Ma vision de la religion est assez particulière. N’ayant pas grand chose contre ce mode de pensée (même si je l’ai renié), mais ayant reçu une éducation fortement religieuse (que je ne renie pas), ainsi qu’une morale réfléchie et établie pendant quelques siècles d’utilisation (que j’aimerais bien renier de temps en temps), je trouve que le « religieux » est un outil merveilleux.
Premièrement, qu’est ce qu’une religion ?
Dans sa forme la plus simple qu'il soit une religion permet à tout à chacun de se placer au milieu d'un monde vivant (et habité), doué d'une morale (à défaut de Raison) et un outil d'éducation (trop souvent transformé en outil politique, malheureusement). Ensuite c’est un mode de pensée et une organisation dont la transmission se fait de manière générale par une transmission intergénérationnelle (la sacro-sainte « tradition »), par une initiation et des rites emplis d’un sens connu des initiés (la théologie), et de temps en temps par un bouche à oreille ou une mise à plat d’une idéologie par un individu (l’illumination).
C'est ce que j'ai essayé de mettre en avant avec mon petit conte. Et comme vous l'avez remarqué, je n'ai pas voulu mettre les mots "spiritualité" ni "Dieu" dans cette première définition ^^
Ce que je voudrais mettre en avant, ce sera que même si les hypothèses que je pose et les conclusions que j’en déduis sont totalement différentes de celles de Lune, j'y trouverai de très fortes similitudes.
Au début, il n’y avait rien, puis il y eut Dieu. C’est comme ça que commencent la plupart des textes religieux. A vrai dire, je crois que ce « il était une foi » est ce qui définit le mieux un texte sacré, tout comme « il était une fois » permet de reconnaitre un conte. Ces premiers mots, c’est ce qui s’appelle la cosmogonie.
Un mythe sacré se construit autour d’un mode de pensée et des besoins premiers d’un peuple, tout comme une graine ne peut germer que dans un sol donné. Ainsi, il est beau de voir naitre le monde sous la main des religions du Livre, entre deux Sutra, sur des fresques aztèques ou égyptiennes, ou sous des pas cadencés remuant sang et poussière.
Cette cosmogonie est le premier intérêt de la religion : donner un sens à ce qui n’en a pas. Elle existe, parce que la première question de l’enfant, après « je peux manger ? » est souvent « Pourquoi ? ». Et de fait, diverses réponses ont été forgées, jouant de l’imagination des peuples. Et dans chaque réponse sa part de joie, de beauté et de peur.
Plein de spécialistes s’évertuent à trouver les points communs, différences, etc. à toutes ces cosmogonies. J’ai bien envie de les laisser à leur jeu.
En attendant, j’adore lire ces textes, pour la forme comme pour les reflets du fond qui se cachent en eux. Et j’adore tout autant dévorer les paraboles pour la métaphore elle-même que pour le sens (les sens ?) qui peut en être interprété, ou que pour les raisons de cette écriture, ou encore son interprétation selon les lecteurs.
Parce que la plupart du temps, ces textes sibyllins sont utilisés dans un rôle éducatif plus que spirituel. Est-ce dommage ? A mon avis non. Ils répondent aux premiers « Pourquoi ? » qui sont ceux de la jeunesse, et leur donnent une réponse qui n’est pas celle, immédiate, de la violence et de la peur.
J’utilisais l’image du sage pour symboliser celui qui est maitre de la religion et du savoir. C’est une image emprunte de beauté et de faiblesse, qui n’est pas, normalement, celle de celui qui a les mains pleines du sang de la victime ou de l’ennemi. L’image de la mère est quelque part la même. En effet, pourquoi faire naitre la vie si c’est par ailleurs la détruire ?
Cette question fait parti de tous les « pourquoi » métaphysiques auxquels aucun mode de pensée expérimental ne peut répondre. La science peut expliquer « comment » la vie existe, mais pas « pourquoi ».
Pourrait-on, dans notre époque, laisser ces « pourquoi » sans réponse ? A un âge adulte, l’expérience permet d’aller au-delà de cette question, la réponse n’a plus forcément d’utilité. Qu’en est-il à un âge où le monde se construit par la vérification permanente de la véracité de réponses à des questions posées ? Je ne sais pas. Comme je l’ai expliqué plus tôt, mon mode de raisonnement est ridiculement cartésien, presque mathématique. Mon éducation a consisté à avoir des réponses toutes faites, qui ont été à chaque fois réfutées en partie pour permettre d’affiner l’interprétation des résultats obtenus. Comme un enfant qui apprend que tous les nombres ne sont pas forcément entiers.
Mais cette éducation ne serait-elle qu’au final un embrigadement de l’esprit ? Réduire le monde à des réponses toutes faites, qu’elles soient cartésiennes ou religieuses, serait il en éliminer tout sens moral ?
En premier lieu, je dirais que cette forme d’éducation par la sagesse traditionnelle est une manière de créer une osmose de pensées dans une société organisée. Se voler, tuer ou violer rend difficile le développement d’un groupe de personne dans la confiance. Car au final, la religion passe forcément par la notion de groupe, d’église, de secte, de communauté ou de temple.
L’éducation des jeunes n’a pas pour seul but de les occuper en attendant qu’ils soient autonomes, mais aussi à leur fournir un cadre de société dans lequel ils pussent s’épanouir. Ceci est bien entendu valable quel que soit le type de société, tribale, martiale, libérale, etc. Cependant, un cadre moral, basé sur des croyances et des règles fixées dans le temps s’avère nécessaire. Et à une époque ou la Loi était l’apanage des religieux, ou l’éducation passait par la croyance, suivre des préceptes religieux est une manière de forger un code morale à une population.
Mais qu’en est-il si ces idéologies, ces croyances sont déviantes ou amorales ?
Si l’individu observe que suivre une tradition à la lettre ne correspond pas à sa propre morale, la religion a tendance à stigmatiser l’individu (le fruit maudit de la connaissance dans la Genèse en est un exemple frappant), mais aussi à lui ouvrir une porte vers l’illumination (se rapprocher d’une connaissance frappée d’un tabou peut aussi être vu comme une manière de se rapprocher de l’incompréhensible, donc par assimilation du Divin)
A ce moment là, la religion peut se réfléchir elle-même. L’individu trouve sa propre place dans cet ensemble de règles et de croyances. Il utilise sa liberté, le pouvoir de son propre raisonnement, et contemple en sage les limites ou l’infini de ses codes moraux. Ainsi, l’Homme répond à ses « pourquoi » par sa propre voix, en réfléchissant à des réponses basées sur son expérience ou celle de ses pairs (et alors nait la philosophie), sur les raisonnements métaphysiques et personnels de ses pairs et ses émotions (et alors nait la spiritualité), ou bien par l’établissement de nouvelles paraboles ou une acceptation fondamentale des règles et des images religieuses (et alors la religion s’alimente elle-même, et la Foi ne peut que grandir).
Et c’est sur ce terreaux fertile que peuvent apparaitre des formes complexes et formidables de philosophies (le bouddhisme, le tao, la philo occidentale), ou bien de spiritualité (le rêve aborigène, la pensée népalaise, le chamanisme amérindien, la contemplation monastique par le chant). Ou les pires aspects de la religion.
Le résultat de ce développement personnel, quel qu’en soit le résultat, n’est pas incompatible avec une vie en communauté de pensée (encore heureux !). Seulement, il faut apprendre alors à développer des notions de tolérance religieuse, c'est-à-dire accepter que le cadre éducationnel, culturel et moral d’un groupe à un autre, d’un individu à un autre, n’est pas forcément le même que celui que l’on s’est accordé à soit.
Il est facile de comprendre que cette tolérance n’étant pas forcément triviale, et que des notions égocentriques et liées à la possession existant (et oui, encore…), de vastes conflits découlent de la proximité entre religions différentes.
Et donc…
… moi là dedans…
On simplifiera en disant que le principe de divinité(s) créatrice, protectrice et faite Amour est sympathique pour appréhender le monde aux premiers âges de la vie. Je pense que des parents réels et aimants sont une belle image de ceci, l’incarner dans une divinité quelconque n’est pas forcément utile. Utiliser un principe infini de Dieu, Bouddha, Inconscient/subconscient ou Grand Manitou permet en revanche d’appréhender des choses métaphysiques difficiles à expliquer à un enfant en dehors de tout exemple (la mort, le temps, le bien, etc.).
De plus, la religion, a l’avantage de donner une boîte à outil assez pratique et complète de paraboles permettant une compréhension de problèmes simples destinés à sortir du raisonnement très animal « je suis le plus fort, c’est à moi, sinon je tape » sur pas mal de situations.
Et pourquoi ne pas utiliser la spiritualité dans ce cas ? A titre personnel, c’est la plus belle manière d’appréhender les choses de la métaphysique, à travers le ressenti et l’émotion de l’être traversé par le monde. Moi, j’adore, il n’y a rien de plus vivant. Mais je ne suis pas certain que cette vision du monde soit aussi accessible à la majorité d’une société qu’une bonne vieille cosmogonie bien colorée.
Et la philosophie dans ce cas ? Je regrette que la voie occidentale de raisonnement par des méthodes quasi scientifiques soit systématiquement privilégiée (même si ce bout de fouillis est lui aussi un exemple vivant de ce mode de pensée ^^). Comme pour la spiritualité, il est nécessaire de se placer soit même au milieu de tout un ensemble d’esprits pensants pour avancer à tâtons. Difficile, donc, de démocratiser pleinement cette façon de voir le monde dès le plus jeune âge. Mais pas impossible, si on fait le pari de l’intelligence.
Et donc, au final, je crois que même si on rejette une certaine image du divin (quelle que soit la forme initiale de cette foi) au détriment d’une spiritualité et/ou d’une philosophie, il est dommage de renier totalement une éducation religieuse. De même, je pense que la spiritualité et la philosophie peuvent être accompagnées d’une foi sans visage et sans entraves.
(houlà! Long!!!
)