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Arbre

Le Temps des Rêves

Tom sortit un mouchoir du paquet qui traînait sur son bureau, et se moucha sans discrétion aucune. Il se résigna pour cette fois, quittant définitivement des yeux l'écran qu'il avait devant lui pour se lever, empoigner la tasse qui refroidissait à côté de son ordinateur portable, et regarder au loin un avion grimper après avoir décollé d'une des pistes de Roissy. Tout petit déjà, il se rêvait pilote... la vie en avait décidé autrement, mais finalement, il n'en était pas si loin.

Lorsqu'on a qu'une chambre, elle sert de refuge et de miroir. Mais lorsqu'on a un bureau en plus d'une chambre, cette dernière devient le refuge et le bureau devient le miroir. Dans le bureau de Tom, il y avait quatre grandes étagères ; trois étaient destinées à accueillir une collection d'avions à l'échelle 1/100e tandis que la dernière soutenait les trophées gagnés depuis deux ans avec le reste de l'équipage du Lone Star Seventh sur RSO. Au poste de navigateur sur le Lone Star, Tom avait su utiliser ce qu'il avait appris sur les simulateurs de vol, et ses cours de géométrie spatiale de l'université. D'abord anonyme, puis de plus en plus redouté, le Lone Star et son équipage faisait désormais partie des dix équipages les mieux placés au niveau mondial, et faisait des cinq joueurs qui composaient l'équipage des petites vedettes dans leur monde, courtisés par les médias spécialisés et adulés par tous ceux qui ne réussissaient pas à quitter le "top 200" du classement.

RSO était un jeu qui ne pardonnait pas l'échec. Avant la mise en place de la capitulation, un combat se terminait toujours par la destruction de l'un ou l'autre des vaisseaux engagés, et donc la remise à zéro de son classement. Le nombre d'équipages parvenus dans le "top 50" et obligés de reprendre tout depuis le début étant devenu trop important, et les enjeux financiers devenus eux aussi trop cruciaux, l'équipe de développement de RSO avait fini par mettre en place le principe de capitulation, permettant à un équipage de capituler avant la destruction de son vaisseau (pourvu qu'il en ait le temps), et ainsi de ne pas être obligé de tout reprendre depuis le départ et ne pas avoir à reconquérir une à une chaque place du classement mondial. Mais même avec ce système, atteindre un niveau tel que celui du Lone Star et de son équipage tenait de l'exploit, et chacun des trophées soigneusement conservés sur son étagère par Tom le lui rappelait perpétuellement.

Pourtant, c'était bien aux trois autres étagères qu'il tenait le plus ; c'était aussi celles qui valaient le plus cher à la revente. Une collection bichonnée d'avions de ligne et de chasse, tous au 1/100e, parmi lesquels un Airbus A380, un Lockheed Super Constellation, un Bréguet Deux-Ponts extrêmement rare, une réplique de l'Enola Gay et du minuscule "Spirit of St. Louis" de Lindbergh.

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