naniquolas Mode Lecture - Citer - 28/10/2013 18:34:20
Je collectionne les souvenirs en noir et blanc. La fabrication des souvenirs est complexe : tout d’abord, on diffuse autour de nous un rayon de toutes les émotions qu’on connaît, puis, dans un second temps, on analyse ce qui nous revient. On n’en a pas toujours bien conscience. A la manière des sonars qu’envoient les dauphins ou les chauves-souris, ou bien comme une lumière dont un écran n’absorbe qu’une partie du spectre. A chacun sa lumière : on la projette, on la reprend. Et selon le degré d’amour, de colère ou de peur qui a été absorbé dans notre radiation première, une image en négatif s’imprime dans la mémoire. La mémoire, c’est une chambre noire. Plus tard, on révèlera quelques images, celles qui nous auront marquées.
Mais les souvenirs qui me fascinent, ce sont les noirs et blanc. Je les collectionne. Ils sont tous noir et blanc d’une manière différente. Il y a ces histoires un peu sombres, ces flashs sans consistance qui ponctuent la pensée, souvenirs des jours où l’on ne vivait qu’à moitié, où la vie appuyait trop sur notre pauvre tête pour laisser sortir les couleurs. Des courses dans le métro, des solitudes amères. Il y a aussi les souvenirs encadrés, ceux que l’on aime revoir quand on regarde en arrière, un peu comme on admire les vieilles photographies posées sur le buffet. On trouve souvent, en noir et blanc, des souvenirs solennels, ou bien des premières fois. Cela leur donne un petit côté nostalgique. Les moments qui laissent ce genre de souvenir absorbent toutes les couleurs qu’on leur donne, de sorte qu’aucune ne nous reste. C’est cette gourmandise en émotions qui les rend si précieux.
Il y a tellement de manières différentes, pour un souvenir, de se développer en noir et blanc. Mais parmi tous ceux-là, ceux que je préfère, ce sont les souvenirs des histoires que mes grands-parents me racontaient. Des histoires de charrues, de villages, d’instituteurs tyranniques. Des histoires de famille, de mariages, de bal musettes… Et je trouve ça curieux de voir que tous ces souvenirs qui, dans leur tête, sont encore plein de couleurs, arrivent dans la mienne en nuances de gris. Comme si, dans leur grand âge, ils supportaient plus mal l’étape du langage…