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Arbre

Le Temps des Rêves

Assis sur un petit banc gris, le visage enfoui dans sa barbe, il sourit. La maison est en ruine et il la regarde, et elle le regarde en retour, de ses yeux vitreux et brisés. La forêt les entoure, les feuilles sont tombées. Il sent quelque chose qui monte en lui, qui se tortille comme il caresse les pierres en pensée, la mousse sous ses doigts et l'odeur humide et végétale qui envahit ses narines ; autant de fils qui se tendent, de lui à elle, et le soutiennent, et l'emportent. Il se lève. Un peu raide d'abord, il tousse, et sa toux résonne contre les murs. Il tousse encore. Ça fait un mal de chien. Le vent s'engouffre dans ses poumons, le lierre prospère sur sa maison, il lui prend un souffle étrange. Petit à petit ses orteils remuent, ses pieds s'arrachent au sol, en rythme—au rythme de quoi ?—ils s'agitent, et ça le fait sourire.« M'accorderez-vous cette danse ? »

« Avec plaisir », disent les pierres et comme il tourne et claque des mains, comme il valse si bien, elles se détachent de leur voisine, et lui tendent la main. Le sol est bien loin, mais ce vieux qui danse c'est trop beau ; elles s'envolent maladroitement—quelques unes se brisent—et tourbillonnent joyeusement autour du vieillard ivre qui halète et sautille, l'air ravi que ses jambes puissent encore le porter, l'air surpris que la vie veuille bien de lui, enfin. Puis les pierres grises s'apaisent et se resserrent autour de lui, se font poudre ou bien vapeur, pénètrent entre ses rides, et lui ferment les yeux. La maison s'effondre ; il est venu à elle alors elle vient à lui, puisqu'il meurt alors elle meurt aussi, et qu'ils demeurent ensemble pour quelques siècles encore, qu'elle recouvre son corps, et qu'il repose en elle.

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