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Arbre

Le Temps des Rêves

Un frère et une sœur,
Ensemble depuis le ventre de leur mère.
Un mentor et guide.
Un meneur de prédateur.
Un tailleur de montagnes.
Une épée pour vaincre.
Et le Mal sera déchu.



***



Le jeune garçon habitait non loin de la Naïas, avec ses parents et sa sœur aînée, dans la ferme familiale. Hector, un grand adoles-cent brun, était solidement bâti et faisait la fierté de son père, car il participait toujours aux tâches de la maisonnée, et les me-nait à bien. Son regard était franc et juste, et il souriait tout le temps.
Son père, qui avait été blessé lors d’une bataille contre leurs ennemis héréditaires, avait pu rejoindre leur foyer, mais n’était plus aussi efficace qu’avant son enrôlement. Hector avait donc entrepris, du haut de ses quinze ans, de le remplacer. Et ce ma-tin-là, il était parti de bonne heure couper du bois pour le feu, lorsqu’il entendit un jappement. Appuyant sa hache contre un tronc, il posa la main sur le manche de son couteau et s’approcha des buissons depuis lesquels étaient venus les bruits. Il en écarta doucement le feuillage, et tomba nez-à-nez avec un petit louveteau, dont les yeux exprimaient la douleur. Il le caressa entre les oreilles, et le prit au creux de ses bras. Mais, loin d’être satisfait de sa découverte, il continua de progresser dans la pénombre de la forêt et atteignit une clairière. Une tempête semblait avoir tout retourné, et au centre, les restes d’un feu de camp brûlaient encore. Le sol avait été retourné, on y voyait de nombreuses traces de bottes. Etaient visibles également des empreintes de sabots ferrés. C’est alors que le jeune garçon aperçut, un peu à l’écart, les ossements d’un loup. Des louveteaux avaient du essayer de défendre leur mère, et avaient été massacrés sans pitié. Ils reposaient non loin de là, après un ultime combat qui leur avait permis de rejoindre la femelle qui les avait mis au monde. Hector comprit alors qu’il tenait dans les mains le dernier enfant d’une portée décimée. Il le regarda et lui dit :
« Tu seras Tempête, mon compagnon pour la vie. »
Un fugace rayon de joie apparut dans les yeux de la petite bête, qui sauta au sol et se colla aux pieds de son nouveau maître. Se retournant pour revenir au bois qu’il était chargé de ramener, le jeune homme s’apprêta à quitter la clairière, quand il vit, dans la bouche de l’un des louveteaux morts, un morceau de tissu rouge. Un rouge qu’il n’avait jamais vu, mais dont il avait entendu parler par son père. Un rouge altorien. Tout devint clair à ses yeux, il réalisa alors qui avait perpétré ce massacre. Il bondit et commença à courir, Tempête sur ses talons. Les branches le giflaient, les ronces le griffaient, mais Hector courait sans s’arrêter. Il entendit un puissant son de cor, qu’il reconnut comme étant celui de son père. Si ce dernier avait jugé utile de s’en servir, la situation était critique. Le jeune garçon accéléra. Il attrapa sa hache en passant devant son tas de bois, et bientôt émergea du couvert des arbres. Le spectacle qui s’offrit à ses yeux le fit tomber à genoux : la ferme était en flammes, et l’on entendait des cris. Il reconnut la voix de son père, et, saisi d’une rage nouvelle, se releva et se dirigea vers la bâtisse en flamme. Il entra en trombe dans la cour, et se retrouva au milieu d’une dizaine d’hommes en tunique rouge. Son père, au milieu de cette meute enragée, lui jeta un regard implorant. Mais le fils ne put supporter la détresse de ce regard, et, affermissant sa prise sur le manche de sa hache, chargea dans un hurlement. Le pre-mier soldat tomba, dans un bruit sourd. Le second tenta de parer le coup qui venait vers sa tête mais ne fut pas assez prompt. Et bientôt, le jeune garçon qui, peu avant, était en train de fendre du bois se retrouva dans une mêlée sans pitié. Au bout d’un moment, il s’aperçut qu’il était seul, au milieu d’un tas de ca-davres. Il se tourna vers son père, et put le voir s’effondrer. Sentant que tout son monde s’écroulait, Hector s’approcha de l’homme qui lui avait tout appris, il le prit dans ses bras.
« Hector, mon fils… Je suis fier de toi… Maintenant, pars… Ils vont revenir, plus nombreux cette fois-ci…
– Je ne vous abandonnerai pas, Père.
– Hector… Je ne… »
Sa voix s’éteignit dans un souffle, et le père quitta ce monde dans les bras de son fils. Soudain, celui-ci entendit son louveteau grogner. Un cor, identique à celui de son père, retentit. Hector se releva, se saisit de l’épée de son père et se planta dans l’ouverture du mur encerclant la propriété. En voyant une troupe à cheval s’approcher, il leva son arme en songeant qu’il allait rejoindre sa famille très rapidement. Puis il vit que les étendards étaient ceux de la Légion, au sein de laquelle son père avait servi. L’homme qui commandait le déta-chement donna quelques ordres d’un ton sec, et, descendant de cheval, alla vers le jeune garçon.
« Tu ne te souviens peut-être pas de moi. Je suis Ketros, Géné-ral commandant la première Légion. J’étais un ami de ton père, et, sur sa mémoire, je te promets que je prendrai soin de toi. »
Sentant les larmes venir, Hector laissa le grand soldat le prendre dans ses bras, et quitta le lieu de son enfance, talonné par un tout petit loup gris.