Retour à la conversation
Arbre

Le Temps des Rêves

DSK, Episode 2

Le Monde, Mardi 17 mai 2011. « L’affaire DSK : un séisme pour l’euro, le FMI et la gauche ». La couverture du journal présente Dominique, les mains menottées derrière le dos, entouré de quatre policiers. Le maître du monde, avachi sur la banquette en bois vermoulu, lit incrédule la réaction de son amie Martine au sujet de son incarcération. Son front se plisse. Le regard toujours aussi insignifiant. Des soupirs à la lecture de certaines phrases.
Kilian adossé contre le mur, ne comprenait pas. Il tentait de déchiffrer la langue dans laquelle le journal était écrit, mais rien. Ce type venait d’ailleurs. Il s’arrêta sur la photo publiée en Une et émis un sifflement admiratif.

« Dis donc, tu as dû faire une sacré connerie, toi ! Pour que l’Etat de New York te fournisse quatre poulets pour t’accompagner en taule !

Il s’arrêta sur les lettres D.S.K.

- Tu es un dealer, c’est ça ?

Dominique arrêta sa lecture.

- Le « DSK », c’est une nouvelle drogue pas vraie ? –il dévisagea Dominique, de plus en plus incrédule – Et je suis prêt à parier que ça devait être de la bonne. Tu as dû te goinfrer de thunes avec ça. C’est pour ça que tu es le maître du monde.

Il y eut une seconde d’incompréhension puis Dominique lâcha son journal et partit dans un éclat de rire. Son rire se fracassait contre les murs de la cellule. Des larmes coulaient de ces pupilles ternies de fatigue. Le son de sa gorge déployée se cognait contre sa dentition parfaite. Il se leva et tambourina la porte, se plia en deux sous l’effet des spasmes d’hilarité qui envahissait son corps. L'homme sombra dans cinq minutes de folie. Kilian craignaient qu’il ne soit en face d’un drogué en manque. Il arrivait souvent que des codétenus perdent la raison quelques minutes, mais jamais en riant au point d’en pleurer des larmes de désespoir. Dominique se calma, se reprit et s’adressa à Kilian :

- Non, je ne suis pas dealer.
- Marchand d’armes ?
- Presque.
- Comment ça presque ?
- Je manie le nerf de la guerre.
- Des dollars. Tu es banquier.
- Pas vraiment non plus.
- Dommage...
- Pourquoi ?
- Je travaillais dans une banque.
- Vraiment ?
- Je faisais le ménage, je balayais le sol marbré du rez-de-chaussée et passait l’aspirateur sur les moquettes de l’étage. J’ai nettoyé cette boutique pendant 4 ans, le mieux que je pouvais. Tous les jours, je me donnais à fond. Ca paraissait bien parti. J’ai acheté les restes d’une maison dans les bas quartiers de Big Apple. J’ai été viré en 2008… Les chiens.
- Où travaillais-tu ?
- Lehman Brothers, ça te dis quelque chose?

Le visage de Dominique se figea.

- Toi aussi, ils t’en ont fait baver !
- Ils m’ont donné pas mal de travail.
- Ils venaient chercher leur drogue chez toi, les fils de putes.
- C’est plus compliqué.
- Ils m’ont fait perdre mon job et ma maison. C’était à eux que j’avais demandé un prêt. Quand ils ont mis la clef sous la porte, les autorités m’ont foutu à la rue. Je n’étais pas propriétaire de la maison et elle ne valait plus rien. Je me suis séparé de ma femme pour la protéger de dettes dont je n’étais pas responsable. Je me suis juré de tous les butter. Un par un. Avec le peu qui me restait, je me suis payé un neuf millimètres et j’ai filé mon ancien boss pendant un an. Quand j’ai senti que le moment était bon, j’ai tiré. Je l’ai touché à l’épaule et à la cuisse. Je n’ai pas eu le temps de terminer le travail. Les flics m’avaient déjà serré. Je devais me faire une raison : j’avais loupé mon coup. Quelques jours plus tard, j’étais arrivé à Riker Island. Je n’ai toujours pas bougé de cette cellule.
- Tu as déjà été jugé ?
- Mon procès aura lieu en 2012. C’est tout ce que je sais. Et toi, quand le jury rendra-t-il sa décision ?
- Vendredi.

La porte de fer vibra de trois coups secs. Un geôlier venait de frapper.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda Dominique.
- Les gardiens. C’est pour nous dire qu’ils viendront nous chercher dans cinq minutes pour aller manger.
- Ils ont l’air aimable. plaisanta Dominique.
- Je n’aime pas ton humour. – Killian observa un silence – D’où viens-tu ? Ton accent ne me revient pas.
- Je suis français.
- Pourquoi es-tu venu vendre de la drogue ici ?
- Je ne suis pas dealer.
- Marchand d’armes ?
- Presque.
- Comment ça presque ?
- Je manie le nerf de la guerre.
- Des dollars. Tu es banquier.
- Pas vraiment non plus.
- Voleur ?
- C’est déjà un peu plus juste…