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Arbre

Le Temps des Rêves


Impressions croates

Belle

Rêve turquoise, mer précieuse
la Méditerranée baigne la roche blanche
des îles nues, sauvages
que l’ombre rare cisèle

L’air sent le sel et la sève de pin
et j’entends comme une musique qui s’élève
de ressac, de langue rude et de cigales.

Entre les murs des étroites ruelles
le jour n’en finit pas de mourir
avec son disque immense et rouge
qui se noie.


Changeante

Tout devient sombre
un souffle de vent plus tiède, une caresse
d’une seconde qui happe le soleil

Alors on nage dans l’air
comme dans une eau poisseuse, collante
ombres d’insectes épinglés sur le pavé,
étouffés sous la grosse botte du ciel.

Une masse informe, vaguement blanche, grise, bleue
qui soude la Méditerranée au ciel
sans point de suture, sans horizon.

Alors on attend, dans la poussière d’eau qui masque les îles.
Que ça crève ! Que ça crève enfin !
On attend sous les cris fous des mouettes,
sous le ballet des martinets suicidaires
Que ça crève ! Que ça crève enfin !

Puis les nuées s’écartent
et tombent en faisceaux de soleil
comme une Présence, l’ongle du doigt d’un Dieu
un peu comme une excuse…


Meurtrie

Petit garçon qui court les rues, presque nu sur le goudron brûlant, raconte-moi dans ta langue. Arrache-moi au soleil, fais-moi pénétrer dans ta maison basse et fraîche, blottie contre la roche. Apprends-moi du bout des lèvres les douleurs anciennes qui sourdent entre ses murs, quand la pudeur s’effondre, loin des regards des touristes criards.
Qui est cet homme, là, sous la pierre ? Emporté un soir de printemps, vingt ans, à peine. Aujourd’hui, il serait ton père. Le linge claque dans les ruelles. Une lucarne s’ouvre, se referme. Cette vieille femme, toujours en noir, qui pleure-t-elle, qui veille-t-elle, encore ?

Petit garçon, couvert de sel et de soleil, raconte-moi dans ta langue. Dessine-moi ce qui les hante, quand la fierté retombe, loin des regards des touristes criards. Les cicatrices, ça se fane, ça s’oublie un peu. Mais les souvenirs ?

Deux fois dix années, mais ton pays n’a pas quitté sa robe de deuil. Les fichus sombres percent sous les façades riantes. Une ride au coin d’un œil, un pli amer à la bouche. Les sourires n’ont pas vraiment de goût.
Pourtant tu cours, insouciant. Pourtant tu ris quand ils pleurent. Et tu mords dans la vie comme dans une pastèque trop mûre.


Prisonnière

Trois cages ; deux oiseaux qui chantent et qui pépient
Des couleurs vives, des petits bouts de vie qui s’agitent
Trois cages, et dans la troisième
Le chardonneret se tait, en regardant la mer
La plume terne et l’œil défait
Loin, si loin du brigand qui pillait ma mangeoire.