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Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de Brumepin Brumepin Mode Lecture - Citer - 20/04/2015 16:55:23

Walker marchait tranquillement vers le réfectoire, Killian et Le patron le suivait. Avant d’ouvrir la porte, le gardien s’arrêta et adressa quelques mots au nouveau détenu :

- Il y a deux règles à Rikers Island si tu veux survivre. La majorité des détenus ici, sont des latinos. Des mexicains. Ils ont le sang chaud. La plupart sont d’anciens narcos du Nord Mexique. Ils ont eu de la chance, ils ont réussi à monter jusque New York. Beaucoup ont fréquenté El Kilo. – Le patron acquiesça – Ils vénèrent Santa Muerte, un autel a été mis en place dans le réfectoire. Ne touche pas à cet autel. Règle numéro un.

- La règle numéro deux ?, demanda le vieil homme.
- « Don’t move and look ». Ne bouge pas et regarde.

La bête de métal poussa son hurlement d'acier et répandit son givre en chair de poule sur la peau des détenus. Elle donnait sur le réfectoire, une cathédrale carcérale où le tumulte du silence laissait souffler un blizzard de désespoir. Un blizzard estival car l’atmosphère était irrespirable tellement il faisait chaud. Dans ce hall, régnait la chaleur des étés sans désirs. Des étés rythmés par le cliquetis des couverts en plastique. Des revolvers que l’on recharge mais ici, ce sont les yeux qui tirent dans un fond d'air rouge.

Le patron eut l'impression de respirer du souffre.

Dans un coin, un homme s’agenouillait devant le glauque d’une icône. Un squelette drapé d’une tunique noire d'où ressortait une tête de mort qui surveillait l’assemblée de fantômes. Déjà quelques âmes dans son escarcelle. Le patron dut le reconnaître, Santa Muerte en imposait. Dans sa main droite, une grande faucille présentait fièrement sa lame au dessus de la tête des prisonniers qui venait se recueillir devant l'autel, une guillotine sans bourreau. Dans son autre main, une balance, l'outil idéal pour régler ses comptes tout en ayant l'impression que la mort est justice. Des douilles de balles en guise d'offrande pour peser les crimes.

Le patron passa devant l'autel de Santa Muerte nullement impressionné par son aspect menaçant.

Les autres prisonniers ne lui prêtèrent pas attention. Seul un détenu, crâne rasé s’avança. Sur son avant bras, un tatouage donnait le nom par lequel tout le monde le connaissait ici : Malamadre.

- Qui c’est ?, demanda-t-il. Killian ne répondit pas. Il continua de se sustenter en silence, il fixait Le patron avec inquiétude. Ce silence était une provocation claire à l'autorité de Malamadre.

- Qui c’est ?, insista-t-il. Les autres prisonniers se rapprochèrent de leur table. Le ton sur lequel Malamadre s’adressait à Killian promettait une baston épique et chacun voulait en être.

- Qui c’est ?, C’est ta dernière chance pour répondre auquel cas je crois que tu te tairas à jamais.

- Le maître du monde, répliqua Killian

- Tu te moques de moi le négro ?

- Pas du tout, rétorqua l’autre. Il peut se payer une caution d’un million de dollars pour sa liberté conditionnelle. Il faut bien qu’il soit le maître du monde pour faire ça !

Malamadre se tourna vers Dominique.

- Un million de dollars, c’est bien ça mon cochon ?

- C’est bien ça, répondit Le patron.

- Tu dois être un sacré chef de gangsters pour pouvoir te payer ça ?

- C’est le cas.

- Il s’appelle comment ton gang ?

- Le « Bilderberg», rétorqua Dominique avec calme.

- Le « Bilderberg » ? Joli nom de code. Vous étiez combien dans ce joyeux bordel ?

- Environ 130.

- Pas mal !

- On pillait toute la planète avec ça !

- Avec 130 bonshommes ?

- En Afrique surtout. En Grèce et en Irlande aussi.

- Et tu dirigeais tout ce petit monde ?

- Plus ou moins.

- Tu as dû en faire des coups ! Etre à 130 bonshommes et avoir un butin suffisant pour qu’un million de dollars, ne pèse rien. C'était quoi ton business : la drogue, les putes, les armes ? Et personne n'a jamais parlé de toi – Le patron eut un sourire en coin – A moins que tu sois quelqu'un d'important, d'intouchable. Raconte-moi ton histoire. Juste pour voir si ce que tu dis, est vrai. Je sais reconnaître les menteurs. Les politiciens surtout.

- Tu ne me croirais pas.

- Essaie, nous verrons bien.

Les autres détenus continuaient de s’attrouper autour du Patron, persuadés qu’ils étaient face à un grand nom du crime. Beaucoup de grands criminels étaient passés à Rikers Island, peut-être étaient-ils de ceux-là. Surpris de l’intérêt qu’il suscitait si soudainement, Le patron ne résista pas. Il commença un numéro.

Il commença par se diriger d'un pas résolu vers l'autel de Santa Muerte et s'empara de la balance ainsi que de quelques douilles de balles. Il grimpa ensuite sur une chaise, puis sur une table afin de pouvoir embrasser toute l’assemblée du regard. Alors qu’il n’avait toujours pas prononcer un seul mot, il fascinait déjà. Il venait de transgresser outrageusement les deux lois de cette jungle carcérale : « Ne pas toucher à Santa Muerte », « Don't move and look ».

Il fit rouler les douilles dans la paume de sa main droite et démarra son histoire : « Imaginez que ces douilles représentent des pièces de monnaies, de l'argent. Imaginez que je vous prête cet argent parce que vous n'en avez pas pour le moment – Il installa les douilles de balles dans l'un des plateaux de la balance – Vous voyez bien que la balance est déséquilibrée. Sauf que moi, j'aime bien quand les plateaux de la balance sont équilibrés et moi, je fais tout ce qu'il est possible de faire pour équilibrer cette balance, même si vous n'avez pas d'argent. Imaginez désormais que les personnes à qui j'ai prêté cet argent, sont des états, des nations, des peuples et que j'ai fait tout mon possible pour qu'ils me rendent mon dû. Mon métier, c'est de les faire plier. »

Santa Muerte faisait pâle figure face lui. La foule de prisonniers, de gardiens, totalement hypnotisée par le discours, l'écoutait docilement. Il se rappela alors qu'il avait affaire à des dealers, des proxénètes, des tueurs... Pour ne pas les perdre, il se mit alors à parler leur langage.

- Dans mon groupe de gangster, il y avait le président des Etats-Unis...

Note de l'auteur :

Cette nouvelle a été écrite pendant les événements du mois de mai 2011 qui ont vu Dominique Straus-Kahn, alors directeur du Fond Monétaire International, être arrêté à l'aéroport JFK de New-York parce que mis en cause d'une affaire d'agression sexuelle sur une femme de chambre. Lors de la procédure judiciaire, sa liberté sous caution ne lui est pas accordée. Dominique Strauss-Kahn passera alors une courte semaine dans une prison new-yorkaise nommée « Rikers Island ».

Rappelons que, dans cette affaire, Dominique Strauss-Kahn a bénéficié d'un non-lieu au pénal le 23 août 2011. Au civil, c'est une « transaction financière » qui mettra fin aux procédures engagées par sa victime.

Dominique Strauss-Kahn est actuellement jugé au tribunal de Lille pour une affaire de « proxénétisme aggravé en réunion ».

Cette nouvelle propose un récit imaginaire du séjour de Dominique Strauss-Kahn à Rikers Island.