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Arbre

Le Temps des Rêves

demande pour ceux qui ont lus :

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Une lectrice me dit:
Vis à vis du début et de l'enfance des personnages: "je trouve que les années passent beaucoup trop vite tu ne prends pas forcément le temps de bien les décrire, de décrire ce qu'ils font, comment, avec qui, avec quoi...
vrai ou faux ou moyen? Avez-vous été aussi frustrés? Est-ce qu'après avoir lu la suite ça vous a manqué, vous pensez que c'est essentiel d'en savoir plus?, ou vous pensez que c'est ok comme ça? moi j'ai mon avis, mais j'aimerais savoir le votre ^^

(en sachant que j'ai déjà rajouté un passage axé sur Enjan exclusivement (vient s'ajouter à celui de Kahlan (que j'ai déjà largement allongé) et de Seiren qui découvre sa vraie nature:

"Trois ans plus tard.

Enjan marchait d’un pas innocent dans les couloirs. Il entendait au loin Kenja qui le cherchait, aidé des Chevaliers du Roi, mais sans grande conviction. Ils abandonneraient bientôt. Au début, il s’en était voulu d’inquiéter le premier ministre. En agissant ainsi, il ne faisait que le distraire des affaire du royaume, qui avaient bien besoin de lui, cela au moins il l’avait compris, malgré son jeune âge. Mais le Prince ne pouvait s’en empêcher. Il ne supportait plus d’être constamment surveillé, par sa vieille nourrice, ses professeurs, les Chevaliers… Il s’échappait donc de plus en plus souvent, pour partir à la découverte du Palais. Habillé comme n’importe qui, aux couleurs du royaume, les serviteurs le prenaient pour un enfant du Palais. Il était donc souvent réquisitionné pour aider aux tâches ménagères : ranger la vaisselle, changer les draps, faire les poussières dans les chambres… Et grâce aux autres enfants, il avait appris tous les passages secrets et les raccourcis utiles du château. Il pouvait à présent se rendre presque n’importe où dans le château sans être vu.
Au bout de quelques escapades, il soupçonnait l’Intendant du Palais d’avoir découvert sa petite combine. Le vieil homme, qui avait un œil sur tout, s’était bien gardé de lui faire une quelconque réflexion. Cependant, il avait dû prévenir Kenja, et les autres serviteurs. Depuis, lorsque le Prince disparaissait, le Premier Ministre demandait aux Chevaliers de le chercher « pour la forme », sachant très bien que le jeune Prince était sous la surveillance étroite mais discrète des serviteurs. Ces derniers prirent très à cœur cette fonction, mais ils continuèrent à traiter Enjan comme l’un des leurs. Ce dernier faisait semblant de ne rien voir, et ce compromis satisfaisait tout le monde. Pour remercier Kenja, sans pour autant lui avouer sa gratitude, le Prince s’était promis d’assister sans faute à tous ses cours, et d’y être attentif. Le Premier Ministre avait évidemment remarqué ce regain d’intérêt du Prince pour ses cours, mais il ne fit aucun commentaire. Ce contrat implicite lui convenait très bien. Plus même que ce que le Prince pouvait se douter.
— Eh, petit ! Arrête de rêver !
Enjan frissonna en reprenant ses esprits. Aujourd’hui, il accompagnait une des vieilles servantes préparer la salle du conseil. Ils empruntèrent le couloir des blasons, qui menait directement à leur destination. Mais avant qu’ils n’entrent dans la pièce, la vieille posa ses paniers devant la porte et se tourna vers Enjan.
— Tu sais où nous sommes ?
Enjan posa ce qu’il portait et regarda autour de lui, un peu gêné par la question. Il connaissait assez cette dame pour savoir qu’il y avait un message implicite dans ses paroles, mais il lui restait la plupart du temps obscur.
— Alors ? insista la servante.
— Le couloir des blasons ?
— Tout à fait ! Et tu sais pourquoi ce couloir existe ?
Enjan regarda la vieille femme avec suspicion. Etait-ce son maître d’Histoire qui s’était déguisé ? Le Prince dut cesser d’émettre des hypothèses farfelues. Il répondit à la question, devant le regard sévère de la servante :
— Dans ce couloir sont exposés les blasons des Seigneurs et des familles Nobles, qui ont pour mission de protéger le Royaume…
— Même si elles ne remplissent plus leur rôle… Continue !
— Ce couloir est une des plus anciennes parties du Palais, récita Enjan.
Il avait appris cela quelques mois plus tôt.
— C’est le chef de tribu Atalan, créateur du Royaume, qui l’a décidé lorsqu’il a uni les Nobles sous une seule et même bannière, afin de protéger les terres de Nadane. Et c’est parce qu’ils étaient toujours en guerre que leurs intendants sont devenus les Seigneurs, qui ont maintenant plus d’importance que les Nobles. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui les pouvoirs politiques et militaires sont séparés. Et que la politique à plus d’importance que les militaires.
La vieille sourit, comme pour le féliciter.
— Le Grand roi, comme on l’appelle, a ensuite décidé qu’il serait la personne à qui tout le Royaume devrait se référer, Nobles et Seigneurs.
— Et il s’est créé sa propre armée, au fur et à mesure, ce qui a participé au déclin des familles Nobles, en affaiblissant leurs propres forces. Ils ne vous apprennent pas ça à l’école. La séparation des pouvoirs n’existe pas.
— Le Grand Roi a aussi mis en place un Conseil, en accord avec le Roi de l’Ithilîle, afin de gouverner justement. Le Maître de Politique du Palais a dit que la plupart des gens pensaient comme vous. Mais le Roi ne peut partir en guerre sans l’appui des Ministres et des Guildes…
La vieille haussa les épaules en marmonnant quelques paroles incompréhensibles.
— Pourquoi ces questions ? ajouta le Prince.
— Pour moi, cette salle est la plus importante du Palais. Elle montre combien l’unité peut faire la force, mais aussi les qualités que doit avoir un bon roi, pour guider ses sujets. Elle nous rappelle à tous les sujets ce qu’ils doivent à leur roi, en échange de la protection et de la justice qu’il prodigue. Mais n’oublie pas, petit…
Enjan sentit une pointe d’inquiétude monter en lui, prit par le récit de la vieille servante.
— Si un jour, le Roi cesse de remplir son rôle, ne protège plus le peuple et ne se préoccupe plus de son bien être, qui sait…
— Quoi ? Qui sait quoi ?
— Qui sait ce qu’il peut se glisser dans l’ombre, qui sait les substances inodores dans un plat savoureux… qui sait où est la Mort lorsqu’on profite trop de la vie…
La voix s’atténua doucement et ce fut comme si une vague de ténèbres étreignait le Prince. La servante parlait-elle de meurtre ? De complot secret ? N’était-ce pas dangereux ?
— Mais le peuple ! s’exclama-t-elle.
Choqué et surpris, Enjan ne put retenir un sursaut.
— Le peuple peut aussi parler, s’exprimer d’une voix puissante ! Et lorsque, comme un, il se soulève et que sa colère déferle sur le pouvoir…
— Tout est balayé, compléta quelqu’un derrière eux, comme les vagues effacent toutes traces de passage sur une plage.
Enjan se retourna et sourit timidement. Aswas, Premier Chevalier de son père, se tenait là, sous le blason de Nuance. Le Prince pria pour que le Chevalier joue le jeu et ne dévoile pas son identité à la servante. Cette dernière affichait un air contrarié, les lèvres pincées.
— Que faites-vous là, Chevaliers ? demanda-t-elle d’une voix dure.
— Je cherchais de l’aide pour une affaire urgente, répliqua Aswas, impassible. Et vous ?
— Je vais préparer la salle du Conseil avec ce jeune homme.
— A trois, nous irons plus vite. ensuite, vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que je vous l’emprunte ?
— Vous n’avez donc pas d’écuyers pour vos besognes ?
Enjan allait de surprise en surprise. La servante et le Chevalier semblaient se détester cordialement. La voix de la vieille femme était si froide qu’il ne se souvenait pas avoir déjà entendu quelqu’un d’aussi en colère.
— Nos instructeurs ne trouvent plus de jeunes gens assez nobles dans leurs intentions pour intégrer notre ordre, répondit Aswas avec un petit soupir. Peut-être que vous devriez amener plus d’entre eux ici…
La vieille servante sembla s’adoucir. En grommelant, elle se baissa pour reprendre ses paniers. Sur un signe d’Aswas, Enjan l’imita. Ils pénétrèrent tous les trois dans la salle du Conseil.
Le Chevalier s’occupa d’ouvrir les rideaux pendant qu’Enjan et la servante déballaient leurs paniers. Le tout dans un silence parfait. Tandis que la vieille dame disposait les verres et boissons sur les tables, Enjan remplit un buffet d’encas. Lorsqu’il eut terminé son travail, il rejoint Aswas et observa pensivement la salle.
Elle était de taille moyenne, percée de fenêtres sur le mur en face de l’entrée. Quelques meubles s’alignaient à droite de la porte, là où Enjan avait rangé les encas. Le centre de la pièce était occupé par des tables, disposées en un grand rectangle creux, pour permettre aux messagers et aux invités de parler à tous. Enjan était souvent venu ici, notamment pour tenir compagnie à Valin. Mais maintenant l’apprenti Magicien était toujours en mission dans le Royaume, et Maître Arceval n’assistait plus au conseil.
Le Prince ne put s’empêcher d’admirer encore une fois la décoration. Le Palais de Corona était étonnamment sobre sans sa décoration. Les pierres étaient le plus souvent restées nues, à part dans quelques couloirs où des tapisseries et des tableaux avaient pris place. Dans certaines chambres aussi, quelques toiles agrémentaient parfois les murs, mais le minéral restait très présent. Sauf dans cette pièce, à la connaissance d’Enjan. Ici, la pierre était invisible, entièrement recouverte d’immenses toiles de cuir sur lesquelles étaient dessinées des cartes. Sur les murs latéraux se trouvaient les cartes du royaume, de ses différentes régions et de ses eaux navigables. Sur le mur en face du trône royal, où se trouvaient les quelques meubles de la pièce, une carte entière de l’Île et de ses côtes était affichée. Enjan était toujours impressionné de voir jusqu’où les marins avaient put aller explorer les mers autour de l’Île. Cependant ils n’avaient jamais trouvé de nouveau continent. Ils finissaient toujours par revenir, grisés de leur expérience certes, mais légèrement déçus de ne pas avoir trouvé les frontières de leur Monde. La mer semblait infinie.
— Bien, fit Aswas lorsqu’ils eurent finit de tout arranger. Allons-y.
Enjan jeta un regard à la servante qu’il accompagnait. Celle-ci ramassait les paniers, toujours en grognant, mais ne fit rien pour dissuader le jeune homme de suivre le Chevalier.

— Dites…
Aswas posa un regard interrogatif sur Enjan.
— Ce que cette Dame disait tout à l’heure…
— Ce n’est qu’un rituel, mon Prince. Une sorte d’initiation que cette vieille folle aime faire passer à tous les jeunes de votre âge qui vivent au Palais.
Enjan frissonna, hanté par les prédictions et le regard brûlant de la servante.
— Mais elle a raison, non ?
— A quel sujet ?
— Le peuple a besoin du Roi, mais le roi a aussi besoin de son peuple. Alors est-ce que si le Roi ne fait pas correctement son devoir…
— Vous vous inquiétez pour votre père ?
Enjan n’osa pas hocher la tête. Il était jeune. Ses cours de politique et d’Histoire ne suffisaient pas à lui expliquer la complexité du rôle qui l’attendait. Et il devait bien admettre que jusqu’à présent, il n’avait pas vraiment réfléchi à ce qu’impliquait le fait de gouverner un pays. Il avait encore du temps pour ça. Aswas posa une main réconfortante sur l’épaule de Prince.
— Ce que cette vieille pie disait est vrai. Et le peuple peut décider d’agir si les choses deviennent incontrôlables ou inadmissibles. Mais cela ne s’est jamais produit jusqu’à présent. Votre père est à la tête de ce Royaume, mais il ne le dirige pas seul. Il le fait avec les ministres, les Nobles, les Seigneurs…
Le Chevalier remarqua la moue peu convaincue du Prince mais il n’eut pas le courage d’essayer de le faire changer d’avis. Après tout, lui-même n’accordait aucune confiance à ces gens, mis à part quelques uns comme le Noble Tilhem, le Ministre de la Justice, Aled Jared, et évidemment le Premier Ministre, Kenja. Le Premier Chevalier se rengorgea et tenta d’adopter une autre tactique. Il grogna intérieurement. Lui qui d’ordinaire parlait peu, et encore moins de politique ! Comment s’était-il retrouvé embarqué dans une conversation aussi dangereuse ?
— Le Premier Ministres Kenja est un homme sûr, intelligent et astucieux. Il a toujours fait face aux problèmes avec votre père et jusqu’à présent, cela a plutôt donné de bons résultats.
Le Chevalier ne se sentit pas obligé d’ajouter que si le Roi prendrait le temps de s’investir un peu plus dans la vie politique du royaume, les choses s’amélioreraient plus vite. En réalité, malgré toute sa bonne volonté et son incroyable force morale, Kenja réussissait à peine à maintenir le Royaume hors de l’eau.
— Et en cas de problème, vous pouvez compter sur nous autres, Chevaliers. Nous ne sommes là que pour vous protéger.
Enjan lui lança un sourire timide et désolé en se rendant compte de la position dans laquelle il venait de placer Aswas.
— Parfait ! s’exclama ce dernier, puisque c’est réglé, allons-y !
Le Chevalier leva son épée et se mit en garde. Enjan l’imita. L’entraînement pouvait commencer."