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Arbre

Le Temps des Rêves

Quand tout aura disparu, que lui restera-t-il des heures passées à frotter sa vie contre la peau rêche de la ville ?
Des heures sans horaires à tenter de retrouver la marque de la sève sous les briques, la trace du lierre sous le béton armé. Il va. De couloirs sous-terrains en grands boulevards. Il va. En quête de ce qui fut arraché. Il sait qu'il doit révéler ce qui fut recouvert, ce que la ville a englouti. Il sait que des racines courent derrière les murs, que des rivières coulent sous le bitume. Il entend l'écorce racler contre le quai, crisser dans le tube métallique des lampadaires, boursoufler le papier criard des affiches.
Il les traque, les révèle et s'en va.
Il devine le passage d'un ru dans l'allée étroite et cernée de barrières, la cascade d'un torrent sous les marches de l'escalier. Les passants passent comme s'ils ne percevaient pas tout ce qui se joue sous leurs pieds. Pourtant, lorsqu'il gratte le sol gris et jonché d'empreintes, il sent l'eau vive s'infiltrer, se hisser goutte à goutte vers la surface. Il perçoit l'odeur abrupte de la terre. C'est tout un entrelacs de racines, d'eau et de courants d'air qui patientent et renâclent dans l'ombre.
Lui ; Il les traque, les révèle et s'en va.
Il ne peut pas tout faire seul. Il faut que le geste se poursuive, que la pierre sur la pierre dépose à son tour une marque, provoque à son tour une trace. Chaque regard qui accroche contre le rugueux de l'écorce creuse un peu l'épaisseur des murs. Chaque pensée qui s'attarde effleure la fissure qui mène vers l'autre monde.
Il attend.
Le renflement du goudron au pied de l'arbre finira par craqueler les consciences.
Il espère.
Au bout de l'allée, deux anciens claudiquent sur le bord de la rivière ensevelie sous trois mètres de pierre.

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