Retour à la conversation
Arbre

Le Temps des Rêves

DSK, Episode 5
La plume sur la page de papier crisse. Les mots hésitant tremblent. L’encre tarde à couler. Les larmes longent les joues, presque creuses. Les lèvres ont l’expression des jours graves, les jours d’enterrement semblent moins douloureux, plus vivables, moins tragiques. Ecrire sur page blanche sa propre mort à l’encre noire n’est pas une chose que l’on fait tout les jours. Encore moins dans une cellule de 12m², avec pour seul compagnie un jeune homme penché contre le mur qui a décidé de figer son regard sur vous-même afin d’y lire les blessures de votre âme. Killian était parti à l’assaut de l’âme de Dominique et n’y arrivait pas. Il lança un soupir, il repensait à ce qu’il s’était passé dans le réfectoire.

- C'est quoi ce cirque ? Ce midi, tu as coupé le souffle de tout le monde au point d'obtenir le respect de Malamadre et ce soir, tu chiales comme une mauviette. Tu dérailles complètement mec !

Dominique garda le silence.

- A qui écris-tu ? A ta femme ?
- A mes collaborateurs.

Kilian resta coi durant plusieurs secondes.

- Rassure-moi. Tu as une femme ?
- Oui, j’en ai une.
- Comment s’appelle-t-elle ?
- Anne.
- Elle est jolie ?
- Elle a pris de l’âge, comme moi.
- Elle a un job ?
- Journaliste.
- Journaliste ! Tu t’es marié avec l’une de ces salopes !
- Je t’interdis d’insulter ma femme. Asséna Dominique.

C’était la première fois que Dominique provoquait clairement Killian. Les deux codétenus se lancèrent des regards de défis. Le pouvoir contre la révolte. Dominique avait peur. De son côté, la force de l’esprit. De l’autre côté, la force du corps. Killian avait confiance. Il sentait grandir en lui, une pulsion haineuse contre son co-détenu. De quel crime était-il le responsable ? Il était de plus en plus louche, cet homme n’était pas ici pour une affaire bénigne. Il semblait avoir agi durant des années en toute impunité, certainement contre les siens. Le sort avait l’air de se retourner contre lui. Peut-être fallait-il en profiter. Il focalisa son regard sur la lettre. Dominique était furieux.

- Ne lis pas au dessus de mon épaule... de toute manière, je parierai que tu ne sais pas lire.

Killian eut un brusque mouvement de tête, il se dirigea à pas rapide et saisit Dominique par le col de la chemise prêt à lui donner une leçon. Il se ravisa en croisant le regard impérieux de son adversaire.

- Ecoute-moi, gros lard ! Tu ne m’interdis rien du tout. Tu n’es au dessus de personne. Je ne sais pas qui tu es, mais si je décide de te faire la peau, je te tuerai. Je ne sais pas ce que tu as fait à mes frères et mes soeurs mais je suppose que cela vaut la peine que je les venge. Je ne sais pas quel crime tu as commis, mais j’ai conscience qu’avec un million de dollars, on sait acheter la justice. Je ne sais qu'une chose : Tu n’as le dessus sur personne. Ici, tu n’es pas sur Terre. Tu es plus bas qu’à terre. Une vermine, un lombric. Je me demande bien qui serait assez con pour vouloir diriger de la vermine. Toi peut-être… avec tes discours.

Il reposa Dominique sur sa chaise et alla se calmer sur le lit. Il soufflait de haine. Il émit un cri sauvage pour extérioriser la violence qui sommeillait en lui mais cela ne suffisait pas. Il se leva et se mit à cogner de toutes ses forces, la porte de la prison. De plus en plus fort, à des rythmes de plus en plus rapides. Il s’y cogna même la tête, puis les poings à nouveau. L’ensemble de son corps expulsa sa colère soudaine. Ses cris de rage se transformèrent en cris de douleur. Au bout d’un quart d’heure, il s’arrêta. Dominique observait compatissant. Il avait écrit sa lettre pendant que Killian pétait les plombs.

- Il faut être con.

Dominique ne répondit pas. Il se relisait.

- Il faut vraiment être con, hein Dominique.

L'homme se retourna et chercha à entrer en contact avec son congénère ivre de douleur.

- Il faut vraiment être con, pour ne pas écrire à sa femme en premier ! Tes collaborateurs ! Tu parles ! Des salauds, des enfoirés, des lèche-culs!
- A ta place, je me calmerai. Assura Dominique.
- Garde les pour toi tes conseils ! T’en a combien ?
- Je te demande pardon ?
- Des femmes, tu en as combien ? Un type comme toi, maître du monde, tu as dû t’en taper un bon paquet !
- Je n’aime pas ton humour.
- Arrête, tu ne vas pas me faire croire que tu n’as connu qu’Anne dans ta vie.
- J’ai connu plusieurs femmes dans ma vie. C’est tout ce que je peux te dire.
- Et tu ne veux pas discuter ?
- Non

Le refus était tellement clair et limpide qu'il plana de toute son autorité dans la cellule. Killian observa un silence. Son combat de titan contre la porte en acier l’avait épuisé. Killian s’endormit d’un sommeil profond. Dominique qui ne l’avait pas remarqué, profita du calme pour relire sa lettre une dernière fois, puis alla s’installer dans le lit. Le journal était à côté. Il ne le lut pas, et préféra se dédier à plusieurs minutes de méditation.

Sur la table de la cellule, la lettre de Dominique traînait. Prête à être envoyée.

« Mesdames, et messieurs du bureau,

C’est avec une infinie tristesse que je me vois aujourd’hui de proposer au conseil d’administration ma démission de mon poste de directeur général du FMI.

Je pense d’abord en ce moment à ma femme – que j’aime plus que tout – à mes enfants, à ma famille, à mes amis.

Je pense aussi aux collaborateurs du FMI avec lesquels nous avons accompli de si grandes choses depuis plus de trois ans.

A tous, je veux dire que je réfute avec la plus extrême fermeté tout ce que m’est reproché.
Je veux préserver cette institution que j’ai servie avec honneur et dévouement, et surtout, surtout, je veux consacrer toutes mes forces, tout mon temps et toute mon énergie à démontrer mon innocence.

DSK »