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Arbre

Le Temps des Rêves

TROMPER LE LECTEUR SUR LE POINT DE VUE


(avec cette vidéo plus particulièrement https://vimeo.com/channels/everyframeapainting/101675469)


Le grenier du maréchal-ferrant était spacieux, empoussiéré et haut de plafond. De vieilles poutres tordues soutenaient la toiture inclinée. Leurs toiles d’araignée scintillaient sous la caresse des rayons du Soleil, qui inondaient la pièce grâce à deux lucarnes orientées plein Est.
Au milieu des volutes de poussière se tenait la Princesse. Agenouillée à même le sol, les mains abandonnées sur ses cuisses, elle méditait. Ses cheveux d’encre, longs et dénattés, tombaient sur ses épaules avec fluidité puis s’écoulaient au sol, y dessinant des entrelacs d’ébène. Un mouvement presque imperceptible fit onduler sa chevelure. En réponse, le calme féerique du grenier se mua en une tension pleine de retenue.
L’air autour de l’Elfe se dilata en filins de brume qui se mirent à voguer paresseusement dans la pièce. Certains s’amarrèrent aux poutres, se mêlant aux soies arachnéennes. D’autres accostèrent les creux du plancher pour y ondoyer au gré d’une brise frivole.
— Vous allez tomber, prévint la Princesse sans se retourner.
Son ton était riche de malice. Une pointe d’inquiétude le nuançait.
— Maître Poète, vous allez tomber.
Vincent sursauta et se rattrapa de justesse au bord de la trappe qui menait aux combles. Il se hissa sur le plancher blanc de poussière.


C’est donc Vincent qui décrivait la scène et non Wen ou le narrateur omniscient habituel qui me permet de switcher de point de vue (et donc d'accéder facilement à toutes les données) au cours du roman.

Pourquoi cette scène ? Parce que l'idée ici est de mettre en avant Wen, le fait que ce soit un personnage peu commun, pleine de secrets (c'est pas peu dire) et de découvrir la magie de son pouvoir, sa féérie. Avec un point de vue neutre, je n'aurais pas réussi à décrire la matérialisation de son pouvoir avec autant de finesse (enfin je trouve que c'est fin ^^'), je me serais concentré sur des éléments plus "gros", plus visibles, plus "données importantes pour que le lecteur sache ce qu'il doit savoir". En employant un vrai point de vue, je fais une pause dans l'histoire. Un vrai stop entre les combats qui se déroulent avant et après. Genre, c'est la guerre partout, on s'en fiche on prend le temps d'admirer ce tableau, juste parce qu'il est beau. Et j'ai le droit car ce n'est pas le narrateur qui le fait mais un personnage (à qui cette attitude correspond bien ^^). De plus le fait que ce soit un autre perso qui décrive la scène donne du mystère à Wen : on entre pas dans ses pensées, on ne sait pas vraiment ce qu'elle fait, etc. Finalement on voit mais on ne sait rien.

L'autre chose que cela permet : calmer le lecteur. Ce n'est pas un simple arrêt sur image ou un ralenti pour donner plus d'effet à l'action. Comme je l'ai dit cette scène se case entre deux combats. Cette pause, cette légèreté est importante, elle permet au lecteur de souffler et de retrouver son calme pour 1) les explications qui vont suivre (et faut être en pleine possession de ses moyens pour les lires ^^) 2) les combats sur lesquels ça va enchaîner.

Et enfin : introduire de l'humour et de la surprise, lorsqu'on comprend que c'est Vincent qui décrit la scène et pas juste de la narration. Encore une fois cela à pour but de faire respirer le lecteur (il doit se souvenir qu'il peut respirer ! rigolez pas ! on a tous arrêtez de respirer en lisant un livre !) et puis l'humour ça fait toujours du bien ("Punaise, ils vont tous creveeeer ! Ouf je peux rire u peu pour évacuer mon stress ^^"Clin d'oeil

Le plus amusant c'est de plus de laisser des indices aux lecteurs pour qu'il comprenne avant la fin de la scène que Vincent est là. Cela ce sens notamment dans le vocabulaire et la métaphore filée : Vincent étant un Poète, il décrit plus savamment les choses que le narrateur habituel.