Retour à la conversation
Arbre

Le Temps des Rêves

SILENCE


Avec cette vidéo https://vimeo.com/channels/everyframeapainting/98240271

Mine de rien dans un livre il y a du bruit aussi. Encore plus là, dans mon tome 2, qui est plein de combat ^^ et j'ai trouvé cette idée de mettre des silences aux climax des scènes juste géniale, donc j'ai tenté ma chance.
Alors, cet extrait est assez long parce que pour apprécier le silence littéraire il vous faudra du bruit ^^

[SPOILER ALERT]


Les réservistes passèrent la pire journée de leur existence. Dès l’aube, les bandits les harcelèrent de tirs. À l’habituelle pluie de flèches se mêlèrent fragments de poutres et moellons projetés grâce à l’artillerie lourde empruntée à la caserne de l’Est. Les soldats du Roi n’avaient d’autres choix que de subir ce déluge. Abandonner la courtine était impensable : des brigands gravissaient l’amas de meubles malgré les giboulées assassines. Les réservistes menaient donc une garde vigilante sous un toit compact de boucliers. Le métal se tordait, geignait. Chaque choc bourdonnait à leurs oreilles comme un coup de glas. Ils avaient manqué à leur parole en acceptant l’aide des Poètes. La punition que leur réservaient les bandits promettait d’être terrible. Et la Chorin déclinait les déciles, imperturbable.
La situation présentait quand même un avantage : les Poètes n’avaient plus à se cacher. Ils érigeaient en toute impunité des champs de force afin de couvrir les réservistes les plus téméraires. Se relayaient pour affaiblir la construction hétéroclite qui supportait l’assaut ennemi. Perçaient les formations adverses de leurs vers. S’épuisaient.
Aleji, lui, s’était armé d’un arc et d’un carquois aux flèches empennées de vert. Seiren l’avait vu les arracher à un bandit avant de le tuer. L’apprenti aidait joyeusement Jamil à massacrer les lieutenants ennemis qui commettaient l’erreur de crier leurs directives d’une voix trop puissante. L’Elfe se révéla d’une précision redoutable. Il sabota même une catapulte en coupant les torons de ses cordes un à un, jusqu’à ce que les derniers brins lâchent d’eux-mêmes.
Le mestre se leva aux environs de la midi. Il cingla les réservistes avec un mordant animal, accentua la dangerosité des projectiles. Il chassa vers la côte les nuages accumulés au-dessus de la ville, découvrant un ciel d’azur plombé. Les réservistes tombaient un à un, suffoqués de chaleur, écrasés de fatigue ou assommés par un grêlon ennemi. Seiren réorganisa les équipes et les roulements. Chaque homme à terre laissait une plaie béante dans les rangs. Les bandits essuyaient des pertes bien plus importantes mais cela les affectait à peine tant ils étaient nombreux. Trop nombreux.
Les réservistes tenaient la muraille avec la volonté acharnée d’hommes ayant dépassé les limites de la fatigue. Les sens de Seiren s’émoussaient. Paradoxalement, une acuité nouvelle l’habitait. Il percevait le champ de bataille avec une précision abstraite. À la manière d’une fresque dont il n’aurait saisi que les détails. Une ivresse indistincte coulait en lui. Elle contrôlait chacun de ses muscles. Ainsi, il n’avait pas à réfléchir. Il n’agissait que par instinct. Sa plus grande peur était de lever le voile rouge qui embuait ses yeux et de voir qu’il n’enfonçait plus son épée dans l’ennemi mais dans un corps allié. Si Enjan se présentait soudainement, le reconnaîtrait-il ? Saurait-il retenir sa lame ?
Contrepoint à la violence dans laquelle il plongeait, une chanson voguait dans son esprit, en occupant les moindres recoins.
« Homme
Qui embrasse la désespérance
Entre tes mains
Tu garderas l’avenir. »
Seiren n’en avait jamais aussi bien compris les paroles. Plus le fil de ses espoirs diminuait, plus il s’y accrochait. Et plus il souffrait. Chaque déception gagnait en amertume. Tout perdait son sens. Il évoluait au cœur d’une brume de sang, de cris, de dépit, d’acidité, dans l’attente qu’une main se pose sur son épaule. Pour lui intimer de lâcher son arme. Pour lui annoncer la victoire.
En fin d’après-midi, les bandits mirent un terme à leur tactique d’épuisement et le mestre charria un épais brouillard sur la ville. Plus un voleur ne montait à l’assaut de la caserne. Un calme irréel tomba sur la place du Nord.


Le Sergent n’eut pas le courage de donner des ordres ou d’aller rassurer les civils. Il s’appuya sur son épée, haletant. Puis se laissa choir sans élégance. Il inspirait par saccade l’air vicié, humide et chaud. À ses côtés, les Poètes et les réservistes s’écroulèrent aussi, toute fièvre combative envolée. Le brouillard obstruait la lumière crue du Soleil. Il dispensait un fin crachin désagréable, qui collait aux vêtements et aux cils.
Seiren était pétri de douleur. Il se défendait bien mais malgré cela, et malgré ses protections, de nombreuses ecchymoses le brûlaient.
Une plainte s’éleva. Elle s’atténua piteusement, comme désolée d’avoir rompu le silence. Un sommeil visqueux assomma le Sergent. Le temps s’étiolait au rythme de la bruine qui dégouttait sous la visière d’un casque abandonné.

Un rire, improbable, sortit Seiren de sa somnolence. Il se leva.



Analyse (oui j'aime analyser mes textes ^^ en tout cas c'est comme ça que j'ai étudié/perçu mon travail, bien sûr vous pouvez ne pas être d'accord, n'hésitez pas à donner votre propre analyse si vous voulez aussi ^^)

Le silence est là pour marquer non seulement la trêve dans la bataille, mais surtout le fait, qui va avec les mots que j'ai souligné, que Seiren a finalement lâché prise et qu'il est OUT en fin de scène, moralement et physiquement.

Au début du passage on annonce la fin et au milieu on met du remplissage bien bourrin pour faire croire que non, les héros sont trop fort et qu'ils vont réussir à se surpasser... et finalement à la fin du passage on retombe vers le désespoir, et je n'ai jamais vécu de bataille mais quand je me bat contre mes projets d'archi ou mes romans c'est un peu ça que je ressens : tu déprimes, tu a s un moment épic ou tu penses y arriver... et finalement non.

Cette montée - descente donne le "volume" du bruit qui va être mis en place. Au début on introduit les combats, puis on est en plein dedans, puis ils s'arrêtent et donc le son va crescendo decresendo avec la description de la violence. J'ai essayé d'employé du vocabulaire qui évoquait des sons afin de rendre les combats plus bruyants encore, et finalement quand Seiren passe en pré-mode Berzerk "Les sens de Seiren s’émoussaient. Paradoxalement, une acuité nouvelle l’habitait. Il percevait le champ de bataille avec une précision abstraite. " je me concentre sur ses mouvements, il y a donc un premier silence qui n'est pas dit mais "brouillé" (un peu comme dans les films quand le héros est tellement à fond que les bruits sont "flous"Clin d'oeil et pour l'habiller (et aussi parce que c'est plus glauque ^^) j'ai mis une vraie chanson. Aka la scène de Hunger Games 3.1 quand l'héroïne chante la chanson de Hanging Tree puis la caméra passe sur les rebelles qui vont faire sauter le barrage et que la même chanson passe en fond (avec des choeurs et pas avec un chanseur soliste) et que c'est le seul bruit de la scène.

Personnellement cet enchaînement et surtout la fin me donne toujours des frissons. De la scène de pique-nique soleil on passe au plan de la rébellion pour démolir le gouvernement à un vrai acte de résistance et la chanson tourne en boucle pour tout lier. La chanson devient vraiment le symbole de la rébellion.

Sauf qu'ici la chanson est vite coupée, les phrases se font plates et c'est ça qui amène le vrai silence. Sauf que je ne cite pas le silence je dis "calme irréel", ce qui laisse suggérer la présence du silence et (je pense ici) lui donne sa force.
L'idée ensuite est d'appuyer le silence : "Le Sergent n’eut pas le courage de donner des ordres ou d’aller rassurer les civils. " => il n'a pas le courage de faire du bruit, en fait !
Graduellement on peut enfin citer le silence, tout en ajoutant un "piment" histoire que le contraste soit visible "Une plainte s’éleva. Elle s’atténua piteusement, comme désolée d’avoir rompu le silence." et à ce moment là, Seiren se laisse définitivement aller en s'endormant sur le champ de bataille (la honte mec).
Et ce qui permet de redémarrer l'action c'est un rire, donc un bruit.