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Arbre

Le Temps des Rêves

Je suis dans cette grande maison que j’aime malgré moi, avec ses vieux meubles et son vieil escalier, avec la chambre d’enfant qu’on voulait repeindre de toutes les couleurs. Chaque jour les murs craquent avec des chuchotements tristes, et ma femme ne les entend pas. Mon fils a posé des questions auxquelles je n’avais pas les réponses.
Hier, la grande poutre s’est fendue au milieu. J’ai senti battre mon cœur dans ma poitrine et j’ai cru qu’il allait s’échapper sans moi. Cela fait quelque temps qu’avec mon cœur cela ne va plus bien. On se parle de moins en moins.
Pour rassurer mon cœur je suis allé dans le placard chercher du plâtre et de l’enduit et, toute la journée, j’ai colmaté. Mon fils me suivait, étonné et attentif. Il s’appliquait à colmater, lui aussi, il imitait mes gestes. Sans poser de questions.

Peut-être qu’il a compris qu’on n’a pas le droit d’y penser.

Pendant que je colmatais, ma femme lisait dans le canapé. J’avais peur que le livre se craquèle, s’effrite et lui tombe des mains. Ça l’aurait rendu folle, je pense. Mais non, le livre restait tranquillement posé sur le ventre rond de ma femme, toutes les lettres bien en place, rangées dans le bon ordre.

Ce matin, mon fils est dans sa chambre et ma femme, encore, lit sur le canapé. Je prends mon petit déjeuner. Le ronronnement distant de la machine à laver vient épaissir doucement l’atmosphère, un peu comme de la neige, et on dirait que le temps se dilue.
Je regarde le jour qui perce à travers la grande faille dans le mur du fond. Je verse le café dans la tasse. Mon cœur se tient tranquille. Je sais qu’il y a quelque chose, mais il ne veut pas en parler. Il me laisse boire mon café.

Peut-être qu’il a compris qu’on n’a pas le droit d’y penser.