Wensaïlie Mode Lecture - Citer - 26/04/2015 17:08:44
les consignes :
- moins d'une heure
-une page maxi
- écouter "Les Rois du monde" en boucle (1er version)
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« L’immortalité n’offre pas la vie ».
Elle avait lâché cela d’un ton glacé, alors que ses yeux se perlaient de pluie.
Pour toute réponse, il avait dégainé sa lame. Le crissement du métal contre le métal s’était répercuté dans le couloir, écho funeste. Puis il avait enfoncé le fil coupant sous le cœur de cette jeune impudente. Jusqu’au bout, elle s’était montrée ignoble. Elle avait osé le courtiser ! Comme s’il voulait partager cet état terrible qu’induisait l’amour.
Son visage de femme avait affiché une… expression. Nejoual ignorait de laquelle il s’agissait. Les traits de sa figure s’étaient affaissés, tordus, mélangés. Sa bouche s’était ouverte dans un sourire, peut-être une dernière moquerie sournoise. Comme pour murmurer : « J’ai raison. Vous me tuez. Vous pouvez le faire. Mais vous savez que j’ai raison ». Ceux-d’en-bas disaient toujours cela lorsqu’on les punissait de leur manque d’éducation.
Nejoual était souillé. Une expression… C’était vraiment dégueulasse. Quelle atrocité ! Penser que de tels actes fussent encore admis… Bien sûr, Ceux-d’en-bas se montraient utiles pour les tâches quotidiennes. Ils étaient de fidèles serviteurs et s’y connaissaient lorsqu’il s’agissait de régler des problèmes mineurs qu’eux, Ceux-d’en-haut, oubliaient dans leur grandeur. Ils n’étaient pas parfaits, pas encore. C’était pour cela qu’ils nécessitaient Ceux-d’en-bas. Mais Ceux-d’en-bas apportaient une telle dépravation à leur monde ! C’était à cause de Ceux-d’en-bas que Ceux-d’en-haut n’atteignaient toujours pas la pureté qu’ils cherchaient.
Le jeune prince sortit. Sur le balcon, un silence souple flottait. Délicat, facile. Appréciable. Immuable. Il représentait tout ce que Ceux-d’en-haut aspiraient à devenir. Il ne fallait pas le troubler, surtout pas. Nejoual s’approcha du garde-corps finement ciselé. Face à lui, les nuages s’élançaient dans le ciel. Fresque paresseuse, colorée, animée de sa propre vie. Ils dansaient, lancinants, langoureux. Ils ressemblaient à des chats voluptueux, immaculés dans leur indifférente perfection.
Dans cette vue, intense, Nejoual avait toujours trouvé la paix intérieure. La paix intérieure. La clef essentielle des ambitions de Ceux-d’en-haut. La paix intérieure seule leur permettrait d’atteindre leur but. L’immortalité.
« L’immortalité n’offre pas la vie », avait-elle dit.
La vie est comme le vent. La vie apparaît et disparaît. Rien de plus cassant, de plus fatigant. Oui, la vie est une mort à petit feu. Ceux-d’en-haut étaient bien au-dessus de tout cela. Ils avaient une Quête à accomplir. L’immortalité. Ils s’en approchaient, la touchaient presque du doigt. Ils la trouveraient. Leur solution était cruelle, infâme – d’après Ceux-d’en-bas – mais il n’en existait aucune autre. Afin d’atteindre leur but, ils devaient préserver à tout prix leur flegme intérieur, rester aussi lisses que l’eau d’un lac de montagne. Ils avaient refoulé leurs sentiments. Ils avaient rejeté ses comportements si répugnants qui entravaient leur tranquillité. L’amour, la joie, la haine, le dégoût, la vengeance, l’amitié. Tout cela était mou. Faible. Superflu. Empêché de se concentrer sur l’essentiel. L’immortalité ne se gagnait pas comme ça. Elle se gagnait dans un combat. Elle se gagnait au cours d’une action épique qui restait gravée à jamais dans les livres, dans le marbre, dans les mémoires. Un exploit si héroïque que personne ne pourrait l’oublier. Ceux-d’en-haut vivaient pour cela. Dès la plus petite enfance, vrais spartiates, ils apprenaient à se battre, sculptaient leur corps, taillaient leurs esprits pour la Quête. Ils vivaient pour la Quête : le suprême combat qui achèverait leur existence. La Quête, la guerre qui les feraient entrer dans l’immortalité. « Leur guerre, on l’a f’ra pas » murmuraient Ceux-d’en-bas dans les couloirs. Ignorants, ils y participaient déjà. En étant leurs serviteurs, ils leur permettaient de rester focaliser sur la seule chose qui importait vraiment. Voilà, sentiments aigres. Crédulité. Esclaves. Ceux-d’en-bas.
« L’immortalité n’offre pas la vie ».
Nejoual serra ses poings sur la balustrade. Il baissa la tête. En bas de la citadelle volante, il y avait le monde. La cacophonie de la vie, les cris, la puanteur, les cœurs qui palpitent, les gens qui souffrent et se blessent eux-mêmes. La lie. Le rebut de l’humanité. La déchéance. Des êtres bestiaux, subsistants de bacchanales continues, sans aucune morale, sans réfléchir, sans chercher à sublimer leur destin. Heureusement, Ceux-d’en-haut leur en offraient un. Ceux-d’en-bas vivaient pour Ceux-d’en-haut. Ils ne le savaient pas. Manipulables. Niais. Ceux-d’en-bas.
Nejoual plongea son regard dans la fange qui s’étalait à perte de vue en contrebas. Il avait une belle vue.
Oui. Une belle vue.
Une larme roula sur sa joue.
Une belle vue.