Vous devez être connecté pour participer aux conversations !
Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de Thorfynwolfodyn Thorfynwolfodyn Mode Lecture - Citer - 20/05/2012 22:41:17

Altérité collective.



Moi et lui. Où sommes-nous ?
Lui est moi. Où ai-je atterri ?
Le noir. Profond. Total. Absolu.
Je tâtonne dans le vide obscur.
Ses pas se font l’écho des miens.
Le contact froid d’une barre rouillée.
FIAT LUX. Elle m’aveugle jusqu’à en tomber à genoux.
Flamboyance qui me brûle les yeux : Hiroshima émotionnel ?
Illumination divine ?
La lumière décroît doucement. Mon regard se dévoile.
Une herse, et au-delà, un miroir me renvoie un reflet narquois.
Il semble se moquer de moi.

Une oubliette ? Un cul-de-basse-fosse ?
Les murs sont de granit, ruisselants d’humidité.
Alors, pourquoi ce parfum d’encens, pourquoi cette chaleur insoutenable ?

Le poids du métal sur mes épaules….
Mon jumeau porte une armure rougeoyante bardée de pointes. Une longue flamme lui sert d’épée. Mais mon harnois est d’or et d’azur. Et quelles sont ces ailes nacrées dans mon dos : quel est cet étrange miroir qui déforme mon image ?
Pourtant, il reproduit fidèlement chacun de mes mouvements, parfaitement inversés.
Et c’est bien mon visage qui me fait face.

La grille se lève. Horribles crissement d’acier torturé.
Nous sommes enchaînés tous les deux, mais nos fers nous laissent juste assez de liberté pour que nos armes soient efficaces. Mais pourquoi ces armes ? A quoi bon ma lame en argent ?

Loin au dessus de nos têtes, une balustrade. Deux aigues-marines glaciales et deux rubis en fusion nous regardent. Un duo de voix aussi antagonistes que complémentaires ordonne en même temps :
« Combattez, pour la gloire du plus grand d’entre nous, obéissez, pauvres marionnettes ! ».
L’une, digne d’un stentor, tonitrue et tempête quand elle ajoute :
« Pour le triomphe du bien suprême, telle est ma volonté ! ».
Sa jumelle caverneuse corrige :
« Pour que le mal, mon œuvre, s’impose enfin ! ».

Nous sommes donc les champions de causes adverses, et l’issue est inéluctable. Je dois combattre un sosie. Mais où suis-je ? Cela n’a pas de sens…
Qu’importe pour mon double, qui esquisse un sourire sadique avant de se ruer sur moi.
J’ai à peine le temps d’esquiver le coup. Etrangement, sa fureur ne parvient pas à déjouer ma vigilance.
Pas le temps de réfléchir à cette question : « à quoi bon tenter de sauver une vie hypothétique dans cet univers ubuesque ? ».
L’instinct est le plus fort. A mon tour de passer à l’assaut. Mais je ne suis pas plus chanceux que lui, ne parvenant pas à tromper sa garde. Il semble anticiper tous mes coups avec un plaisir évident. Mais enrage quand se voit confronté au même insoluble problème.
Feinte, quarte, fente, parade, plongeon ; cela semble durer des heures, des jours, une éternité.
Un tango funeste dont le chorégraphe bicéphale ne connaît pas le dénouement…

Finalement, sa rapière de feu trouve le défaut de mon plastron. Sa joie est de courte durée. Je lui ai décoché simultanément la même botte secrète. Mon sang coule en larmes rouge vif. Le sien, noir d’encre, souille les têtes de mort ornant son poitrail. La douleur fulgurante éclôt au plus profond de mon âme, à tel point que la colère m’inonde : le désir de vengeance autodestructeur s’empare de moi. Deux hurlements rageurs de fauves blessés se mêlent.

Les yeux de braises persiflent :
« Ta belle création n’est pas parfaite, ton serviteur a goûté au poison de la haine et jamais plus n’y renoncera… ».
Mon assaillant hésite : à son grand étonnement, voir son pendant angélique dans un tel état le trouble. Se tournant vers nos mystérieux spectateurs, ce chevalier écarlate les apostrophe :
« Quand il souffre, mes chairs aussi sont martyrisées…et je n’aime guère voir mon reflet aussi pitoyable ».

C’est alors que le regard glacial répond à son rival :
« Ta démoniaque créature ne paraît pas aussi insensible que tu l’espérais : j’ai l’impression qu’il vient de découvrir les remords et les hésitations… ».
Un grognement cynique pour toute objection.

Ma vie s’écoule tout doucement hors de mes veines mais nos blessures sont des sources infinies, nos forces ne diminuent pas pour autant. Il n’y aura pas de vainqueur.
Ni paradis, ni enfer.
Juste in purgatoire ad vitam aeternam.
Ni Dieu comme maître, ni esclave de Satan.

Alors les lumières de la raison libèrent enfin mon esprit.

Je sonde les pensées de mon frère de tourment. Il est moi, Drakken, et je suis lui, Cypher.

Alors, j’hôte mes habits d’airain, aussitôt imité par mon compagnon d’infortune, mon ennemi intime.
Ma dague, brutalement plongée dans mes entrailles offertes, m’apporte instantanément la sublime douceur de la délivrance. Mon alter ego, extatique, contemple son abdomen s’orner d’une rose sanglante. Tombant dans les bras l’un de l’autre, nous nous remercions mutuellement pour cet autosacrifice libérateur.
Nous sombrons petit à petit dans une inconscience ouatée, la colère divine mélangée aux hurlements de dépit de la Bête en toile de fond sonore.
Lentement, je commence à rire avant d’entendre me murmurer à l’oreille : « enfin libres… ».

La Géhenne se déchaîne, les flammes nous entourent, mais impuissantes jamais ne nous brûlent, pas plus que nous attirent les nymphes éthérées nous promettant d’illusoires champs élyséens. L’apocalypse la plus terrifiante se confond avec les visions les plus enchanteresses.
Mais nous continuons à sombrer vers l’abîme de notre symbiose grandissante.
Trou noir fusionnel. Un tunnel incandescent, puis retour à l’obscurité primordiale. Je suis arrivé au bout du chemin, c'est-à-dire au commencement de l’interminable, à moins que ce soit le retour à rien du tout…







Sueur. Sur mon visage perlent les gouttes d’une sueur glaciale.
Et pourtant je brûle de fièvre, aimanté à cette couche maudite dont je suis prisonnier.
Au prix d’efforts colossaux, je tourne la tête vers ma muse, assoupie à mes côtés.
Les draps tendrement défaits par nos ébats nocturnes ont laissé son dos découvert jusqu’à la naissance de ces reins, si prometteuse, si tentante.
Mais mon attention revient comme toujours sur le tatouage.
Un dragon à deux têtes s’entredéchirant, l’une blanche et l’autre noire, tenant entre ses griffes des pentacles antithétiques. Le même orne mon échine.
La respiration de ma princesse de la nuit se fait moins régulière. Elle remue un peu. Inconsciemment, elle a dû sentir que quelque chose n’allait pas. Ma moitié chérie se tourne vers moi et m’offre la vision de ses iris verts comme des pythons qui s’éveillent paresseusement. Se blottissant contre mon corps devenu électrique, elle m’embrasse tendrement, sa longue chevelure d’ébène s’étalant sur mon torse.
« Mon amour, si je te raconte le cauchemar que je viens de faire, tu vas croire que je suis devenue folle ».
Un frisson parcourt mon épine dorsale. En lisant au fond de ses prunelles si chères, j’ai enfin compris…
Le réveil indique 6h66 du matin. Sans doute l’affichage électronique est-il défaillant…
La radio se met en marche : les hauts parleurs crachent « Highway to hell ».

Celle qui partage mes joies et mes peines se redresse sur les coudes et, dans la splendeur de sa nudité, m’offre le plus joli sourire qui puisse orner son beau minois :

Mi ange, mi démon.

Avatar de Thorfynwolfodyn Thorfynwolfodyn Mode Lecture - Citer - 20/05/2012 22:44:12

Un vieux texte datant de mes années parisiennes sur lequel je suis retombé récemment et que je n'avais jamais publié nulle part. J'ai bien aimé le relire, c'est pourquoi je le poste ce soir.

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 09/02/2013 12:40:40

Baaaark ='= non je rigole ^^(rappel : elle aime pas le romantisme)

j'ai ADORE le rêve, la montée en puissance du combat, et les réflexions des "dieux" sur leurs héros. J'adore en général les combat bien/mal surtout quand tout fini bien mal...

la fin dans le monde réel est bien, mais personnellement, je m'en serais bien passée XD

merci pour ce combat épique ! je l'ai trouvé très inspirant Grand Sourire

Avatar de Thorfynwolfodyn Thorfynwolfodyn Mode Lecture - Citer - 27/03/2013 23:43:31

Merci pour les compliments, et en effet, on peut zapper le retour dans le "réel" si on aime pas le romantisme ^^