UnAutreLapin Mode Lecture - Citer - 19/08/2013 18:21:03
Les consoles électroniques bipaient et clignotaient comme des arbres de noël. Sauf qu’il ne neigeait pas. Pas vraiment. Nous n’étions même pas en hiver. Les éclats blancs qui me passaient devant les yeux ne devaient être que des parasites, nés des difficultés de transmission entre le navire où j’étais en poste et la balise de surveillance. Là-bas, près de la faille.
Autour de moi régnait une effervescence de fourmilière. Pire, de fourmilière éventrée. Des soldats tentaient de maintenir un semblant d’ordre par leur simple présence. Carapaces et armes bien en vue. Les officiers, et tous ceux qui comme moi grouillaient en tendant leur petites pattes vers des appareils arachnéens aux yeux pleins de facettes, se sentaient rassurés par une présence martiale aussi forte. J’en aurait presque oublié ce satané roulis qui me vrillait les entrailles.
Mon radar indiquait une énorme masse à 05.45 de là. Environ 120 miles marins. Le bâton qui avait éventré ma fourmilière, qui avait rompu le calme relatif du destroyer. J’étais en première ligne, les yeux rivés à mon écran, pour avoir le contact visuel avec l’objet.
Puis je le vis.
Un énorme chihuahua-canardzilla.
Vraiment une vilaine bête. Et pas de taille caniche : à chaque mouvement d’une de ses pattes, les vagues déferlaient. Hautes comme des collines, acérées comme des crocs. Une bonne douzaine de mètres au bas mot, entre creux et crête. Voir plus peut être. A peine la largeur de ses jambes. Estomaqué. Je gueulai un mot à mon officier supérieur. Je ne me rappelle plus de ces paroles. Mais à mon souvenir, le bonhomme ouvrit à ce moment là une gueule longue comme le pont d’abordage. Nous nous attendions à un cyclone, un tsunami. Une catastrophe naturelle en fait. Pas à un canar-nidé de plus de 400m de haut, une espèce d’ornithorynque capable de dévorer une skyline de métropole en deux coups de mâchoire.
Putain, j’vous assure, un chihuahua-canardzilla. Même les livres ne décrivent pas l’horreur de la vision qui se pointait en barbotant comme un chien-chien à sa mamie sur mes pixels verdâtres, devant deux poignées de militaires abasourdis.
De fait, de fourmilière, le navire se transforma d’un coup en essaim. Des appels d’urgence grésillèrent de toute part, à peine couverts par une sirène capable de vriller la cervelle du plus endurant des Ulysses. Ce que je n’était pas. Ni le capitaine.
Après l’orage vocal dont il nous gratifia, un typhon de jurons assez imagés, un silence d’œil de cyclone se fit sentir. Il ne fut rompu que par le timbre de baryton que nous lui connaissions tous, à notre commandant. Il avait reçu un contact auprès d’une obscure société. Un acronyme quelconque, qui me faisait penser à un nom de pistolet en plastique.
Je voyais mal un allié ou un organisme international balancer des fléchettes en mousse au clebs emplumé qui se rapprochait dangereusement. Autant lui lancer un os de grenouille. Mais de belle envergure, le batracien. De quoi calmer cette formidable chose pleine de bec.
Mon écran tanguait à une vitesse folle, une montagne russe filmée de nuit aurait été plus simple à suivre. Puis après quelques soubresauts lumineux, un terrible silence radio. Ecran noir.
Voilà une demi-heure que le ciel d’encre avait été décoré de moucherons à hélice et de moustiques à réacteur. Ils nous entourent, nous surveillent. Le surveillent. Ils survolent en vrombissant la montagne de chair, de poils et de plumes qui nous cache désormais un quart de l’horizon.
Je n’aurais jamais cru avoir peur devant un chihuahua. Un canard peut être, c’est mauvais ce genre de volaille, mais … Je me sentais sérieusement divaguer. Sous l’état d’alerte, un calme semblait s’être à nouveau installé parmi nos rangs. Peut être avions nous tous déjà eu le temps de passer, l’une après l’autre, les cinq étapes accompagnant le deuil. Le nôtre. Pour un clébard. Et même pas enragé le machin.
Toutes les fréquences étaient désormais branchées sur une voix héroïque, qui scandait des ordres dans un américain parfait. L’onctuosité d’un chewing-gum texan, avec des nuances puissante d’un Platoon. Notre capitaine en bavait de jalousie, ses mâchoires rythmiquement contractées. Un soldat qui s’y connaissait un peu en anglais, et qui appréciait plus que tout de se la ramener lorsque nous dinions au mess sur un sujet ou un autre, nous traduisait hasardeusement les mots sacrés qui s’écoulaient en chuintant.
Les renforts venaient. On testerait un truc. Un gros truc. Digne d’un blockbuster, mais en vrai, là, dehors. En attendant il fallait attirer le toutou, sans trop le harceler. Au plus une vingtaine de munitions mer-air pour lui chatouiller les coussinets. Afin de faciliter cette caresse d’ogives, une douzaine de bâtiments s’étaient regroupés pour former une anse tout autour du géant canin. Et ça tonnait comme un remake du D-Day, je vous jure.
Les minutes passaient.
Le chihuahua-canardzilla bailla à s’en décrocher le bec.
Puis au bout d’un certain temps, sous la musique des batteries maritimes, le malabar à la fraise enroba à nouveau les fréquences, en disant cette phrase, mais en texan : « lâchez la crevette géante !! ».
Un espèce de météorite assombri toutes les bordées. Un tsunami fit crachoter les ponts. Quelques douzaines d’estomacs endurcis à l’eau de mer se retournèrent sous l’accélération née de l’effet d’ascenseur. Le mien était à la limite de nourrir le phytoplancton de caféine.
Et nous le vîmes. Notre sauveur mécanique. Un crustacé assorti au chihuahua dans les dimensions. Carapace d’acier, couleur grisâtre à part quelques brulures roses et un ou deux marquages militaires. J’aurais jamais cru voir un logo « US » sur une des épaules d’un fruit de mer. Ils ont peut être un nom bizarre, nos alliés, mais je ne m’attendait pas à ce qu’ils nous lâchent un tel fauve.
Un marin un peu stressé, à quelques vagues de là, avait encore lâché une ou deux munitions. Machinalement. L’explosion arracha certainement au métal caparaçonnant la crevette un peu de sa peinture. Mais de là où nous nous trouvions, cela semblait tellement négligeable. Une grosse armure dentelée de piques, barbillons, antennes, pattes, toute en rotule, et épaisse comme la croute terrestre autour d’un atoll. Une piqure de puce, quelque part à quelques centaines de mètre du bout de la queue. Rien que les pilotes de cette chose n’ont dut ressentir, dans leur cercueil bardé d’électronique et à l’odeur de petite fille négligée.
Notre gladiateur resta comme cela, en stand by. Un champion grec, le fumet en plus. Et en plus gros.
Puis vint le moment attendu de l’ordre d’attaque, quand l’américain scanda un chant de gloire.
Et…
… rien.
Ces abrutis.
Vous avez déjà vu une crevette attaquer un chien, vous ?
Un scientifique devait sentir chauffer le peloton d’exécution, là-haut sur son hélicoptère.
L’organisme qui avait financer le titan devait réfléchir à l’assaisonnement parfait pour les multiples paires de testicules des décisionnaires.
Et moi, je dégustais du regard ce trop pacifique et néanmoins sublime rêve d’écailler. Mes pensées se perdaient sous des milliers de tonnes de mayonnaise.
Le texan semblait reprendre ses esprits.
L’acronyme nous héliportait un spécialiste. Un monstrophile ? Le Géant vert ? Le père Ducros ?
La réponse vint rapidement. Sur mon écran.
Je ne sais comment, une équipe télévisée lorgnait avec plaisir sur un imperméable volant au vent, abritant tant bien que mal une silhouette. Les médias nous transmettaient en direct des image, dans notre navire militaire. Un superman à la retraite en cape brune. Colombo, cigare éteint. Ou presque. Un petit quelque chose de plus rural, à moins que ce soit la pluie battante qui lui créait des replis de bouledogue mal rasé.
L’image était parfaite.
Un spécialiste du langage des signes et de la lecture sur les lèvres apparu au coin de mon écran de surveillance. A côté du radar aussi, mais sous forme d’une tâche balayée par la lumière. Et sur le sonar, entre trois sous-marins. Une petite ligne blanche nous situait sur l’océan, disait nos difficultés à naviguer, donnait le nom de Poupoune au chihuahua-canardzilla.
Le Maitre-chien trempé comme une soupe tenait une pose d’Arsène Lupin, sur son échelle de corde, lorsqu’il posa le pied sur le bec recouvert de poils, de corail et de goémon. Son manteau aux teintes d’automne claqua au vent. De dos, il semblait minuscule face au regard globuleux, plein de larmes, et de la taille d’un stade olympique. Il fut secoué par une bourrasque, manqua de jouer les feuilles mortes. Il s’agenouilla.
Chaque geste était commenté sur nos écrans.
Il gratta la surface velue comme des cailloux bretons.
Et j’entendis enfin les mots fatidiques…
« Il est beau mon pépère, hein ?... Oh oui oh oui… »
L’eau cessa de couler sur les hublots de la cabine de commandement.
Les embruns semblaient s’évaporer.
Puis un choc, profond, fit trembler toute la carlingue. Il prenait racine au plus profond de la cale, au centre de la mer. Ce choc était fait de la substance même de l’air. Un tsunami auditif. Un tremblement de terre des entrailles.
Et ce bruit… ce bruit…
« COIIIIIIN COIIIIIIIIIIIIIN !!! »
Un caquètement tellement puissant qu’il me réveille.
Ca tombe bien, il est 10h et demi.
Et j’ai faim.
Je mangerais bien des crevettes, moi.
Et je raconterais bien cette histoire à un pote psy, en passant…