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Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de poulix poulix Mode Lecture - Citer - 13/05/2011 17:14:26

Rêve d'Automne est une pièce de théâtre du norvégien Jon Fosse qui est (pour votre gouverne) considéré comme un des plus grands compositeurs contemporains.
Cette pièce a été mise en scène par le non moins célèbre (dit poulix qui n'en avait jamais entendu parler) Patrice Chéreau qui est non seulement metteur en scène de théâtre mais aussi d'opéra, réalisateur et scénariste de cinéma et acteur.

Alors alors... de quoi ça parle ?

Rêve d'Automne se passe dans un cimetière et évoque les retrouvailles de deux anciens amants, un jour automnal. Jour de pluie. L'homme est ici pour enterrer sa grand-mère. Il a l'air usé et fait penser à un SDF. La femme est ici mais on ne sait pas trop pourquoi. Commence alors les retrouvailles. Le désir d'aller vers celui qu'on a aimé, vers celle qu'on aime encore. Puis le rejet. Et le désir de nouveau. Des cris, des caresses, des bousculades bientôt aggravées et accélérées par l'irruption d'autres personnages.

Et poulix, elle en pense quoi ?
*À travers cet amour qui renaît sans être jamais mort, Patrice Chéreau nous permet d'explorer les mécanismes de l'esprit humain. En effet, les deux amants se retrouvent dans un cimetière sans s'être concertés alors que cela fait des années qu'ils ne se sont pas vus. Ils commencent pas dire "C'est étrange que nous nous rencontrions, là, dans ce cimetière, sans savoir que l'on rencontrerait l'autre". Puis, au fil de la pièce, cette pensée se répète, s'altérant petit à petit. Ils finissent par dire :
-"Tu savais que tu me trouverais ici ?"
- Non, non, je ne savais pas. C'est étrange. Enfin, je crois que, peut-être, je pensais que tu étais là. Pas clairement mais confusément. Quelque part je pensais que tu étais là sans le savoir".
Et quelques temps plus tard, après quelques cris, caresses, rejets et souvenirs :
-"Tu savais qu'on se rencontrerait ?"
- « oui. Je savais que je te retrouverais. Si je suis venue ce n'est que pour toi. Je le savais clairement, je l'ai toujours su"
J'ai beaucoup apprécié cette évolution parce qu'elle dénonce (sans la dénoncer, juste en la présentant) notre penchant, presque inconscient, à transformer nos convictions et nos discours en fonction du contexte. On dit quelque chose puis la même chose mais légèrement différemment et on finit par s'en convaincre nous-même. On passe du "croire peut-être confusément" au "savoir clairement" sans même nous en rendre compte parce que les infinies variations qui se trouvent entre les deux nous font croire qu'on n'a pas changé de discours.

*Dans le même ordre d'idée, j'ai aimé la récurrence du doute, des "peut-être" des "je crois", des "je ne sais pas". Parce que dès que l'amour, la mort, les sentiments sont convoqués, l'homme se retrouve face à des notions qui le dépassent.
Une phrase surtout. Quand l'homme meurt, les deux femmes qui l'ont aimé se retrouvent. Et ça donne :
"- Je l'aimais pourtant. Je l'aimais"
- Moi aussi
- Je l'aimais. Même si je ne sais pas ce que ça veut dire. Je l'aimais. C'est vrai."
Enfin voilà, ça a touché poulix, cette assurance de la vérité de l'inconnu ^^.


Et une fois que les amants se sont retrouvés, que se passe-t-il ?

*L'irruption des parents de l'homme accélère encore plus la folie. On y lit la peur maternelle de voir son enfant mourir au moment où il part de la cellule familiale. Comme si mener sa propre vie c'était renier ses origines. La mère, hystérique, paniquée est un personnage qui vient impulser une énergie criarde à la pièce. Elle permet au spectateur de se retrouver ou de retrouver certains caractères par le biais de la représentation. Des ptits exemples ?
- « Tu te rends compte ! Le temps passe si vite[dit la mère à son fils]. Tu te rends compte ? Tu as déjà 50 ans !!! » …. « JE SAIS !!! » [répond le fils en hurlant]. Je trouve cet échange tellement « réel », tellement probable et bien trouvé...
- "Ne t'en vas pas. Ne pars pas ! Tu vas disparaître. Tu cours à ta mort" [dit la mère au moment où l'homme part avec son amante... et sort donc du théâtre]. Jolie mise en abyme. Parce que quitter la scène c'est un peu comme quitter une vie. Parce que rejoindre son amour c'est un peu quitter celui d'une mère. Parce qu'entre ne plus être et ne plus être là il n'y a qu'un pas"


Et la pièce en général, le jeu des acteurs, la scénographie, le style ?

*J'ai eu un peu de mal à me mettre dans la pièce. Je crois que cela était dû à la diction des acteurs qui avait quelque chose d'artificiel (et c'était bien sûr voulu). Mais une fois cette étape passée, une fois l'énergie de la pièce déclenchée, on se laisse assez facilement emporter. Et les acteurs, leur jeu, leurs expressions et leurs mouvements y sont pour beaucoup.

*J'ai beaucoup apprécié les téléscopages temporels. Le spectateur n'est pas prévenu que plusieurs années ont défilé le temps d'une seconde, le spectateur ne fait que ressentir que, pendant 30 minutes assis sur son fauteuil, le temps piétine en attendant un enterrement qui ne vient pas.

*l'absurdité des discours. Plus la pièce avance plus les discours deviennent absurdes. Un peu comme dans un pièce de Becket ou de Ionesco, il y a énormément de répétitions, énormément de cris, de mouvements, de phrases coupées, hachées, brèves et sans profondeur. Comme si Fosse avait arraché des bribes de phrase de la vie quotidienne pour les mettre à bout (« vous aussi vous étiez en avance ? », « ça fait plaisir de te revoir », « tu devrais venir nous voir plus souvent », « alors comme ça vous étiez en avance ? », « Venez, qu'on bavarde un peu »). C'est, selon les mots de Fosse : « un langage qui est ».
En d'autres mots, c'est une pièce de théâtre à voir et non à lire (parce que je ne sais pas si vous avez déjà lu du Beckett mais c'est insupportablement ennuyeux : des mots répétés et des personnages creux... qui ne prennent substance et intérêt que par l'invocation de la parole et du jeu des acteurs)

*La scène se passe dans un cimetière mais le scénographe ( Richard Peduzzi) s'est fait plaisir et a métaphorisé le cimetière en faisant évoluer les personnage dans un musée. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'un musée a à voir avec un cimetière ? Peut-être... peut-être qu'un musée est un endroit où les vivants (les visiteurs) cohabitent avec les morts (les artistes). Où un dialogue s'instaure, où la prière est remplacée par l'attention du regard. Les vivants déambulent entre les tableaux comme ils le font entre les tombes. En silence. Lisant les petites plaques qui raconte l'histoire du mort. En silence. Les tableaux comme des pierres tombales. Comme le dernier signe d'un disparu, comme ce qui permettra de perpétuer sa mémoire... J'ai trouvé cette transposition très bien vue.
Très bien vue... d'autant plus que cette mise en scène permet des échos troublants entre les tableaux et l'histoire... et qu'après le spectacle... zouuu, poulix est partie à la découverte du musée (la scène étant au même niveau que les spectateurs ^^) et a théâtralisé un de ses poèmes avec une amie. (ça, c'était pour l'anecdote !)


Hum... je crois que j'ai fait une tartine...
Si vous voulez voir la pièce : dépêchez-vous :
Au TNB (Rennes) jusqu'au 20 mai !