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Arbre

Le Temps des Rêves

Je m’en souviens comme si c’était hier.
Je m’en souviens car c’est là que tout a changé.
Ce n’était pour moi qu’une légende, un mythe
Mais je n’avais rien à perdre. Comme d’autres.
Je n’avais pas plus rien à perdre
Car il aurait fallu avoir quelque chose.

Comme d’autres j’ai tenté. J’ai été tenté.
Je suis allé à la croisée des chemins
Où se tient la vieille auberge sans âge
Avec sous le bras la boite et son butin.
La lune souriait comme un chat
Au ras de l’horizon, illuminant les blés.

Là, au milieu de nulle part, j’ai creusé
La route en terre parsemée de cailloux
En plein milieu de la croisée des chemins.
J’ai creusé un trou, pas très grand
Pour ma petite boite, pas très grande
Comme le conte demande de le faire.

Dans ce coffret plus que bon marché
Se trouvait la seule photo que j’avais de moi,
Des os de chat noir, un peu de terre consacrée,
Une pièce de monnaie pour racheter la facture
De la vieille cassette rouillée trouvée dans un fossé.
Une fois enterrée, j’ai repensé à Johnson, Tommy ou Robert.

C’est alors qu’il est apparu ou plutôt elle.
Sans un bruit, sans un flash.
Le démon dans le corps dans cette femme,
Une femme sublime,
M’a demandé ce que je voulais, ce que je désirais.
Je voulais tout. J’ai dû choisir.

Je voulais pouvoir jouer de tous les instruments
Je voulais parler toutes les langues pour voyager
Je voulais savoir écrire pour charmer les dames
Je voulais savoir chanter pour apaiser les âmes
Je voulais ne plus avoir peur pour être libre
Je voulais que la chance me sourît enfin

Son rire me déconcerta :
Un rire franc, sincère.
« Une vie ne suffirait pas
Pour que je t’accorde tout cela. »
« Peut-on appeler une vie
Celle que je mène jusqu’aujourd’hui ? »
Les yeux de la femme virèrent au rouge.
Son corps ondula en se rapprochant.
« Je t’aime bien, j’accepte, mais
Dans vingt étés je ne prendrai pas que ton âme
Je prendrai également celle de ta prochaine vie. »
J’ai opiné du chef et elle m’embrassa.

Le pacte était scellé.

Il a été scellé il y a vingt ans.
J’ai eu une vie merveilleuse.
Une vraie vie.
La peur est de retour.
Le bois de la maison craque.
J’entends des grondements.

Ils se rapprochent.
C’est aujourd’hui la fin,
Je pensais la revoir.
Ce sont ses chiens qui viennent.
Je suis le seul à les entendre.
Ma femme et mes enfants dorment.
Ils dorment du sommeil du juste.

Je les aime tant.
Je savais que ça finirait
Mais pas ainsi.
Son baiser me brûle,
M’engourdit encore les lèvres.
Vingt années fabuleuses
Qui s’envolent en fumée,
L’épaisse fumée des enfers.

Mickaël Landès
Le 02/09/18

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