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Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de Hedera Hedera Mode Lecture - Citer - 15/11/2019 18:14:58

Des pas dans le couloir, qui troublent le silence.

Je me dresse sur ma chaise, les mains crispées sur le bord de la table. Des pas, lents, un peu traînants, qui font grincer l'antique parquet. Je fais pivoter ma chaise, fouille des yeux la pénombre du corridor pour identifier la source du bruit, partagée entre la terreur et l'espoir. Pour quelle obscure raison est-il venu ? Pour me secourir du vide où, de jour en jour, je m'enlise peu à peu ? Ou, au contraire, pour m'y plonger plus profondément, pour me forcer à regarder l'abîme jusqu'à la folie ?

Il approche. Le raclement de ses semelles et son souffle lourd peinent à couvrir les battements de mon cœur affolé. Tremblante, je me force à sourire, avide de montrer mon meilleur visage, fût-ce à un potentiel bourreau. Quels mots sortiront de ses lèvres ? Quelles merveilles pourront lui faire découvrir mes doigts sur le clavier ? A chaque instant son pas devient plus sonore, plus précis. Sa silhouette grisâtre se matérialise à la lueur des lampes. Le plafonnier au-dessus de ma tête hésite et clignote.

Il est presque là. Dans quelques battements de cœur, il aura franchi tous les obstacles, il se tiendra en face de moi. Son ombre voûtée se découpe sur le plâtre du mur ; il semble porter toutes les peines du monde dans son cabas rouge sang. Va-t-il passer sans me voir, continuer sa lente giration cosmique et me renvoyer à ma prison de vide ? Défaillant d'espoir, je reste figée, éperdue de recevoir seulement un regard. Ses yeux happent les miens, il avance vers moi, marche lourde et royale qui fait trembler et frémir la pièce toute entière et moi, demoiselle en détresse d'attention, diaconesse parée pour l'antique cérémonie, je vois, comme dans un cantique, venir vers moi mon sauveur. Sois béni, trois et quatre fois béni, toi qui me sauves du silence et de la solitude...

Les pas s'arrêtent. Il se fige, idole crépusculaire que les lampes noient d'or et d'argent. C'est à moi de parcourir les derniers mètres qui nous séparent. On dit que souvent les dieux se jouent ainsi des espoirs et des peines des mortels, qu'ils nous imposent des épreuves afin que nous, pauvres vermisseaux, puissions leur montrer notre courage et notre valeur. Je me lève, mains ouvertes et vides, un sourire indécis aux lèvres. Peut-être, en fin de compte, que ce n'est pas moi qui serai sauvée ce soir ; que c'est lui, pauvre âme perdue, qui doit être conduit, tenu, guidé, dorloté à travers ce vaste univers hostile, cette jungle de chiffres et de titres qui se perdent dans les méandres de nos esprits et nous y égarent parfois nous-mêmes - cette prison où, victimes volontaires, nous nous sommes emmurés, condamnés à l'exil derrière nos banques de prêt ?

J'avance, muette et droite, vers l'entité immobile.
Un rayon de reconnaissance illumine ses yeux.
Le cabas rouge tombe au sol avec fracas.
Il ouvre la bouche et je me statufie, avide de recueillir les mots ailés issus de ses lèvres divines.

- Où sont les toilettes ? demande l'usager de la bibliothèque.
Puis, réempoignant son cabas lourd de livres, il s'y dirige d'un train de sénateur, faisant couiner à petit pas le parquet classé.

Avatar de naniquolas naniquolas Mode Lecture - Citer - 17/11/2019 16:29:43

J'ai lu et je me suis bien amusé !