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Arbre

Le Temps des Rêves

DSK, Episode 1

« - Qu’est ce que tu fais dans la vie ? »

L'homme se tenait droit sur la banquette. Dos au mur. Le plus dignement possible dans sa tenue de prisonnier. La cellule était étroite. 12 m² à tout casser. 9m², si on enlevait l’espace qu’occupait le lit à double étage qui reposait sur le mur d’en face. Les coins au plafond suintaient la moisissure, le sol du cachot avait des allures de banquise.

« - Qu’est ce que tu fais dans la vie ? »

Le cou fort tel un taureau, les yeux clairs, la bouche fine. Ces cheveux grisonnant s’éclaircissait au rayon du soleil que laissait filtrer les barreaux de la fenêtre. Tel le projecteur d’un cinéma où se joue un film de mauvais goût. La crispation sur le sourire. Les yeux se plissent douloureusement sous la lumière de ce projecteur de mauvaise compagnie.

« -Qu’est ce que tu fais dans la vie ? »

Le ventre dodu se cogne contre le pantalon de trop petite taille. Les jambes immobiles incapables de faire le moindre mouvement, comme coulée dans le béton. Un homme quelconque dans le béton d’une prison. Un homme qui ne sait plus s’évader, c’est à cela que ça sert une prison. Cela détruit les hommes, parfois les destins. Les mains puissantes tremblent. Ne savent quoi faire d’un environnement aussi insignifiant. Mécaniquement, elles recherchent les poches d’un haillon qui n’en possède pas. A la recherche d’un portable égaré dans la suite d’un hôtel new yorkais.

« - Qu’est ce que tu fais dans la vie ? »

Le compagnon de fortune était black. Biceps avantageux, des plaques de chocolat à la place du ventre dodu de son congénère, ses jambes puissantes tournaient en rond, éprises de liberté. Parfois, l’envie de courir lui venait dans ce 9m². Sa tête passait et repassait devant l’unique ouverture de la pièce, ce qui donnait l’impression que les jours et les nuits se succédaient à une vitesse fulgurante. Comme si le temps s’accélérait d’un seul coup.
De ces yeux d’amandes, le jeune prisonnier n’arrêtait pas de marteler son compagnon de regard.

« - Qu’est ce que tu fais dans la vie ? »

Un spectacle d’ombre chinoise, depuis le début. L’ombre et la lumière. La douceur d’un matin qui se lève, et l’ombre de la solitude dans la salle de bain. L’extase d’une pulsion exterminée gratuitement, puis la prise de conscience d’un acte grave. L’espoir d’une évasion à l’aéroport JFK et les manteaux noir des enquêteurs. La lumières criardes des gyrophares, le mauvais sang d’une séance de garde à vue. Le flash des photographes et les robes austères des juges. Liberté conditionnelle refusée, prison jusque vendredi pour établir si un procès aura lieu ou non. Le jeune homme continuait ses rondes de plus en plus vite, comme si la roue qui le faisait tourner avait décidé de s’accélérer.

« - Qu’est ce que tu fais dans la vie ? »

Un homme de plus de 50 ans dans une prison, ça n’arrive pas tous les jours ! Le jeune homme s’impatientait. Qui est ce type ? Il n’a rien d’un américain, il est trop fier. Pourquoi les flics lui avaient dit « de ne pas trop l’abîmer » ? Le jeune black ne connaissait pas les flics pour leur compassion envers les prisonniers. Ils les jettent au trou, sans un mot. Pourquoi celui-ci refusait-il de répondre aux questions ? Les nouveaux prisonniers ne se réfugient pas aussi facilement dans le silence, après quelques minutes, ils comprennent que la vie est foutue et sombrent dans la folie pendant plusieurs jours. Ce type était louche. Plus que les autres.

« - Hey l’affreux, je te cause ! »

L'homme tiqua et haussa le sourcil. Il se leva et avança son impressionnante carrure, avec un charisme qui déstabilisa le jeune homme au point de le faire asseoir. Un orateur assurément, en tout cas quelqu’un qui aimait dominer. Il soutint le regard, impassible ; La lumière de la fenêtre balafrait une diagonale sur son visage. La cicatrice du projecteur laissait perler quelques gouttes de sueur. L’inquiétante impression d’avoir un homme à double face devant soi. Et l’homme à moitié ombre, à moitié lumière déclara :

« Je suis le maître du monde ! »