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Arbre

Le Temps des Rêves

Elle s’est débarrassée de son gros sac et de son manteau sans se lever. Il est tombé à ses pieds.
Comme je m'y attendais, elle s'est fait une petite ligne d’héro. Plus petite que d’habitude. Une demi-ligne. Je me suis demandé de quoi soignait l’héro. Après, elle n’a plus pensé à la fac. L’héro permettait peut-être d’oublier... j’avais ma réponse. Elle s’est écrasée dans le fauteuil et a regardé un temps le plafond, puis elle s’est levée brusquement et m’a proposé du thé. Un thé ferait du bien à ma gorge encore un peu irritée. J’ai acquiescé et repris ma lecture, la prose me berçait. J’aimais bien l’idée d’écrire ses mémoires même si elles étaient probablement fausses. Judith m’a fait goûter du thé blanc. On avait envie d’en boire plusieurs tasses. Plusieurs théières. Sans s’arrêter. Le thé avait la couleur de l’argent et le goût de l’acier. C’était un thé parfait pour un soleil rasant. J’avais de petits picotements légers dans le nez, je ne savais si c’était l’infection ou les épices. On en a bu deux grosses théières. Judith a mis un quatuor à cordes de Ravel et on est allées dans la chambre.

Judith avait le corps blanc.
Judith avait le cœur blanc.

Elle a allumé une cigarette au lit, utilisant le paquet vide comme cendrier. Judith fumait peu ou beaucoup, ça dépendait. Elle fumait parfois plus d’un paquet puis ensuite oubliait la cigarette pendant plusieurs jours. C’est elle qui m’a raconté ça. Elle a ajouté "Je m’arrête quand je veux".
- Comme l’héro ?, je lui ai dit.

Elle n’a pas répondu.

Un soir un peu déprimant était tombé. La fenêtre était restée partiellement ouverte, un vent léger agitait mollement le rideau de voile comme une aurore boréale. La chambre était prise dans une lumière gris anthracite. De l’extérieur provenait le doux ronronnement d’un système d’aération. L’appartement était calme, aucune fenêtre ne donnait sur la rue. Elle s’est levée. Je vais prendre un bain.

Elle est restée longtemps dans son bain.

J’entendais parfois le léger clapotement de l’eau, je n’avais pas bougé. J'étais toujours en nue sous l’épaisse couette et j’aimais sa présence dans la pièce d'à-côté, l’entendre et la sentir là me causait des frissons qui me parcouraient l’échine. J’avais une sensation agréable aux tempes.
Soudain elle a crié de la salle de bain :
- L’héro, c’est pareil, j’arrête quand je veux.

Puis le silence.

J’étais encore parcourue de frissons, j’aurais voulu que cet instant dure éternellement, je me tenais immobile, les capteurs en éveil, j’avais peur que quelque chose brise le charme, finalement j’ai entendu le bruit de l’écoulement de l’eau puis celui d’une douche, Judith est apparue totalement dénudée devant moi. Elle s’est dirigée vers la table basse, a extrait une pochette d’un vide-poche et s’est fait sa deuxième demi-ligne d’héro.

Elle m’a prise par la main et m’a entraînée sur le tapis.
Nous avons fait l’amour.
Les lèvres de Judith étaient transparentes.