C'est une cage à ciel ouvert qui prend racine,
Parmi la dentelle du grillage,
Quelques rubans colorés
S'éliment.
Ils portent avec eux des hommages
Pour ceux qui ne sont jamais rentrés.

Car la mort mange quiconque la côtoie,
Et la mer Manche est un lieu où l'on se noie.
Or un nouveau mur s'érige !
Tout aussi haut, tout aussi grand, tout aussi gros, tout aussi vain.
Tu sais très bien de quoi je parle,
Je crois qu'à l'époque, on parlait de Berlin.

Et, sans couleur, elle se construit.
Cette palissade, pour rien,
En digne oubliée de la mer de Calais.