Retour à la conversation
Arbre

Le Temps des Rêves

Voici un texte sur l'univers carcéral. il a déjà subit qq modifs mais ce n'est surement pas fini....


La porte s'est refermée derrière toi...

Un subtil mélange de crasse et de vieille eau de Javel,
mêlé aux effluves de vêtements sales
et entres ces murs pourris par l'humidité et le temps
des odeurs de bouffe industrielle aseptisée et refroidie
te souhaitent la bienvenue en un éventail de puanteurs
froides et inhumaines

Tu a été jugé indésirable,
tu resteras là à présent.

Au fil du temps tu perdra la notion de goût :
Tu connaissais l'amertume de l'existence,
l'ironie acide du contrat social,
le sucré délicat des seins de la femme,
le goût salé des larmes que tu te refuses encore à verser
Et restent enfermé dans le fond de ta gorge

Tu perdras ici au fil du temps le goût des choses, le goût de la vie.
Tu perdras tout cela
parce que tout ici n'est que miasmes,
air saturé d'immondices.
La maigre saloperie qu'on t'apportera en guise de repas
- riz volontairement trop cuit et trop salé,
purée lyophilisée aseptisée stérilisée
yaourt nature et non sucré -
participera à ta décomposition sensorielle et gustative


La prison est faite, pensée, conçue pour humilier, casser, courber, détruire...


Point de chant d'oiseau ni de cris d'enfants
comme ceux du tiens - 6 ans -
sortant de l'école le vendredi soir
comme un oiseau à qui on ouvre enfin la cage
et laisse échapper un chant joyeux

Ici bruits de métal, de serrures rythment le silence de la rétention.
Et les ronflements de ton codétenu qui t'exaspèrent
Et puis de temps à autres, le chant de la rébellion
des révoltes contre les matons
réprimées alors par le sang :

Tout manquement au règlement entrainera une sanction,
Même si ta révolte est légitime
Même si on t'as poussé à bout
Même si c'est parce que tu as mal aux dents à t'en taper la tête
contre un des quatre murs qui t'emprisonnent
et qu'on ne te laisse pas voir un médecin
Même si c'est parce que tu n'acceptes pas ta peine,
Même si tu n'acceptes pas cette injustice que tu vas devoir endurer pendant ces mois ou ces années
- ou même seulement quelques semaines ;
Quelle que soit la durée de ta peine
Elle durera une éternité -

Sache le ici, tu n'as AUCUN droit.
- Tu n'avais qu'à te tenir à carreaux
Bien dans les clous, bien comme il faut -
Ils viendront avec leurs gros bras, à cinq ou six, te rouerons de coup en t'insultant, abondamment. Gratuitement. Virilement.
Il leur faut bien se détendre un peu, de temps en temps, car leur travail est bien fatigant.
On n'évoquera jamais assez le triste sort des gardiens de prison

Alors pour s'amuser, ils liront à voix haute ton courrier à leurs collègues :

"mon petit lapin, mon tout petit,

je pense à toi tous les jours
J'espère que tu manges bien et que tu n'as pas froid
Ton père m'inquiète en ce moment
depuis que tu es parti il ne parle plus
il regarde la télé
toute la journée
d'un air absent
heureusement le docteur lui a prescrit des médicaments
j'espère que ça ira mieux
et que de ton coté
les gens sont gentils avec toi
je sais que tu n'as rien à faire là-bas
j'essayerai de te voir bientôt
mais l'administration me fait tourner en bourrique
mais je suis une mère et je veux voir mon enfant
je remuerai ciel et terre pour te rendre visite

ta maman qui t'aime"


Et les collègues rient à voix haute,
car même quand on travaille dur
il est bon de rire,
parfois....


La porte s'est refermée sur le monde
La lumière naturelle n'arrivera plus jusqu’à ta peau
déjà blanchie par la peur, le froid et l'ombre

Si tu en fait la demande
Et que tu es assez docile
Assez servile
On te donnera peut être le droit de travailler
Dans le call center de la prison
Ou de mettre des roulettes sur des poubelles
Ou bien de fermer des cartons
Et tu gagneras deux euros cinquante de l'heure

Il fallait y penser :
Pour avoir une main d’œuvre servile
Non syndiquée
Et qui ne se plaint pas
Qui ne discute pas
Et qui produit !
Pas de délocalisations
Mais juste ouvrir quelques prisons


Car pour sortir de ce cauchemar
Ce cauchemar d'être enfermé
Montre ta détermination, montre ta bonne volonté
A bien vouloir gentiment t'insérer dans la société
Ce n'est donc pas pour le salaire
mais pour une éventuelle remise de peine
Que les prisonniers acceptent
de se faire ainsi exploiter,
humilier sous-payer spolier ;
La porte s'est refermée derrière toi
Désormais tu n'as plus qu'une obsession :
Sortir
Un jour...

Et si ce beau jour arrive
tu compteras le temps qu'il te reste peut être a vivre
A vivre en acceptant tout ce qu'on t'impose sans pinailler
Sans crier que ce n'est pas juste
Sans te révolter contre les impostures démocratiques
Sans t'indigner activement contre le pouvoir total
de la finance et de l'argent
Qui détruit les vies, qui épuise la planète
Tu manifesteras calmement
Bien dans les règles et sans débordements
Car tu ne voudrais pas retourner là-bas


La prison est un outil indispensable aux sociétés de notre temps :
Face à ceux qui nous détruisent chaque jour un peu plus
S'il y a colère, point de révolte, à peine quelques indignations
ET suffisamment molles pour éviter la répression


On te contrôlera dans la rue, dans ta vie, dans tes écrits
et on observera attentivement les lieux réels ou virtuels sur lesquels tu te rends.
Au nom de la République
Au nom du "bien commun"
décrété par quelques uns
avec des grands mots magiques
En novlangue universel
- intrinsèquement tyrannique -
démocratie, respect,
travail, famille, patrie
Croissance et liberté
concurrence non faussée
propriété privée
Profit rendement rentabilité...

Reste dans ta case, citoyen,
et restes-y bien !