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Arbre

Le Temps des Rêves

La plainte lancinante des violons plane au-dessus de l’étang. Perdu sur la berge le héron solitaire s’étonne. Un Homme est là. La lumière s’amplifie comme une trouée de lune jaillissant sur les eaux. Un halo indéfinissable frémit et libère ses contours.
Ils sont de retour...
Leur musique irradie, leurs danses résonnent, la trace de leurs pas sur le sol s’éparpille, la nuit s’emplit de leurs voix. Comment croire que leurs doigts bougent encore sur les archets ? Ils sont là, pratiquement invisibles, impalpables, bleuis de pénombre.
Un Etranger passe.
Promenant ses insomnies par une nuit d’été étouffante, l’Etranger passe le long de l’étang à proximité de la mer. Il surprend leur ronde. Devant ses yeux, semblables à une fine nappe de brouillard se balancent des voiles blancs. Ce qu’il voit trouble son esprit. Il s’avance, craintif, battant l’espace de ses bras. Rien… il n’y a rien ! Les accords cessent, le silence revient à peine troublé par le chant des grillons. Le héron perplexe se rendort.
L’Etranger poursuit sa route.
A l’aube, il est encore là l’Etranger, assis sous un soleil levant. Trouble visuel, illusion ou songe d’une nuit d’été trop chaude ? Ses yeux tentent de percer le mystère. Sur cette terre, mêlée de sable, se dessinent des traces de pas, un cercle presque parfait. Plus avant, aucun pas. Ce peut-il un instant seulement que la réalité surpasse l’entendement ?
Quand la lune aura sur l’horizon levé son éclat, il reviendra l’Etranger.
Il attend, il est en avance. L’eau argentée reflète l’ombre des ajoncs, quelque animal peureux glisse sous les branches, et la nuit bleue s’installe. Il fait lourd, du sol montent de chauds serpentins, des spirales de mannes s’étendent au-dessus des prêles, au miroir de l’eau se mire le croissant de lune. L’attente est douloureuse.
Viendront-ils ?
Leurs cordes vibrent comme un écho qui s’approche du lointain. Une tonalité sourde amène des voix qui s’entremêlent. L’Etranger ne bouge plus, ne respire plus.
Ils s’attroupent. Un Homme est là, à peine visible, la hanche du violon posée sur le haut de son épaule. Sa chemise rouge, ornée d’un jabot, s’ouvre sur une poitrine à la peau mate. Sa taille est ceinturée d’une large bande de tissu noir. Des lamentations s’échappent de sa bouche cachée sous une épaisse moustache, des mots venus d’ailleurs, une mélodie où pleure l’âme.