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Arbre

Le Temps des Rêves

Texte écrit pour le Vers à Lyre (merci Wen ^^?) sur le thème du silence...
Pas vraiment une nouvelle mais j'aime les inclassables.

aezreta
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Un jour, Loëza avait cessé de parler. On avait cru son silence éphémère, comme une pause lorsque l'on reprend son souffle, un instant de repos avant le renouveau de la course. Mais plus un son ne sortit de son corps. Personne ne se rappelle de ses dernières paroles, personne ne se souvient des dernières pensées qui ont fait vibrer l'air.
Yann évoque souvent un dernier éclat de rire. C'est n'est peut-être qu'un artifice pour tenter d'oublier que le regard de Loëza se trouve maintenant bien au-delà du rire.

Serait-ce donc les paroles qui colorent le regard ?
L'éclat est toujours là.

Devant les interrogations et les peurs de ses proches, elle semblait lointaine, comme enfouie en elle-même, à des lieues du visible. Elle, si légère, si pure depuis son mutisme, semblait comme écrasée par le regard de ceux qui voulaient la voir parler. Les mots qui ne résonnaient plus dans sa poitrine étaient comme un écran entre elle et le monde, comme un amas de gravats inutiles et encombrants. Ses amis ne la comprenaient plus, se mettaient devant elle et agitaient l'air de mots dérisoires et de sourires forcés. Ils plantaient leurs regards dans le sien et s'acharnaient à la faire plier, entassant un à un les reproches qu'ils taisaient.

Leur silence était un mensonge. Le sien était une prière.


**
Loëza


Il y a d'abord eu cette logorrhée indomptée qui colorait mes lèvres. Cette jouissance aussi, de m'imprimer dans l'air comme un être de pensée. J'ai aimé parler, j'ai aimé raconter, faire rire, éveiller l'esprit par le Verbe. J'ai été celle qui plaque sa main contre sa bouche pour étouffer un éclat de rire, celle qui frétille, le doigt levé vers le ciel pour quémander un instant de parole. J'ai découvert le monde en le nommant et j'ai exprimé sa beauté.
Un jour je me suis tue. Je ne sais plus pourquoi.
Les visages autour de moi se sont fermés.
Alors, j'ai cherché l'horizon en moi.


**
Yann


Je me rappelle ses mots.
Ceux qu'elle laissait divaguer la plupart du temps, en courbes infinies, en tourbillons de vie. Ils avaient une liberté peu commune, on les entendait frémir, vagabonder et rebondir au gré de leurs envies, de saltos arrières en pirouettes habiles. Essoufflés, ils se taisaient parfois pour repartir de plus belle. Loëza... elle prenait les mots, subrepticement, avec son air malin. Elle les déshabillait, les retournait comme on retourne un gant. Comme on retourne une veste. Parfois, un mot trainait sur la table de la cuisine. Même absente, elle continuait de parler.
Je me rappelle ses mots.
Ceux qu'elle maugréait à la lumière de la lampe de son bureau les soirs de parole ternie. Ils tombaient en un bruit feutré sur ce qu'elle se refusait d'écrire ou sur ce qui ne voulait pas se laisser comprendre. C'étaient des taches grises, des lettres fatiguées, qu'elle expulsait de son esprit, laissant dans l'air une trainée morose.
Je me rappelle ces mots. Mais j'ai oublié le dernier qui a franchi ses lèvres.


**
Loëza


Pour moi, parler était un plaisir. J'ai toujours cru qu'il s'agissait d'un acte de liberté. Lorsque je me suis tue, j'aurais pu renouer avec le langage si on m'en avait laissé le temps, laissé l'envie. J'avais encore les lèvres souples et la poitrine frémissante et, sur le bout de la langue, cet appel sonore qui vous pousse à croquer les friandises aux vingt-six saveurs.
Je ne sais plus pourquoi je me suis tue. Mais je sais comment s'est installé le dégoût des mots creux et des paroles vaines. C'est une prison que la parole. J'aurais pu me battre à coup de phrases, tenter de démolir les montagnes de mots inutiles qui cachaient l'horizon de la pureté. J'ai préféré me construire un temple de silence, une atmosphère qui n'appartiendrait qu'à ceux qui voudraient y entrer. Apprendre à parler au-delà de l'audible.
Peut-être est-ce Yann qui a entrouvert la porte de ce nouvel univers. Il ne le savait pas. Il ne savait pas que la clef des émotions trop fortes avait effleuré le silence de mon âme.


**
Yann


Parfois, elle se taisait. Incapable d'exprimer ce qui s'émouvait en elle. Elle m'offrait son mutisme en même temps que sa fragilité.
Mais tous les silences se ressemblaient et ils étaient pour moi une angoisse, de ces doutes qui oscillent entre plénitude et renoncement. Je ne savais quels mensonges se cachaient entre ses lèvres closes. Alors, je l'embrassais et finissais toujours par lui arracher des sentiments qui se murmurent. Un arrachement. C'était une souffrance pour elle que d'avoir à prononcer ces paroles qui me rassuraient tant.
Je me rappelle ces mots. Si rares.
Ceux qu'elle prononçait parfois dans l'aura de nos corps. Ceux que nous sculptions ensemble dans le creuset de nos bouches. Ils frémissaient dans la pénombre, fragiles et perforés de ces graines mystères qu'elle y avait semées.
Un jour, mes baisers n'ont plus eu la force de découdre ses lèvres. Seuls ses yeux, grands ouverts dans le noir, me disaient qu'elle m'aimait.


**
Loëza


C'est une de ces nuit, peut-être, que le silence m'a enveloppée comme un immense drap blanc. Je ne pouvais plus parler ; les mots avaient perdu leur substance.
Démunie, alourdie par toutes ces lettres mortes qui s'épuisaient en moi, je suis partie d'un monde pour en créer un autre.
J'ai rencontré la légèreté, celle qui ne se dit pas.
Libre.
Perdre ses mots, c'est un peu comme perdre son corps, flotter au dessus d'un univers qu'on ne peut exprimer.
J'ai vu des arbres qui avaient oublié leur nom,
j'ai perçu le battement sous la feuille,
j'ai vu des hommes dont les gestes m'ont coupé le souffle et j'ai écouté ces langages muets.
J'ai appris les signes du néant et senti la lumière en sortir.
J'ai percé des regards par mes lèvres closes.

J'ai compris la délicatesse d'une journée, d'une vie, passée à coudre un livre de pages blanches.

Suivant la ligne de mon propre horizon, j'ai marché longtemps dans mon temple intérieur.
Rien que le bruit de mes pas contre les reflets de la grande verrière.

Aujourd'hui, je ne sais plus pourquoi je me suis tue.
Mais, enfermée dans mon temple, au plus profond du silence sacré, des pas résonnent déjà derrière moi.

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