Retour à la conversation
Arbre

Le Temps des Rêves

pour ma remise en selle (partie 4/6 du tome 2 a corriger)
j'ai transformé un petit paragraphe en scène plutôt importante... et je dois dire que ce fut long mais pas si laborieux et même presque jouissif de disséquer chaque phrase mot à mot ^^

voilà le résultat

Original

Spoiler - Afficher

A l’aube, Enjan exposa son idée au Ministre des Armées et à Aswas. Face au sentiment d’urgence qui pressait le Roi, Albertz accepta la proposition. Aswas ne protesta pas non plus : l’armée ne serait pas loin derrière le Roi. Le Premier Chevalier comprenait très bien le jeune homme : ce sentiment qui vous possédait lorsqu’on vous tenait à l’écart, que vous êtes trop loin de tout pour espérer agir… Il avait déjà vécu ça.
Soulagé du soutien de ses conseillers, Enjan dépêcha un page pour seller son cheval et ordonna aux chevaliers de se préparer. Ils envoyèrent des éclaireurs baliser le trajet du Roi, afin d’éviter toute mauvaise surprise. La capitale était prise, inutile de courir le risque qu’on enlève le Roi ou qu’on l’assassine.
Un décile plus tard, ils se dirigeaient au grand galop vers Corona. L’armée serait aux portes de la ville dans deux jours. Eux, le soir même.


Nouvelle version (pas de spoiler ^^)

Spoiler - Afficher

Campagne de Nadane, à l’Est, aube.

— Ils ont des Poètes !
L’acclamation creva le silence. Les visages se marbrèrent de désespoir. Les étincelles guerrières, dans les pupilles des réservistes, s’éteignirent.
Une déception amère l’oppressait. Non. Non ! Il ne se résoudrait jamais à une telle fin…
Enjan ouvrit les yeux. Une sensation de danger imminent le travaillait. Le regard fixé sur la toile de tente, le souverain s’efforça d’apaiser sa respiration. Sous les rayons du Soleil naissant, le tissu avait pris une teinte rouge vif.
— Qu’allez-vous faire ?
Enjan tourna la tête. Son Ombre était assise sur un siège de camp, le menton appuyé sur le dos de sa main droite.
— Vous lisez mes rêves aussi ?
Le ton était neutre mais un soupçon de mécontentement y flottait.
— Non.
Enjan attendit des explications. Elles ne vinrent pas.
— Je dois me rendre à Corona.
— Qu’y ferez-vous ?
— Seiren et Kahlan ont besoin de moi.
— Vos relations personnelles ne devraient pas influencer vos choix. Vous êtes le Roi, pas un héros. Vous ne pouvez risquer votre vie pour quelques actions d’éclat, ni pour vos amis. Seiren est bien meilleur combattant que vous. Vous ne lui serez d’aucun secours. Ayez confiance en lui et en Kahlan. Ils s’en sortiront.
— Il y a s’en sortir et s’en sortir. Si je peux les aider, ne serait-ce que les soulager de certaines charges, alors je le ferais !
— Souhaitez-vous donc faciliter la tâche à Alyosha ?
— Quel genre de personne laisse ses amis seuls face à l’adversité ?
— Un souverain.
— Je suis un simple Humain, avec un métier plus prenant que la moyenne.
— Gouverner Nadane n’est pas un métier. Vous êtes Roi. Ne mésestimez pas votre place.
Le teint livide, les traits figés, Enjan fixait sa chevalière. Une part de lui s’accordait avec la Princesse. Diriger un pays, être responsable de milliers de vies exigeait de s’effacer derrière le symbole. Mais assumer ses obligations signifiait-il oublier ses sentiments personnels ?
Wen reprit :
— Il vous est impossible de juger des véritables conséquences de vos actes. Un jour, vous sauvez une personne, au détriment de votre devoir de dirigeant. Cela vous paraît le bon choix, celui que vous pourrez accepter en toute conscience. Mais dix, quarante ans plus tard… vous vous apercevrez qu’il y avait un prix. Que renier vos responsabilités avait un prix ! Les répercussions seront si terribles que vous regretterez de n’avoir su sacrifier une vie, de n’avoir fait aucun compromis avec votre conscience. Vous devez soutenir vos amis bien sûr. Vous en avez le pouvoir et la possibilité, même en étant loin d’eux. Cependant, pour quelqu’un de votre rang, s’abstenir est la meilleure des solutions. C’est en restant à votre place que vous ferez le plus de bien.
— Vous seriez prête à endurer tous les supplices physiques ou moraux pour assumer le rôle qui vous incombe ? Vous êtes-vous toujours préoccupée des autres avant de penser à vous ?
— Les troupes ont besoin de votre lumière afin de conserver les lambeaux de courage qu’il leur reste.
— Si vous aviez le choix entre accomplir votre devoir de reine et sauver un de vos proches, un de vos enfants, vous ne décideriez pas de déserter votre trône ?
— Nous ne parlons pas de moi mais de vous !
Un éclair d’horreur glacée avait embrasé les yeux de la Princesse. Les iris couleur mer de l’Elfe s’éclaircirent. Son regard chauffé à blanc figea Enjan. Il déglutit. Son pouls s’accéléra et une sueur froide glissa le long de sa nuque. Il avait touché un point sensible. La situation qu’il avait évoquée, dans un but purement argumentatif, n’était pas inconnue de Wen. Peut-être avait-il exagéré. Tremblant de peur et de colère, il se leva. Arpenter la tente de long en large le tranquillisa sommairement.
— Vous me donnez des conseils ! Comment leur accorder leur vraie valeur si j’ignore le genre de personne que vous êtes réellement ?
— Vos troupes sont fatiguées.
— Moi aussi je suis fatigué ! De vous voir fuir mes questions. Et je suis fatigué de jouer la comédie, de distribuer des sourires et de rassurer tout le monde ! J’en ai assez d’être tenu à l’écart. Je veux agir.
— Vous êtes le Roi. Chacun de vos gestes a un impact sur les événements. Vous sous-estimez encore votre rôle.
La colère laissa place à un agacement contenu sur le visage d’Enjan.
— L’armée est trop lente et les communications avec les éclaireurs sont difficiles. Nous manquons d’informations. Je dois au moins rejoindre Kahlan. Sur place, il sera plus aisé d’organiser la contre-attaque.
— Envoyez vos stratèges.
— Mes stratèges ?
Enjan retint un rire sardonique.
— Sans l’aide inopinée… Non, cela n’avait rien de hasardeux. Sans l’intervention des Seigneurs de Vilsa et de Muri, nous aurions perdu la bataille de la Prairie Jaune ! Mes stratèges…
S’apercevant qu’il criait presque, Enjan baissa la voix.
— Mes stratèges sont soit des incompétents, soit des traîtres, soit les deux à la fois ! J’ai eu tort de leur faire aveuglément confiance. Maintenant, je suis en dette envers ces deux Seigneurs scélérats !
— Vous souhaitez vraiment vous rendre à Corona.
— Oui.
— Vous mettez votre vie en danger.
— Je sais.
— Vous abandonnez vos troupes.
— Je vois plus loin. Je prépare notre reconquête. L’armée n’a pas besoin de moi. Elle a besoin de repos.
Wen considéra longuement son protégé. À la lumière tamisée qui filtrait dans la tente, la chevelure du Roi se paraît de nuances cuivrées. Il se tenait droit, les épaules en arrière et le menton volontaire. Il était tendu, les pieds ancrés dans le sol en une sorte de position guerrière, pour donner plus de poids à ses arguments. Une force solennelle se dégageait de lui. Sous sa chemise mal boutonnée se dessinait un torse ferme et ses manches courtes révélaient des bras musclés qui trahissaient un entraînement martial quotidien.
Ses traits réguliers, légèrement tirés, et surtout ses yeux ambrés, flamboyants d’ardeur, laissaient entrevoir le bouillonnement intérieur qui agitait sans cesse le souverain. Même furieux, le jeune Roi conservait un visage charismatique et séduisant. Son attitude dénotait un caractère avenant, à l’écoute des autres, taquin à l’occasion, réfléchi mais aussi enclin à s’emporter facilement, parfois boudeur et souvent très naïf. Enjan ne savait pas mentir. Ses yeux disaient toujours la vérité. À l’inverse de son père, il était dynamique et actif. Belle qualité pour un souverain mais authentique cauchemar pour ses conseillers. Obstiné s’ajoutait d’ailleurs aux qualificatifs applicables au jeune homme.
Wen se remémora leur première rencontre. Enjan siégeait prestement sur son trône, portant le deuil de son père. Il arborait alors un air noble, un masque d’indifférence calculée… si ce n’était ses yeux qui la dévisageaient avec curiosité. Ce souvenir posé contrastait avec l’image impétueuse qu’offrait le souverain en cet instant. Enjan était épuisé et nerveux. Il ne tenait plus en place. Un vrai Dolinge en cage. Elle savait qu’il dormait mal depuis plusieurs jours. Elle savait à quel point il s’inquiétait pour ses amis. Ce n’était plus un homme de cour cordial mais prudent qui se tenait devant elle. C’était un chef de guerre fougueux et avide de vengeance. Enjan considérait Alyosha comme un exutoire. Pourtant, l’aigreur qui était la sienne depuis la fin de la bataille contre Sílhures ne se dissiperait pas si aisément. Tuer ne soulageait en rien.
Une pensée frappa soudain la Princesse. Elle négligeait un détail. Un détail si évident qu’il échappait au regard.
— Seiren…
— Quoi ? s’alarma Enjan.
— Désirez-vous réellement vous rendre à Corona ?
— Vous m’avez déjà posé cette question !
— J’attends peut-être une nouvelle réponse. Vous avez des responsabilités à assumer. Elles surpassent vos satisfactions personnelles.
— J’irais.
— Naïus ne vous a-t-il pas encouragé à la patience ?
— Mes amis sont en danger.
— Cet argument est irraisonnable.
— Mes gens sont prisonniers de leur propre cité alors que j’ai promis de leur offrir la paix et la tranquillité ! Souhaitez-vous donc que je reste ici ?
— Si c’était le cas, m’écouteriez-vous ?
— Si vous insistiez vraiment.
— Mes arguments manquaient-ils de conviction ?
— Je suis d’accord avec la plupart d’entre eux. Mais les deux situations ont leurs avantages et leurs inconvénients. Je pense réellement être plus utile aux côtés de Kahlan qu’ici. Alors, sauf si vous m’assurez que je me trompe, j’irais à Corona.
— Très bien.
Wen se leva et lissa sa tunique. Son visage ne trahissait aucun sentiment. Ses yeux par contre étaient toujours blancs de colère.
— À ma place, resteriez-vous ?
— Je ne suis pas à votre place.
— S’il vous plaît.
— Si vous doutez…
— Non. Je voudrais juste l’avis d’une… amie ? Je… J’ai passé ces dernières semaines à me méfier de vous à cause des préjugés de mon entourage. Il est temps de m’en affranchir. Et pour cela, j’aimerais mieux vous connaître.
— Kahlan et Seiren sont vos amis.
Sur ces mots, Wen quitta la tente. Enjan eut un geste de colère. Il retint de justesse quelques jurons bien sentis. La toile de l’abri était épaisse mais pas assez pour étouffer des cris. Ses éclats de voix avaient déjà dû attirer l’attention des soldats alentour, inutile d’en rajouter.
Le souverain reprit sa ronde d’un pas furieux, les bras dans le dos et le visage crispé de mécontentement. Il s’était ouvert sans réserve, avec sincérité, même si cela lui avait coûté. Résultat ? La Princesse était restée parfaitement indifférente à ses efforts. Il s’avoua que malgré ses belles résolutions, il se méfiait encore de son Ombre. Peut-être n’aurait-il pas dû se livrer à elle ainsi. Ses propres paroles le terrifiaient. S’il se trompait ? Chercher à se rapprocher de Wen revenait à franchir un précipice. Si l’objectif était atteint, un avenir radieux se présentait. Sinon… La chute. Inéluctablement. Et si Wen avait baissé ses défenses en Mirîle, elle était désormais plus insaisissable et distante que jamais.
De mauvaise humeur, le Roi se rendit présentable puis sortit de la tente. Il héla un page et lui ordonna de seller son cheval, un pur-sang nomade à la robe grise. Enjan se rendit ensuite auprès du Général d’Argate. Il lui annonça sa décision. Le militaire manqua de s’étrangler mais ne fit aucune remarque. Les chevaliers, eux, se réjouirent. Ils avaient hâte de prendre part aux combats pour délivrer la capitale.
En quelques centiles, l’affaire fut réglée. Enjan partit au triple galop vers Corona, accompagné de ces chevaliers et de son Ombre. Ils seraient à la capitale le soir même. L’armée dans deux jours.