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Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de Hedera Hedera Mode Lecture - Citer - 03/02/2016 15:07:49

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Texte issu d'une plongée archivistique et que je n'arrive pas à dater ( il a deux ? trois ans ?). J'avais envie de le partager !
Texte non retouché, sans filet, avec plein de VIRGULE ET et même peut-être des doubles espaces ^^.




Il y avait bien ces étranges liquides qui sous l'eau moussaient et s'irisaient, les vapeurs montant des assiettes chaudes, les gâteaux des dimanches qui l'hiver embaumaient dans la cuisine. Mais j'étais trop jeune, et presque illettrée, non instruite des vanilles et des civettes, et de toutes ces fleurs qui libèrent en mourant leurs parfums.

Mes parents ne se parfumaient pas et pourtant ils gardaient dans un tiroir ces échantillons cylindriques que l'on distribue en cadeau dans les boutiques. Capuchonnés de noir et de blanc, ils contenaient ambres et pastels et eaux vives qui bullaient inlassablement quand je secouais le petit flacon de verre. J'aimais leur poids infime et pourtant si important dans ma paume . Sous les lumières crues de la salle de bain j'aimais à les trier, à les classer par noms et par couleurs, à les renifler parfois. Cela sentait l'alcool, parfois un peu le muguet ou l'herbe ou le savon… Mais aussi surtout les rayons des grand magasins où à Noël je m'étourdissais de foules et de lueurs, palpant craintivement les manteaux de fourrure, me cachant derrière les mannequins apprêtés, rampant sous les portants croulant de robes de soirée. Je n'osais jamais accomplir ce geste minuscule et fatidique, celui de revêtir ces odeurs d'adultes, comme on revêt pour une fête de famille la jupe plissée et les souliers vernis.

Pourtant, l'été de mes huit ans … J'avais une robe rose, rose foncé, couleur de fleur exotique, fuchsia, bougainvillée ou hibiscus ; et je me sentais belle. Devant le miroir, je me scrutai, allant et venant, virevoltant dans mes volants plissés, souriant devant la glace, et comme parée d'une intime féminité j'ai ôté le capuchon et pressé le brumisateur, trop heureuse de sentir sur moi l'encens et les épices. L'interdit mis en flacon.

Dehors, en longeant la route, j'ai couru en avant, terrorisée à l'idée que mes parents reniflent sur moi ces vapeurs trop fortes pour mes cheveux courts et ma robe légère. Et pourtant il y avait tant d'autres odeurs en ce beau jour d'été, celle du goudron chaud, des noisetiers au soleil. Celle du chlore de la piscine, fraîche et piquante, et l'humidité des vestiaires. Et au-dessus de toutes celle que j'avais choisie et volée.

Et c'est pour cela qu'encore aujourd'hui je ne peux la décrire, quand je m'endors, blottie en elle, le nez dans mon oreiller froissé, cette senteur brûlante d’œillet et de muscs et de femme et de souvenirs.

Avatar de Brumepin Brumepin Mode Lecture - Citer - 04/02/2016 22:19:22

J'aime beaucoup le côté nostalgique du texte. On se croirait dans un roman de Pagnol (La gloire de mon père) ou de Gary (La promesse de l'aube). Bien sûr, je pense aussi à Suskind (Le parfum). Ces éclats d'enfance et d'innocence qui apparaissent d'un seul coup, comme ça. J'avais l'impression de lire ton texte avec des photos sépia. Bref, c'est très réussi !

Avatar de Wensaïlie Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 10/02/2016 22:04:09

J'aime la délicatesse du texte, notamment le jeu des odeurs, qui est complexe mes compréhensible. Et puis le côté "brut de cahier" du texte lui donne une certaine fragilité toute fraîche et agréable. J'aime l'idée des odeurs volées.