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Arbre

Le Temps des Rêves

Je crois bien que j’avais des gants, j’ai dû les enlever, les remettre, je ne sais plus si je les porte encore, je les oublie, c’est à ça que je pense, guidée vers la sortie. J’aimerais en parler à quelqu'un. Mes gants, quelque chose me dit de poursuivre ma route, sortir de là. Les gants sont restés sur la table avec mes empreintes dedans, j’essaie de les voir, mentalement, j’ai une paire de gants taillés dans un fin coton bleu marine, c’est peut-être ceux-là que j’oublie, des gants qui ressemblent un peu à des gants de chirurgien,
mais bleus,
bleus marine,
presque noirs,
fétiches,
presque des gants
d’assassin.
J’ai mis les gants à côté du verre, l’un sur l’autre comme deux mains, les mains de quelqu'un qui s’ennuie poliment. Je suis devant un verre et c’est là qu’il a dû me regarder, cette fumée, ces filles autour, je ne sais pas ce qui m’a pris : je sais très bien ce qui m’a pris. Ça n’est pas la première fois. Les filles devaient dansoter aussi, un verre en main, il y a eu des rires, j’ai fait ce qu’il y avait à faire, extérieur à la scène, comme un opérateur, rituel, comme un officiant, un prêtre sacrificateur, le temps et l’espace l’un dans l’autre.
D’ailleurs il n’y a pas eu d’espace,
il n’y a eu que du temps,
l’espace, lui, s’est réduit en si peu de temps,
il a eu le temps de me regarder, à peine, une deux trois secondes et mes gants sont restés seuls à ma table à s’ennuyer. Aucune fille n’a crié, une fille a pleuré, ça n’est pas du jus de framboise.
Plus tard j’ai vomi dans la neige, ça a duré longtemps. La neige, je l’ai rêvée, le béton blanc d’un parking.
C’est comme le froid.
Il ne fait pas froid, je suis en sueur, il ne fait pas froid.

Ça n’est pas Londres, pas possible, au bout d’une heure je vois un bout d’océan, un moment que je marchais en sentant le vent marin et les cris d’oiseaux fous, je ne sais ce que c’est, ce truc que je porte sur le dos, ça n’est pas à moi. Ou si peut-être en fait. D’un côté une bouteille de Gordon’s, le Gin, dans l’autre poche des petites billes, des capsules, des pilules, des pills, il m’en reste, quatre, six, peut-être plus. Une sorte de brouillard sur la côte, ou plutôt une pluie très fine... ou bien alors le vent qui rabat les embruns des vagues qui explosent violemment sur les galets, je ne sais pas s’il est très tard dans l’après midi ou très tôt le matin, l’aube, c’est bleu, les maisons s’ennuient sur la côte, façades maussades qui résistent au vent, volets fermés, tout est fermé. Je cherche une cigarette que je n’ai pas, avale trois pilules avec deux gorgées de Gin, rien n’est lié à rien, le monde n’a jamais été créé, foutaise, le chaos a de toute éternité demeuré, puis deux autres encore, je ne sais pas ce qui s’est passé : j’ai levé les yeux vers la côte,
ce spectacle,
les tonnes de galets que des tonnes d’eau font rouler, "Rolling Stones", la côte qui se perd dans le brouillard, quelques oiseaux qui tournent au-dessus des vagues. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais le monde es devenu atroce soudainement,
comme insupportable,
vivre comme une plaie vive.
Pris deux autres capsules avec deux gorgées de gins rouge, vert, bleu, couleurs de la mer qui se reflètent sur les putains de galets.