Le Temps des Rêves

LEIKANGER, COMTÉ DE SOGN, NORVÈGE - 862

La hache perça l’air et s’abattit dans un sifflement singulier.
Le son des os brisés résonna dans la cour où se tenaient des hommes en tenues bleues. Malgré leurs têtes baissées avec respect et les dernières acclamations à Odin et Freyja, ils conservaient leurs armes à leurs larges ceintures. Tandis que le sang coulait sur la terre qui s’en abreuvait avec délectation, un homme leva la main et fit quelques signes. Permission muette amplement suffisante pour que quatre individus parmi la foule se précipitent vers la dépouille. Laquelle était coupée en quatre morceaux inégaux.
– Nous voulons sa tête ! Le droit nous revient ! Il était né chez nous ! siffla un grand blond.
– Pourquoi l’honneur vous reviendrait-il ? Né chez vous, mort chez nous ! protesta un second.
– Devrions-nous nous contenter du tronc ? aboya un troisième, balafré de toute part.
– Les bras nous irons… marmonna un dernier.
Étonnement discret malgré sa masse de muscle, il tendit la main pour attraper les deux membres en question. Les autres, tout à leur dispute, lui laissèrent volontiers ces bras qui, certes valeureux et porteurs de victoires, ne leur faisaient pas autant envie que la tête du Roi Halfdan le Noir ! Le discret entreposa sa part dans la malle en bois que tenaient deux de ses hommes, s’inclina poliment devant le reste du cadavre et s’en alla sans un mot de plus.
Ce spectacle n’échappait pas au regard d’un enfant à peine âgé de dix ans. La main d’un homme se posa sur son crâne ambré.
– En as-tu vu assez… mon Roi ?
– Oui, mon oncle, répondit-il.
L’homme lui caressa la tête puis glissa sa main sur son épaule. Il le guida vers leur immense château constitué de pierres irrégulières. Deux valeureux guerriers saluèrent l’enfant et son oncle puis leur ouvrirent les portes. L’homme mena son neveu dans ses nouveaux appartements : une somptueuse chambre digne de sa personne, couverte de bleu égyptien, tant dans les draperies que la décoration.
Le jeune souverain s’assit sur la banquette couverte d’un matelas fourré de plumes d’oie. Il leva le regard vers l’homme qui lui souriait, toujours dans l’encadrement de la porte.
– Quoiqu’il se passe, je suis là pour te soutenir. Ne crois pas que tu sois seul.
– Je sais que vous êtes à mes côtés, mon oncle, assura-t-il. Saviez-vous que Gyla de Hordaland était là pour l’inhumation de père ? Pour le début de ses inhumations, se rectifia-t-il avec nervosité.
– Je t’ai vu parlé avec elle.
– Je pensais en faire mon épouse.
– Il te faudra une Reine, en effet.
Il se retint de lui dire qu’il avait tout son temps pour cela. La sagesse du garçon était déjà palpable aussi, préférait-il ne pas lui répéter ce que tous lui rabâcheraient au fil des années. Si tant est qu’il survive aux batailles, aux assassinats et autres complots…
– Elle a refusé de m’épouser, reprit le petit monarque. Parce que je ne suis « qu’un roitelet qui ne possède que quelques terres ». Elle m’a dit qu’elle n’accepterait de m’offrir sa main que lorsque je serai Roi de toute la Norvège…
Il leva le regard pour le plonger dans celui de son oncle.
– Je le deviendrai. Je ne me peignerai ni ne me couperai les cheveux avant d’avoir conquis tout le pays. Et bien plus par la suite.
L’homme ne put retenir un sourire tendre et amusé.
– On ferait n’importe quoi, n’est-ce pas ? Pour l’amour d’une future Dame. Même à ton âge.