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Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de Zinzolin Zinzolin Mode Lecture - Citer - 29/08/2011 19:01:05

Tic tac tic tac… Il semblait que la trotteuse du réveil s’était soudain emballée. Peut-être, dans toute autre circonstance, aurait-il mis cela sur le compte d’une déficience mécanique mais il choisit de le prendre comme un signe. Compréhensible pour un homme qui venait de passer les deux dernières heures allongé sous le lit à barreaux de son plus jeune fils. Il osait à peine respirer : il faisait tout pour la ralentir, pourtant sa respiration avait décidé d’imiter la trotteuse, bien malgré lui, et se faisait haletante. Il ne pourrait pas tenir beaucoup plus longtemps. Les lattes du parquet grinçaient au moindre de ses mouvements, et chaque froissement de ses vêtements lui semblait se répercuter dans toute la maison. Mais l’aiguille le pressait, son temps s’amenuisait et il fallait qu’il sache. Lentement, il remua ses doigts, un par un, puis ses orteils. Ils grincèrent d’être restés si longtemps immobiles. Quand le fourmillement se fut un peu apaisé dans ses membres, il saisit le pied du berceau le plus proche et se tira le plus silencieusement possible de sa cachette. Se redressant douloureusement, il remercia mentalement son épouse d’avoir insisté pour choisir un lit aussi ridiculement haut-perché : son ventre arrondi par les années n’aurait pu se glisser ailleurs. Maintenant qu’il était debout, il entendait mieux le souffle régulier de ses trois enfants endormis. Ils étaient si paisibles. Il ne fallait pas les réveiller. Il fallait les laisser rêver. Rêver comme il avait tant de mal à le faire depuis des années. Il traversa la chambre, laissant son regard s’attarder sur chacun d’eux un moment. Ils souriaient, du moins est-ce ce qu’il imaginait dans la pénombre de la pièce. Au bout de la chambre, il s’accouda à la fenêtre et regarda les étoiles, lointaines et chaudes, hors de portée. Oserait-il ? Sa main se posa sur la poignée froide et la fit pivoter. La fenêtre s’ouvrit avec un claquement discret, et un vent frais entra. Un vent libre et voyageur. Se traitant de fou, il enjamba le rebord et s’assit. Son cœur battait trop vite. Il n’y avait pas de silhouette juvénile à l’horizon, rien qui se découpât sur le voile léger des nuages. Il se perdit dans ses pensées.
Quand les trois enfants étaient réapparus, quelques mois auparavant, ils n’avaient pas voulu dire où ils avaient passé tout ce temps. Ils avaient peu à peu repris leurs habitudes ; ils avaient mûris, lui semblait-il. Mais, de temps à autre, il surprenait un regard, un soupir, un geste mélancolique. Alors, il avait pris l’habitude de venir écouter leurs rêves… Ils marmonnaient souvent, entre deux sourires, entre deux soupirs, quelques mots qu’il ne comprenait pas toujours. Des histoires de pirates, d’orphelins, de fées… Des rêves d’enfants. Et puis ce prénom, Peter… Ce devait être un ami qu’ils s’étaient fait lors de leur étrange excursion. C’est Michel, une nuit, qui avait murmuré : « Je veux retourner avec Peter ! » Il avait passé out le reste de la journée assis comme cela sur le rebord de la fenêtre sans qu’on puisse l’en déloger. Et il avait continué à les écouter. Jusqu’à la nuit où il avait fini par comprendre, en recoupant les bribes de parole qui leur échappaient, que ce Peter était venu en volant par la fenêtre et qu’il l’avaient suivi par le même chemin. « Ils ont lu beaucoup de contes de fées », avait répondu sa femme lorsqu’il lui avait rapporté ses découvertes. Oui. Mais il ne pouvait s’empêcher d’y voir autre chose. Il avait tant besoin de rêver lui aussi.
Cette nuit, comme il ne parvenait pas à dormir, il s’était levé soudain avec le sentiment qu’il viendrait. Peter. Mais il avait beau plisser les yeux, il ne voyait rien d’autre que le ciel devant lui. Et une envie folle d’essayer à son tour l’envahissait. D’essayer quoi ? De partir ? Pour aller où ? De voler ? Quelle idée ! Il sourit, se moquant de lui-même. Les enfants ne volent pas, les adultes encore moins. Il se sentit un peu ridicule, soudain, à se raconter des histoires sur le bord d’une fenêtre. Un peu intrus parmi ces trois petits corps endormis. Et pourtant, il ne pouvait s’empêcher d’espérer. Espérer quoi ? Il sursauta quand un oiseau prit son envol, sur un toit voisin. Il guettait chaque nuage, repassait la lune avec ses yeux pour voir si un étrange petit homme n’allait pas en sortir. Il commençait à avoir froid. Espérer quoi ? Tic tac tic… tac… tic… … tac… Espérer quoi ? Le réveil continuait sa course. Continuerait sa course en emportant toujours plus loin ses rêves d’enfant. Peut-être que pour lui aussi, un jour, il y avait eu un Peter, qui s’appelait… qui s’appelait autrement. Il y avait eu des fées et des pirates, des oiseaux de paradis sur des prairies en fleur. Il y avait eu du danger, de l’aventure dans chaque recoin de son imagination, des occasions de se montrer héroïques vingt fois par jour. Mais il les avait manquées, il le sentait ; il avait manqué sa chance d’être un enfant. Un Peter lui avait tendu la main ; il avait détourné les yeux.
Il tremblait. Il grelottait. Il aurait bien aimé pleurer. Les arbres bruissaient, un chat miaulait, un fiacre passait, la nuit respirait, des bruits désespérément ordinaires que rien ne venait repeindre. Il sourit. Il aurait au moins essayé. Il repassa maladroitement ses jambes de l’autre côté de la fenêtre. Il tourna la poignée. Il avait un peu moins froid. Il jeta un dernier petit regard à la lune. Il posa la main sur la porte. Et puis se ravisa. Il retourna près de son fils, déposa un baiser sur son front, se glissa de nouveau sous le lit à barreaux, et ferma les yeux.


Texte co-écrit avec Naniquolas

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 22/12/2011 11:58:08

J'ai A-DO-RE.
Evidemment, Peter, c'était me prendre par les sentiments aussi. Voilà rien d'autre à dire, mise à part peut-être qu'au départ j'avais compris que les trois enfants étaient des nourrissons... (et que le début est très flippant).

Avatar de Zinzolin Zinzolin Mode Lecture - Citer - 22/12/2011 15:35:39

Ouiiiii ! (Enfin quelqu'un qui l'a lu^^.)
En fait, l'intérêt du multiplume, c'est que tu peux créer l'ambiance que tu veux, la laisser en plein suspens et c'est à l'autre de se dépatouiller...

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 23/12/2011 01:06:35

Ouais je pensais que ça allait virer au fait que le père avait tué les trois gosses... je préfère Peter...