Retour à la conversation
Arbre

Le Temps des Rêves

C'était quoi, grandir ? La fumée de cigarette peut-être. Ils croyaient que ça les faisait grandir. Ou alors l'ivresse ? Les alcools, les amours, les soirées, les départs un sac sur l'épaule et les adieux traduits par le claquement de la porte d'entrée ? Ils aimaient se sentir pousser des ailes, c'était des ailes fragiles mais ils n'en avaient pas conscience alors ils volaient haut, ils volaient sans penser. Sur la route. Dans le désert, une vodka dans une main, les lunettes de soleil, la jolie Aphrodite au bras ? C'était si intense, les caresses qui découvrent pour la première fois cette peau si douce, la courbe des seins, le galbe parfait de ses lèvres si féminines... C'est plus doux que tout ce qu'il pouvait penser. La réalité prends un autre sens : il ne veut vivre que pour ses lèvres !
C'était quoi, grandir ?

Entendre ses gémissements au creux de l'oreille, connaître la jouissance des âmes et des corps ? C'était peut-être quand on prenait encore le temps des caresses lentes, quand on ne connaissait pas le corps de l'autre, quand les mains étaient timides et hésitantes. C'était peut-être avant que ça ne devienne une habitude. C'était sans doute avant que les corps nous semble tous les mêmes !

C'était quoi, grandir ?
Quand elle pleurait, quand vous aviez mal, quand les nuits n'étaient pas assez noires pour cacher ta honte et ta douleur ?

C'était quoi, grandir ?
La fin des mystères, lorsqu'ils savaient pourquoi la pluie tombe, pourquoi les oiseaux chantent, pourquoi l'herbe danse, pourquoi les corbeaux ont la voix trop rauque pour parler, pourquoi les filles ont peur, pourquoi elles pleurent certaines nuits solitaires, au cœur des angoisses, pourquoi certains ne parleront plus jamais, pourquoi tout le monde ne sait plus rire, pourquoi certains sont lâches, pourquoi il faut, pourquoi on doit ?

C'était quoi, grandir ?!
Tes lèvres dégoulinantes de larmes, entre sel et fièvre, quand nous faisions l'amour après nos cauchemars ? Nos caresses comme seul rempart contre le monde violent, en horde, et nous faisions de l'amour, de l'union des âmes et des corps, la plus imprenable forteresse.

C'était quoi, grandir ?

Les coups, injustes, des mains de leurs pères ? Peut-être les gifles au goût d'alcool, les corps aux soubresauts, aux sanglots muets, enchaînés dans ta douleur ? Lorsque tu déchaînait ta haine contre les oiseaux dans leurs nids, pour te venger de ton géniteur ?
Ces petits corps pleins de plumes que tu as brisé à coups de bâton. Combien de fois as-tu pleuré comme un chien en y repensant ? En t'en voulant ?

C'était quoi, grandir ?

Être coupable, peut-être. Le poste de police, les fiches, la honte et la rancune.

C'était quoi, grandir ?

Les heures à déclamer des vers, lorsque tu marchais, seul, en forêt, pour le plaisir des arbres ? Lorsque ceux-ci ne voulaient pas de toi et que tu t’effondrais dans la boue, ce jour là, au milieu de nul part dans le froid. Tes propres mains sur tes épaules, recroquevillé en croix comme pour une prière à jamais ignorée ?

C'était quoi, grandir ?

Cette nuit où tu as pris pour la première fois, pour toi seul, une feuille et une encre, et que tu as tracé ton premier poème ? Plus tard, le jour où tu l'as brûlé sous la rage qui te démange encore.
C'était quoi, grandir ?

Accepter la souffrance, peut-être. La côtoyer comme une maladie incurable, s'y faire, t'habituer à ses paroles dans ton sommeil ? Entendre les corbeaux te parler, perdre la raison ?

C'était quoi, grandir ?
T'occuper de toi, toi-même, sans doute. La joie de se sentir libre dans sa nouvelle solitude ?

C'était quoi, grandir ?

Lorsque tu défiais la mort en marchant sur le toit des immeubles, au bord du port, et que tu n'attendais qu'un coup de vent ?

C'était quoi, grandir ?

Te sentir exister, sans doute. Voir ton reflet dans une glace sans vouloir la briser, aller de l'avant sans avis, suivre ta propre voie.

C'était quoi, grandir ?

C'était la pluie.

Ils s'embrassaient passionnément, le dos déjà sous le supplice des frissons électriques. Édictés par les gouttelettes.

C'était le vent.


~


C'est quoi, grandir ?

Prendre son sac sur ses épaules et partir

Abandonner sa famille un moment
La retrouver plus tard.

Essayer de percevoir, avec sa vision endurcie

Par les vérités physiques et maintes fois démontrées,

Quelque chose de plus simple et plus beau

Que ces fades papiers sur un bureau.
Et cette quête de l'innocence perdue est plus forte encore,

Que l'innocence elle-même,parce qu'elle exige de vaincre,

Ses certitudes de courbes et de chiffres, ses théories

Oublier

Ce que nous savons,
Pour le redécouvrir
Grâce à la pulsion créatrice,
Sous l'angle du beau et de l'invisible.
*

C'est quoi grandir ?

Réclamer qu'on nous arrache la peau

A coups d'ongles

Que l'on nous morde

Jusqu'au sang

Supplier, dans un murmure fou :

"Détruis-moi"

Hurler sous la colère

Vouloir détruire le monde

A son image

Boire tout ce qui n'est pas eau

En quête d'ivresse

Pour oublier tous ces maux !

C'est quoi grandir ?

Ces migraines intolérantes

Ces douleurs dans le ventre

Les nuits, longues et blanches

Désir de vengeance

Contraste des pensées
Chaos tout emmêlé

Volonté d'amour

[C'est l'Amnésie,
le Néant

La Folie]

~

Ce sera quoi grandir ?

La paix

reviendra

Ou le chaos

me noiera