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Arbre

Le Temps des Rêves

Mes démons m’ont rattrapée. Enfin... cette nuit. Nuit-chaos. Il faisait froid mais je n’avais pas froid, j’avais même chaud. Étonnamment chaud. Chaud à l’intérieur de moi. Mes pensées avaient un poids sur mes épaules, des pensées de béton brut. Je me suis allongée vers 23H00 dans le noir. Je ne savais pas si j’allais dormir. Il y a eu un moment de calme. Puis, des images se sont pressées dans ma tête, à une vitesse folle. Des images de tout, des images de rien, des images du Monde. J’ai vu des visages, de gens que je ne connaissais pas, j’ai entendu des bribes de conversations anodines. Mais c’était cette vitesse folle qui était éreintante, des images, des images, des images, vertige de la vitesse. Je ne savais pas où j’allais, j’étais entraînée dans le flux. Comme si toute l’humanité défilait dans ma tête.
Pas de sang, pas de violence, pas de drame, pas d’horreur, juste la folie du bruit du monde.

La folie du bruit du monde.

Je me suis levée, j’avais les membres lourds. Je suis sortie torse nu et nu-pieds devant la hutte. J’ai fait trois pas dans la neige, pétrifiée par le silence. J’ai passé de la neige sur mon visage. Terreur nocturne. Le ciel était gris comme l’acier de la lame au-dessus des grands arbres. Je suis restée là, longtemps, j’ai passé encore de la neige sur mes bras et ma poitrine. Ma poitrine était encore pleine de la folie du bruit du monde.
Le bruit de l’humanité, le monde en son entier m’avait traversée. Des visages, des corps, ces mots.
Si les démons se mettent à ressembler à Monsieur-tout-le-monde…

J'ai mis mes chaussures, pris ma veste, j'ai quitté le groupe de hutte. Je suis sortie et j'ai marché sur la route noire, vers le néant. J'ai marché, marché et marché, longtemps. Une partie de la nuit, sans doute... Cette nuit qui, ici, dure tout le temps.
J’étais peu couvert, juste cette veste sur ma peau nue. Il devait faire près de -15°C. Mes pensées m’avaient réchauffée un temps, mais elles m’avaient abandonnée. Je reprenais un corps et il avait froid. J’ai vu des phares dans l’autre sens, loin. J’ai traversé. Faire du stop pour rentrer à la hutte ?
Un camion est arrivé, il s’est arrêté loin devant moi. Je l’ai rejoint et je suis montée. La portière passager était déjà ouverte.

Il faisait chaud dans la cabine, un grand type en débardeur jaune était là, un grand type massif, bodybuilder, probablement. C’était un finlandais, Aki. Il venait de Turku, dans le Sud de la Finlande, et il se rendait aux Lofoten. Puis il irait chercher une cargaison à Hammerfest. Il avait un accent épouvantable et un rire franc. Il parlait peu puis, soudainement, beaucoup. Puis plus rien…
Il devait aimer son métier.

Il m’a déposée.

Bonne nuit Aki.