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Arbre

Le Temps des Rêves

Avatar de Brumepin Brumepin Mode Lecture - Citer - 28/02/2015 14:11:45

Son passager exceptionnel, comme il aimait à l'appeler, se consacra à sa seconde séance de méditation de la journée. Il faisait cela adossé aux caisses de marchandises. Pour cela, l'homme dont le visage demeurait sans camouflé par la capuche de sa cape, effectuait quelques exercices de respiration et plusieurs gargarismes avant d'entrer un silence total. La régularité rigoureuse de ces exercices impressionnait le propriétaire de la gondole à voile. Depuis qu'il était monté à bord, le passager exceptionnel n'avait pas laissé échapper un seul son de sa voix, sauf quand il faisait des gargarismes dans ses fameux exercices de méditation. Le marchand ne savait rien de cet étrange personnage et il se demandait plusieurs fois s'il avait bien fait de l'accepter à bord de son embarcation.

En fait, il n'avait pas vraiment eu le choix. Alors qu'il s'apprêtait à quitter le quai de la cité Salamantique quelques jours après le solstice de la jeunesse, le personnage vêtu de vêtements amples et muni d'un large sac qui lui barrait le dos, était venu lui demander où il se rendait. « A Mondarion, M'sieur ! », avait-il répondu alors. L'homme avait acquiescé d'un signe de tête et avait entrepris de monter à bord. La première idée du marchand fut de protester, puis il attendit ce que cet homme avait à dire. Une fois sur le pont, il lui avait simplement déclaré sans tourner la tête : « J'irai là-bas avec vous » et ceci, d'une manière tellement résolue que cette déclaration n'appelait à aucune discussion possible. Ainsi, il s'était assis à la proue de sa gondole à voile attendant sagement le départ. Le marchand était resté interdit pendant plusieurs minutes.

Cela faisait sept jours que cet homme voyageait ainsi sans parler à personne. Le passager exceptionnel ne ratait jamais ses séances de méditation, à savoir trois fois par jour : une au levant, une au zénith et une couchant. Le reste du temps, il le passait à lire. De son côté, le marchand avait aussi de quoi s'occuper pendant la journée. Mondarion se trouvait en amont de la Daraule. Il fallait donc remonter le fleuve. Les flots étaient parfois tumultueux et il fallait tenir solidement la barre pour ne pas être déporté sur le rivage. Quand un peu de calme revenait, il fallait gouverner pour passer certains méandres. Et quand, enfin, le fleuve se montrait à la fois calme et rectiligne, il fallait penser à accoster près d'une ferme pour acheter de quoi manger et changer le cheval de trait qui permettait à l'embarcation de naviguer à contre-courant.
Pour guider le cheval sur la berge, le marchand était aidé de sa fille. Une enfant d'une dizaine d'années tout au plus... Elle marchait plusieurs lieues par jour à côté de la bestiole et lorsqu'elle était fatiguée, elle la prenait comme monture pour se reposer. Lorsque le fleuve s'annonçait calme sur plusieurs lieues, le marchand permettait à sa fille de se reposer dans la gondole et s'occupait du cheval.

Le passager exceptionnel observait ce petit manège sans jamais y prendre part. Par contre, il n'hésitait jamais lorsqu'on entrait dans une ferme à acheter de quoi nourrir le marchand, sa fille ainsi que lui-même. Il ne prononçait toujours pas un seul mot, il laissait le marchand commander ce dont il avait besoin, puis au moment de payer, il faisait sonner sa bourse. Jamais le marchand n'eut à sortir, ne serait-ce qu'une seule pièce de cuivre. Et c'était là, la principale raison pour laquelle il avait permis à ce passager de rester dans son embarcation. Cet homme payait son dû à sa manière, sans que cela n'ait été convenu d'aucune manière que ce soit, mais cela suffisait amplement au marchand.

Les repas se composaient donc de victuailles que l'on trouvait dans les fermes : jambon séché au tison, tome au lait de brebis ou encore fruits juteux et rafraîchissant. Les blés n'étaient pas encore mûrs pour entamer la moisson. De fait, le pain se faisait rare. Chaque fermier assénait la même chose à chaque fois que l'on demandait une miche, ceci avec un accent rocailleux propre à la région du plateau doré. « Ah, m' brav' homme, du pain on n'a si peu. 'Faudra attend' le sign' de Loÿn pour en avoir. Ce s'ra l'temps de la moisson. »

L'Unicontar entrerait sous le signe de Loÿn dans 49 jours. Autant de temps où le pain manquait dans plusieurs foyers. Les habitants de Novahlie y étaient habitués et les beaux jours permettaient de combler ce manque. On se nourrissait alors de fruits qu'il était possible de cueillir dans les arbres et lorsque la nourriture manquait vraiment, les seigneurs permettait aux paysans de chasser quelques gibiers.

Cette vie de sédentaires, le marchand et sa fille en était de simple spectateur pendant la jeune saison et la première partie de la saison mûre. Leur bonheur consistait à s'émerveiller des villes et bourgades qui bordaient les berges de la Daraule. Tout au long de la jeune saison, il promenait leur embarcation le long du fleuve. De la ville la plus en amont : Havyrion en poussant parfois jusqu'à l'embouchure du fleuve : Trézône.

Le reste de l'année, ils le passaient dans une petite bicoque installée dans le centre de Mondarion. Le marchand profitait de ce moment pour découvrir de nouvelles épices venues de Zenthalie et de Bessanghalie ou encore de nouvelles étoffes ou dentelles issus des plus fins ateliers de Kaestel-Montis. Sa barque transportait aussi quelques livres, et pour cela, la cité Salamantique était à la fois le lieu où il vendait le plus d'ouvrages mais aussi le lieu où il en achetait le plus. Cette fois, le marchand n'avait rien acheté dans la cité universitaire. Sa gondole était vide et il devait se réapprovisionner à Mondarion.

A mi-chemin, le marchand s'accorda un jour de repos. Il fallait dire que la petite équipée avait voyagé sans encombre jusque-là. L'embarcation fut attachée à un tilleul, près du rivage. Le cheval de trait fut confié à une ferme qui se trouvait sur le chemin qui les menait aux premières habitations. Le trajet se fit en silence. Le marchand et sa fille se parlaient peu et le passager exceptionnel conservait son mutisme méditatif, un mystère relatif quand à la révélation de son visage.

Ils trouvèrent refuge dans une auberge située en plein centre d'un petit hameau. On leur servit de la souris d'agneau mijoté dans un bouillon de fenouil et de courge. Le tout fut rincé avec de la cervoise. On se sustenta en silence en se lançant des regards furtifs. Le marchand crut que ce moment de convivialité pouvait briser la glace :

- Je m'appelle Basil. Basil Cabot.

Le passager exceptionnel le regarda d'un air perplexe. Le marchand insista.

- Vous ne vous êtes toujours pas présenté.

Le silence continua de lui répondre.

- Vous ne voulez pas parler. Vous êtes sourd ?

Il fit non de la tête.

- Très bien. Dans ce cas, vous avez perdu votre langue.

Il fit non de la tête.

- Fichtre ! Vous avez tout ce qu'il faut et vous ne voulez pas parler !

Le silence encore. Les autres clients commencèrent à jeter des regards inquiets sur ce marchand qui parlait tout seul. Basil commençait à perdre ses nerfs.

- Pourquoi ?

Les regards des autres clients se firent insistant. Basil avait mis la main sur le manche d'un poignard qu'il avait accroché à sa ceinture. Sa fille, assise à ses côtés, tenta de le calmer en caressant énergiquement ce même bras.

- Pourquoi ?, répéta Basil de plus en plus nerveux...

Désormais, toute l'auberge avait les yeux rivés sur la table du marchand, de sa fille et de son étrange invité. Basil s'apprêta à prononcer un nouveau « Pourquoi ? » mais il fut interrompu par un homme dans la foule des spectateurs.

- Mais attendez, je vous reconnais vous...

Le sang du passager exceptionnel se figea, ses yeux se dirigèrent vers l'homme qui avait prononcé ces mots. Celui-ci s'était rapproché de la table pour être sûr d'avoir à faire à la bonne personne. Il était vêtu de vêtements mousses et d'une cape jade. Son visage était caché par la capuche de cette cape. Un carquois et un arc lui barrait le dos.
Le passager exceptionnel avait aussi remarqué le poignard accroché au tour de jambe de l'archer. Il s'en empara et le plaça sous la gorge de son vis-à-vis.
Ce geste surprit toute l'assemblée présente dans l'auberge. L'archer fut lui-même surpris par autant de rapidité. En réaction, les autres hommes présents dans l'auberge sortirent eux-aussi leurs armes. Tous sauf Basil, paralysé par la tournure soudaine qu'avait pris la situation.
Le passagers exceptionnel sut tout de suite à qui il avait à faire, lui aussi se rappelait de cet archer. Il choisit encore de ne prononcer aucun mot. L'archer dut briser la glace.

- Alors comme ça, tu ne veux pas parler.

Le passager exceptionnel hocha la tête.

- Tu risques de frustrer ton hôte.

Il sortit sa bourse.

- Oh, je comprends, c'est toi qui invite. C'est très gentil de ta part...

Le couteau se trouvait toujours sous la gorge de l'archer. Chacun restait sur le qui-vive. La fille du marchand parvint à subtiliser l'arme de son père qui n'y portait plus attention. Totalement hébété par la scène qui se jouait devant ses yeux. Le passager exceptionnel feint de ne pas l'avoir remarqué.

- Alors, je te connais bien. Je sais comment tu fonctionnes. Tu voudrais passer la porte de l'Empereur, incognito c'est ça.

La lame s'enfonça un peu plus dans la chair de l'homme qui parlait.

- Ca va, reste calme ! On s'est quitté en bon terme, tous les deux. Je vais pas te vendre. C'est pas aujourd'hui que je vais commencer. Même si je me demande ce que tu fais-là...

Le poignard n'avait toujours pas quitté le cou de l'archer. Il ne quittait pas les yeux du passager exceptionnel. L'archer devait donner des garanties.

- Très bien ! – Il s'adressa à ceux qui avaient sorti leurs armes – Ecoutez-moi tous. Je connais cet homme. Il ne me fera aucun mal. Laissez-le partir tranquillement avec ses amis.

Il crut qu'il était quitte, mais le froid du métal était toujours au contact de sa peau. Alors il se rappela. Le passager exceptionnel était quelqu'un d'honnête.

- Tavernier !
- Je vous écoute, homme.
- Combien coûte trois souris d'agneau et trois cervoises dans votre établissement ?
- 33 pistrelles, homme.
- Tu as entendu, l'ami ? 33 pistrelles. Alors paie ton dû et fiche le camp d'ici.

L'archer sentit la lame quitter sa gorge et son poignard regagner son fourreau. Il se remit à respirer. Le passager exceptionnel gagna le comptoir et y déposa ses 33 pistrelles. Vite, les trois compagnons de fortune quittèrent l'auberge, reprirent possession de leur cheval de trait et regagnèrent leur embarcation.
Basil hésita à poser une nouvelle fois ses questions avant que le passager exceptionnel ne grimpe à l'intérieur de sa barque. Mais à peine avait-il esquissé les mots qu'il comptait employer, que son passager exceptionnel se trouvait déjà à la proue de l'esquif, attendant sagement que le marchand et sa fille se mettent en marche. Puis Basil se souvint des quelques paroles qui avaient été échangées dans l'auberge.

- Vous me promettez de me dire qui vous êtes un jour.

Le silence demeura.

- Quand nous aurons passé la porte de l'Empereur, simplement un nom et un prénom. C'est tout ce que je demande.

Le passager exceptionnel se tourna vers Basil, enleva sa capuche révélant l'entièreté des traits de visage. Alors le marchand comprit, il hocha la tête comme un pacte qu'il concluait avec la personne qu'il transportait. Le passager exceptionnel lui répondit aussi d'un hochement similaire, telle une promesse qu'il tiendrait à celui qui l'amènerait en lieu sûr, avec dans son regard, cette confiance dans laquelle il était possible de lire l'apaisement, le calme et la sérénité.

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Avatar de Faël Faël Mode Lecture - Citer - 22/03/2015 00:07:31

Que de mystères... Tu plantes des personnages bien étranges. J'a id 'abord cru que le passager exceptionnel était Maître Garribald en exil (jusqu'à ce qu'il devienne violent). A quand la suite ?

PS. Peut-être est-il dommage qu'à la situation, pas forcément simple, du premier chapitre, tu ajoutes déjà une deuxième situation incompréhensible. creuser ce qui avait été esquissé dans le premier chapitre, avant qu'on en oublie les tenants et aboutissants, serait peut-être bienvenu...